décembre 2024
Vincent Wagner Chercheur d’établissement, Institut universitaire sur les dépendances, Camille Beaujoin Professionnelle de recherche, David Guertin Coordonnateur de recherche
VIEILLISSEMENT, PERTE D’AUTONOMIE ET CONSOMMATION DE SUBSTANCES PSYCHOACTIVES
Au Québec, le pourcentage de personnes âgées de 65 ans et plus ayant consommé au cours des douze derniers mois des substances psychoactives (SPA), excluant l’alcool et le tabac, est passé de 0,7 % en 2008 à 1,9 % en 2015 (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2022). Pour l’alcool et le tabac, ce pourcentage était, respectivement, de 75,4 % et 8,1 % (Institut de la statistique du Québec, 2024 ; Institut national de santé publique du Québec, 2020).
La perte d’autonomie liée à l’avancée en âge et la consommation de SPA interagissent pour créer divers enjeux sur le plan de la santé physique, cognitive, le fonctionnement social, l’autonomie quotidienne, etc. Il n’existe toutefois que très peu de lignes directrices claires quant à l’accompagnement de ces personnes, en particulier au sein des milieux d’hébergement et de soins de longue durée accueillant une clientèle en perte d’autonomie. Les services doivent encore avoir souvent recours à des pratiques « silencieuses », élaborées au meilleur de leur expertise, pour répondre de manière satisfaisante à ces profils de plus en plus fréquemment rencontrés.
LE PROJET BeSPA
En lien avec ces constats du terrain, nous avons mené un projet de recherche portant sur la consommation de SPA au sein des milieux d’hébergement et de soins de longue durée pour personnes âgées en perte d’autonomie (Wagner et al., 2024). Nous avons notamment conduit des entrevues auprès de 48 membres du personnel d’intervention et de gestion (services de soutien à l’autonomie des personnes âgées et services spécialisés en dépendance) et de 28 résident(e)s. Durant ce projet BeSPA, nous avons exploré avec les participant(e)s les pistes souhaitables de bonification de l’intervention auprès de cette clientèle. À cela s’ajoute une démarche de recension de la littérature, où nous avons documenté les rares pratiques innovantes existantes à l’international.
DES PISTES DE BONIFICATION
Parmi les différentes pistes d’amélioration identifiées, émerge le besoin d’une formation accrue, pratique, concrète, basée sur des données probantes, concernant les enjeux croisés du vieillissement et de la consommation. En plus de ces deux thématiques, le contenu de formation devrait également aborder des sujets tels que les troubles neurocognitifs et du comportement, la santé mentale, les interactions avec les prescriptions médicamenteuses, ainsi que le vécu de la précarité sociale et de la stigmatisation.
Il est également suggéré de travailler au développement de normes réglementaires et cliniques cohérentes encadrant la consommation dans les établissements, et de présenter et expliquer ces dernières dès l’admission. Il reste toutefois essentiel d’évaluer régulièrement la consommation et les risques associés.
L’implication active des personnes consommatrices dans l’élaboration et l’actualisation de leur plan d’intervention est importante, en tenant compte de leurs capacités et de leurs objectifs personnels (abstinence, réduction ou poursuite de la consommation). Les pratiques d’accompagnement doivent alors s’articuler avec ces objectifs et les particularités de leur environnement, tout en faisant en sorte que la consommation reste sécuritaire. Il est aussi proposé de créer des comités de personnes consommatrices pouvant participer aux instances décisionnelles des établissements.
Formaliser des ententes de services entre les milieux d’hébergement et de soins de longue durée, les services spécialisés (notamment en dépendance), ou encore les ressources communautaires est essentiel, par exemple, pour fluidifier les références et l’accès à d’autres expertises. Ces collaborations permettraient aussi de déployer une prise en charge davantage intégrée, plus adaptée aux besoins complexes de ces personnes. Enfin, créer des communautés multidisciplinaires de co-développement et de partage des pratiques et des connaissances représenterait une ressource pertinente de soutien pour les équipes.
CONCLUSION
Les quelques pistes survolées ici soulignent déjà bien l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir pour bonifier les services dans le contexte d’hébergement et de soins de longue durée, à destination des personnes âgées consommant des SPA. Repenser l’intervention et l’organisation des services pour les adapter à cette clientèle croissante reste un défi important à relever alors que le vieillissement de la population exerce déjà une pression notable sur les services sociaux et de santé, au Québec comme ailleurs.