décembre 2024
Benjamin Wyplosz Praticien en hospitalisation à domicile, Assistance publique, Olivier Taymans Membre de Psychedelic Society Belgium (PSBE)
« C’est la prochaine révolution des années à venir. » À Bruxelles, Olivier Taymans affiche l’optimisme : « Nous sommes à la veille de l’autorisation officielle de ces substances dont l’effet très aidant et même guérissant pour une immense majorité des gens est évident.» Membre de l’association Psychedelic Society Belgium (PSBE), fondée en 2020, il partage avec les quelque 200 adhérents, psychologues, psychiatres, juristes la même conviction : les substances psychédéliques, telles que la psilocybine, principe actif des champignons hallucinogènes, peuvent devenir un allié thérapeutique pour apaiser l’anxiété et la détresse «des patients atteints d’une maladie potentiellement mortelle. Celles des personnes qui ont reçu un diagnostic d’une maladie qui met leur vie en danger, voire même les personnes en rémission qui craignent une récidive ».
Olivier Taymans concilie lui-même plusieurs expériences. Il a été intervenant volontaire en soins palliatifs, de 2016 à 2019, et est membre du comité d’éthique de la plateforme de soins palliatifs PalliaLiège. Mais il a aussi expérimenté les substances psychédéliques, confronté très jeune à des deuils familiaux et a été interpellé par le regard que la société porte sur la fin de vie, la mort, le deuil. «À plusieurs moments de mon parcours, les psychédéliques ont influé de façon positive. » Et la PSBE le rappelle, «la souffrance psychologique est fréquente chez les personnes souffrant d’une maladie mettant en jeu le pronostic vital». L’association souligne la prévalence de la dépression chez les patients atteints de cancers, avec un «un taux de 25%, soit un patient sur quatre, voire près de 40% si on y ajoute l’anxiété». Olivier Taymans l’a lui-même constaté : « Beaucoup sont démoralisés, souffrent de dépression, d’anxiété et les interventions actuelles ne sont pas toujours efficaces, surtout dans ce cas de figure spécifique ».
Or, insiste la PSBE, «les essais menés aux ÉtatsUnis ont montré qu’après une séance de psilocybine, dûment accompagnée et précédée et suivie d’une psychothérapie de soutien, entre 60 et 80 % des sujets ont montré une réduction substantielle de la dépression, de l’anxiété et de la peur de la mort, ainsi qu’une augmentation de l’optimisme, et une amélioration de la qualité de vie et des relations avec les proches». Ancien journaliste, Olivier Taymans a travaillé à la Fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et addictions (Féda bxl, anciennement Fédito bxl) avant de reprendre ses études en dernière année de master en psychologie. Actuellement en stage dans une clinique de référence en matière de cancer, il envisage d’y mettre en place avec une équipe, d’ici un ou deux ans, une étude clinique sur l’utilisation des thérapies assistées par les psychédéliques pour les personnes aux prises avec une détresse existentielle face à une maladie potentiellement mortelle.
En 2023, Olivier Taymans a organisé un symposium sur l’utilisation des psychédéliques en soins palliatifs : «C’est l’une des plus belles applications des thérapies psychédéliques, et la première qui devrait bénéficier sinon d’une légalisation, au moins d’un usage compassionnel comme c’est le cas au Canada ou en Suisse.» L’association soutient la légalisation de ces substances dans un cadre thérapeutique et a organisé à Bruxelles, le 9 novembre, un nouveau symposium, «Psychedelics for Mental Health: New Therapeutic Pathways». Reste que s’il est toujours illégal en Belgique de proposer ces thérapies, les recherches se multiplient, un peu partout dans le monde.
RECHERCHE COLLABORATIVE EN SUISSE
La Suisse est un pays pionnier dans ce domaine : c’est là que le chimiste Albert Hofmann a synthétisé le LSD pour la première fois, en 1938. Et si les substances psychédéliques ont toujours le statut de substances interdites, leur utilisation est autorisée depuis 2014 dans le domaine médical, dans le cadre de Psychothérapie assistée par psychédélique (PAP), mais de manière exceptionnelle. «L’usage de substances telles que le LSD et la psilocybine est autorisé pour une application médicale limitée, pour des recherches cliniques et des traitements expérimentaux, mais nécessitant toujours une autorisation exceptionnelle longue à obtenir », précise Nadia Yersin, collaboratrice au Groupement romand d’études des addictions (GREA).
L’association basée à Lausanne qui regroupe des professionnels des secteurs médical, social et associatif anime de nombreuses plateformes d’échanges réunissant différents experts, thérapeutes, usagers et associations. En 2022, un groupe de discussions a été mis en place sur le thème des psychédéliques.
Il réunit médecins, psychologues, chercheurs, hautes écoles de santé, institutions prenant en charge les personnes souffrant d’addiction, ainsi que des organisations actives dans la prévention de la santé et des dépendances comme des patients ayant bénéficié de PAP. « Le but est de réunir des connaissances, des expériences et de l’expertise dans le domaine des psychédéliques afin notamment de proposer des lignes directrices pour la régulation de ces substances et de ces thérapies», explique Nadia Yersin. Et ce, dans la perspective de « proposer des recommandations en vue d’améliorer les PAP et de préparer les futurs changements législatifs».
