décembre 2024
Luc Vellenriter, Infirmier libéral,
UN LIEN DE CONFIANCE
Notre mode d’intervention au contact direct du patient dans son environnement nous permet de libérer rapidement la parole, de tisser un lien de confiance en nous extrayant des représentations communes de l’alcoolisation. Ainsi, nous sortons de la dualité «condamnation morale et condamnation sanitaire» en optant pour une voie basée sur les choix et les possibilités des consommateurs.
Nous constatons que pour échapper au regard des autres ou pour simplement éviter la confiscation de leur alcool, certains usagers sont dans l’obligation de cacher leur consommation, étant donné que les soignants, travailleurs sociaux ou entourage se sentent souvent autorisés à déterminer ce qui est bon ou acceptable pour eux. Ces décisions sont toujours légitimées par une norme propre à ceux qui veulent l’imposer.
De fait, un certain nombre de consommateurs n’ont pas accès à la quantité d’alcool nécessaire à leurs besoins. On assiste alors à des états pathogènes de manque comblés par des alcoolisations massives, avec un phénomène de « yoyo » particulièrement destructeur pour la santé.
Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai choisi d’apporter à un certain nombre de mes patients l’alcool qui leur est nécessaire afin d’améliorer leur qualité de vie et leur santé, même si cela peut sembler paradoxal à première vue.
La démarche consiste à déterminer avec l’usager les modes de consommation souhaités et les buts recherchés. Cette étape est souvent biaisée par un discours entendu durant des dizaines d’années qui fait de l’abstinence l’alpha et l’omega de la prise en charge.
Ensemble, nous recherchons à quels moments les consommations sont nécessaires. Si la suralcoolisation est facilement repérable par l’usager ou son entourage, le manque l’est d’autant moins qu’il est souvent encouragé à revenir à une «norme acceptable ». C’est en dernier que nous parlons de quantité consommée et que nous allons déterminer la répartition de ces consommations. Il ne s’agit pas d’un plan de soins qui indiquerait les heures et les quantités à boire, mais plutôt d’un schéma qui aide le consommateur à déterminer à quels moments de sa journée ou dans quelles situations l’alcool est nécessaire. Afin de faciliter la mise en place de ce schéma, il est parfois utile de dispenser l’alcool à domicile afin de sécuriser les apports tout en visant l’autonomie des usagers.
UNE ACTION MENÉE AVEC L’ENTOURAGE
Concrètement, c’est une action qui est menée avec les personnes concernées, mais aussi avec leur entourage. Il peut être parfois compliqué pour des familles en souffrance d’accepter l’idée d’autoriser des consommations auxquelles on impute les difficultés actuelles. Il est parfois tout aussi compliqué de passer outre certains règlements généraux de structures d’hébergement qui ont fait de l’interdit de l’alcool le premier principe à respecter pour y être accueilli. Cette remise d’alcool se fait généralement avec une distribution de médicaments sur ordonnance, ce qui nécessite de tenir compte des effets secondaires et des interactions potentielles.
Il ne suffit pas de rappeler que l’alcool est un produit légal et que chacun est libre de consommer ou non. Il faut aussi porter un véritable plaidoyer pour le respect des usagers. C’est par exemple lorsque l’on se rend compte que la privation entraîne des conflits et génère des suralcoolisations et des manques avec des effets délétères que la réduction des risques Alcool prend tout son sens.
Concrètement, la remise d’alcool s’adresse aux femmes et aux hommes qui sont en difficulté avec la gestion de leur consommation. Et si le financement de l’alcool est assuré par la personne elle-même, nous prévoyons toujours un stock de dépannage dans la voiture qui lui permettra de réajuster ses consommations à la baisse ou à la hausse. L’usager pourra ainsi mieux appréhender son environnement sanitaire et social et retrouver une meilleure qualité de vie.