décembre 2024
Léonie Archambault PhD, chercheure d'établissement à l'Institut universitaire sur les dépendances (IUD), Marie-Ève Goyer Professeure agrégée de clinique, Département de médecine familiale et médecine d'urgence, université de Montréal)
En 2017, 11,3 % d’entre elles avaient utilisé ce type de médicaments dans un contexte de gestion de la douleur (CCDUS, 2020). Ce constat n’est pas étonnant dans la mesure où la prévalence de la douleur chronique augmente avec l’âge. Elle est estimée autour de 38 % chez les adultes de 55 ans et plus (Johannes et al., 2010). Pour cette raison, les personnes âgées de 65 ans et plus sont plus susceptibles que les autres d’utiliser des opioïdes prescrits à long terme (Campbell et al., 2010). Or, l’usage d’opioïdes comporte des risques, dont certains sont particulièrement importants chez les populations plus âgées, notamment les risques de chutes et de blessures (Yoshikawa et al., 2020). De plus, ces personnes suivent souvent simultanément plusieurs traitements prescrits et le vieillissement influe sur la réaction aux médicaments de leur organisme (Kwan et al., 2013).
USAGE PROBLÉMATIQUE ET TROUBLE DE L’USAGE D’OPIOÏDES (TUO)
Parmi les inconvénients liés aux opioïdes prescrits aux personnes âgées, il est important de souligner les risques associés au développement d’un usage problématique, d’un mésusage ou d’un trouble de l’usage d’opioïde (TUO). L’usage problématique peut inclure notamment l’usage de doses plus élevées que prévu, l’accumulation de médicaments ou encore la combinaison des opioïdes avec d’autres médicaments psychoactifs (Dufort et Samaan, 2021). Le mésusage implique l’«[u]tilisation de médicaments à des fins autres que celles pour lesquelles ils sont généralement prescrits » (CMQ, OIIQ et OPQ, 2020). Il représente un facteur de risque pour le développement d’un TUO (NIDA, 2021). Selon les critères diagnostiques du DSM-51 , le TUO implique un mode d’usage problématique des opioïdes conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative.
Au Canada, entre 2007 et 2015, 30 % des hospitalisation liées à des surdoses d’opioïdes impliquaient des personnes âgées (Rieb et al., 2020). Au Québec, pour l’année 2023, environ 17 % des décès reliés à une intoxication suspectée aux opioïdes ou autres drogues concernaient des personnes de 60 ans et plus (INSPQ, 2024). Chez les personnes de 65 ans et plus, la prévalence du TUO pourrait s’élever à 1,57 %, selon les plus récentes estimations (Shoff et al., 2021).
Chez les personnes âgées, la prévalence du TUO et la représentation dans les programmes de traitement a augmenté au cours de la dernière décennie (Shoff et al., 2021; Han et al., 2015). Cette hausse s’explique, d’une part par le vieillissement des personnes présentant un TUO de longue date et d’autre part, par l’ampleur de la prescription d’opioïdes pour la douleur chronique chez les personnes âgées (Duggirala et al., 2022; Rieb et al., 2020).
Une étude réalisée à Montréal montre que les personnes plus âgées qui présentent un TUO sont plus susceptibles que les autres de souffrir de douleur chronique et d’utiliser principalement des opioïdes pharmaceutiques, plutôt que de l’héroïne (Archambault et al., 2023). Par ailleurs, ces personnes sont moins susceptibles que les autres d’avoir déjà reçu un traitement pour le TUO (Archambault et al., 2023).
LE DÉPISTAGE ET LE TRAITEMENT DU TUO CHEZ LES PERSONNES PLUS ÂGÉES
Les adultes plus âgés peuvent être moins prompts que les plus jeunes à reconnaître les manifestations problématiques du TUO et à recourir aux traitements et services (Wu et al., 2011). En effet, le TUO peut se présenter de manière plus subtile ou être masqué par des conditions de santé, notamment les troubles cognitifs (Rieb et al., 2020). Les professionnels peuvent le dépister chez les personnes âgées à l’aide des outils usuels validés pour les adultes (Rieb et al., 2020). Par ailleurs, certains facteurs de risque sont associés au développement d’un usage problématique des opioïdes chez les adultes plus âgés, tels que la douleur, les problèmes de santé physique, les troubles liés à l’usage d’alcool et la dépression (Dufort et Samaan, 2021).
Comme pour les adultes plus jeunes, les traitements par agonistes opioïdes sont recommandés pour traiter le TUO chez les personnes plus âgées. Toutefois, les lignes directrices du Canadian Coalition for Seniors’ Mental Health (Rieb et al., 2020) proposent de réduire les doses initiales et d’assurer un suivi régulier pour détecter notamment les problèmes qui pourraient être liés à l’apnée du sommeil, à la sédation, aux troubles cognitifs et aux chutes.
CONCLUSION ET PISTES CLINIQUES
Le traitement du TUO peut s’avérer exigeant pour les patients en termes de rendez-vous médicaux et de visites régulières à la pharmacie. Pour les personnes plus âgées, la mobilité réduite peut compliquer les déplacements. Par ailleurs, le traitement par agoniste opioïde peut comporter des risques de surdoses s’il n’est pas utilisé tel qu’il a été prescrit ou s’il est combiné à d’autres substances ou médicaments. En particulier, les personnes qui présentent des troubles cognitifs sont susceptibles de commettre des erreurs dans l’autogestion de leur médication. De plus, la présence de comorbidités et la polypharmacie (usage de cinq médicaments et plus ou de médicaments non nécessaires) exigent aussi une attention particulière.
Pour les professionnels, ces enjeux justifient de favoriser une prise en charge globale et d’adapter les modalités de traitement aux limitations fonctionnelles associées au vieillissement. En effet, les cliniciens se retrouvent à devoir soupeser les risques et les bénéfices associés aux stratégies cliniques à déployer (ex. : téléconsultations, doses à emporter). Au final, la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle entre les réseaux de services en dépendance et ceux destinés aux personnes âgées apparaît comme la meilleure piste à suivre. Il s’agit de mettre en commun toutes les expertises au profit de l’adaptation des services aux personnes âgées vivant avec un TUO.