Car «on constate un réel regain d’intérêt pour ce sujet», note Clara Acien, doctorante en psychologie, co-fondatrice de l’association PROOF (Psychedelic Research Organization of Fribourg), notamment dans le milieu universitaire. À Genève, Fribourg, Lausanne, Neuchâtel, «de nombreuses associations d’étudiants se sont créées, dédiées à la vulgarisation de la science psychédélique ». D’autres associations organisent aussi séminaires et colloques, une fondation créée à Genève en 2021 promeut les avancements scientifiques concernant les substances psychédéliques et une journée autour des PAP réunissant l’Association professionnelle Suisse – Psychédéliques en Thérapie (ASPT), la Société suisse de médecine psychédélique (SSMP), la Schweizerische Ärztegesellschaft für Psycholytische Therapie (SÄPT) et l’Association professionnelle suisse – psychédéliques en thérapie (ASPT) est programmée à Bern, en avril 2025.
Fin 2024, a aussi débuté le projet collaboratif Psyché sur les thérapies assistées par psychédéliques. Mené par le Centre de recherches en psychologie de la santé, du vieillissement et du sport de l’université de Lausanne (UNIL), en partenariat avec l’association Psychédelos dédiée à la défense des intérêts des patients traités par les PAP, il vise un objectif : «Mieux comprendre les expériences des usagers et des professionnels dans l’utilisation des psychédéliques à des fins thérapeutiques, renforçant ainsi le lien entre la recherche scientifique et les besoins de la communauté», selon Psychédelos. D’une durée de 18 mois, cette démarche participative ambitionne de mieux comprendre cet usage « afin de proposer des recommandations pour améliorer la prise en charge en santé mentale ».
Mais si les centres hospitaliers proposent les PAP à Genève, Zurich, Bâle et Fribourg et si une trentaine de psychiatres les pratiquent en cabinet privé, en Suisse romande, qui compte environ 1 200 praticiens, «les substances psychédéliques ne peuvent être actuellement utilisées que dans le cadre d’une PAP, rappelle Nadia Yersin. C’est la raison pour laquelle les essais cliniques dans le cadre des soins palliatifs restent très limités. En effet, le problème est que la procédure pour obtenir l’autorisation exceptionnelle de débuter une PAP et d’utiliser des psychédéliques prend beaucoup de temps et que, souvent, elle arrive trop tard pour les personnes en fin de vie ».
EN FRANCE, LE PROJET PSILONCO
L’obstacle le plus important à la mise en place de cette thérapie ? «Le manque de connaissances scientifiques, la fausseté des représentations des psychédéliques, la crainte devant cette médecine nouvelle», résume Benjamin Wyplosz. Mais les expertises sont peu à peu sollicitées en France et le débat a été lancé sur la fin de vie. C’est ainsi qu’en 2021, Benjamin Wyplosz (actuellement praticien en hospitalisation à domicile, Assistance publique – Hôpitaux de Paris) a répondu à l’appel à manifester d’intérêt de la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie pour obtenir un financement d’amorçage. Objectif de l’AMI : «Faire émerger de nouveaux projets et de nouvelles thématiques dans ce domaine, tout en favorisant les collaborations interdisciplinaires. »
Parmi les cinq lauréats, Psilonco. Le projet a été proposé par l’équipe de psychologues, sociologues et historien des sciences constituée par le docteur Benjamin Wyplosz. Il prévoit une étude clinique d’utilisation de la psilocybine dans la détresse existentielle en oncologie pour des patients atteints de cancers avancés. Car le médecin l’a constaté : «Les états psychiques des personnes en fin de vie peuvent être très handicapants. Les troubles anxio-dépressifs sont particulièrement fréquents et intenses chez les malades atteints de cancer et peuvent s’associer une détresse existentielle ou un syndrome de démoralisation notoirement difficiles à traiter et ayant des conséquences dramatiques sur leur qualité de vie». Or, «des essais thérapeutiques assistés par psychédéliques menés aux États-Unis et en Suisse aboutissaient à un taux de guérison de 70% des symptômes de dépression et d’anxiété». L’idée est donc de proposer à terme une thérapie assistée par psilocybine à domicile.
Avant d’entamer un essai thérapeutique, Psilonco va lancer un questionnaire pour déterminer les connaissances et les représentations des soignants en oncologie et hématologie concernant les psychothérapies assistées par psychédéliques (PAP). Il sera diffusé par les mailings des sociétés savantes, dont certaines ont déjà accepté telles que la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), la Société française du cancer (SFC), la Société française d’hématologie (SFH). Objectifs : «Comprendre s’il existe d’éventuels obstacles et envisager des pistes pour les lever», explique Benjamin Wyplosz. Ce questionnaire, en cours de révision au Comité d’éthique, sera prochainement envoyé en France, en Suisse et en Belgique pour comparer des réponses dans ces trois pays francophones européens ayant des législations différentes. Il est probable que «les réponses des participants seront différentes en fonction de leur pays de résidence car les informations sur les PAP et les questionnements des malades ne sont évidemment pas les mêmes en fonction de la facilité d’accès à la psilocybine ».