décembre 2024
Jean-Sébastien Fallu École de psychoéducation, université de Montréal ; Centre de recherche en santé publique (CReSP)
Toute personne atteinte d’une maladie grave et incurable est susceptible de développer une forme aiguë de souffrance psychique face à l’éventualité de sa propre mort. Caractérisée par des symptômes de dépression, d’anxiété, de démoralisation et de perte de sens, la détresse existentielle s’avère particulièrement difficile à traiter (Kissane et al., 2022 ; Vehling et Kissane, 2018). Force est de constater que cette souffrance persiste chez plusieurs, inapaisable.
Alors que la pharmacothérapie, la psychothérapie et le soutien psychosocial et spirituel ont une efficacité limitée, bien que non négligeable, pour traiter la détresse existentielle (Bauereiß et al., 2018 ; Ostuzzi et al., 2015 ; Salt et al., 2017), la thérapie assistée par la psilocybine (TAP) se distingue comme une option prometteuse de prise en charge (Yaden et al., 2021). L’administration de cette substance psychédélique – une tryptamine issue des champignons de genre Psilocybe – dans une démarche psychothérapeutique et un environnement spécialement adapté engendre une réduction rapide, significative et prolongée (soit de plus de six mois) des symptômes liés à cette condition chez une majorité d’individus (Agin-Liebes et al., 2020 ; Griffiths et al., 2016 ; Ross et al., 2016, 2021, 2022).
Au Canada, les médecins sont aujourd’hui en mesure de requérir et d’administrer de la psilocybine, qui demeure autrement prohibée, dans le but de traiter un patient pour qui les approches conventionnelles ont échoué ou ne sont pas appropriées (Gouvernement du Canada, 2023). L’émergence de la TAP fut dépeinte auprès du grand public comme potentiellement salutaire (Ouatik, 2023 ; Pollan, 2018), mais qu’en est-il de la perspective populationnelle, des professionnels de la santé et des parties prenantes ?
ACCEPTABILITÉ SOCIALE
Intégrant un collectif intersectoriel de chercheurs, d’étudiants, de citoyens et de patients partenaires, le projet de recherche académique P3A1 , basé au Québec, examine ces questions dans le but de dégager des pistes d’action adaptées aux défis que pose l’intégration de la TAP aux soins de santé, plus particulièrement dans le contexte des soins palliatifs et de fin de vie.
En décembre 2022, une enquête menée auprès d’un échantillon de 2 800 individus a révélé que 79 % des Canadiens considéraient la TAP comme un choix médical raisonnable pour une personne souffrant de détresse existentielle, 85 % étaient d’accord pour que le régime public de santé en couvre les coûts et 63 % étaient favorables à une légalisation de la psilocybine à des fins médicales (comparativement à 20 % pour une légalisation à des fins non médicales). De tels résultats suggèrent que l’acceptabilité sociale de cette thérapie est considérablement élevée au Canada. Qui plus est, la consommation antérieure de psilocybine, l’exposition aux soins palliatifs et une orientation politique progressiste étaient distinctement associées à des attitudes plus favorables à l’égard de cette nouvelle option de traitement (Plourde et al., 2024).
Puisque la mise en œuvre de la TAP dépend, en bonne mesure, des attitudes et de la réalité des professionnels de la santé, nous avons tenté de mieux comprendre leurs perceptions, leurs préoccupations et les enjeux qu’ils anticipent dans le cadre d’une consultation participative. Suivant l’approche du World Café,2 cette démarche visait à discerner les facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver l’acceptabilité et l’accessibilité de cette thérapie (Masse-Grenier et al., 2024).
La majorité des seize participants, tous œuvrant au Québec en soins palliatifs, ont exprimé un intérêt marqué pour la TAP, la considérant comme prometteuse pour traiter la détresse existentielle, une condition face à laquelle ils se sentaient mal outillés avec les approches actuelles. L’efficacité et la rapidité d’action de cette intervention répondent, selon eux, à un besoin prégnant dans ce contexte où le temps est un facteur critique. En contrepartie, les participants se sont dits préoccupés par divers enjeux pratiques, dont la lourdeur des démarches administratives ainsi que l’allocation de ressources, de temps, d’espaces, de personnel et de fonds déjà limités, qui furent identifiés comme des obstacles majeurs à sa mise en œuvre. Par ailleurs, le manque de thérapeutes accrédités pour offrir la TAP, surtout en dehors des grands centres, en limite considérablement l’accès, soulevant un enjeu d’équité.
UN DÉFI DE TAILLE
En raison du caractère innovant et encore méconnu de la TAP, plusieurs participants ont souligné que son implantation dans le système de santé représentait un défi de taille. Par conséquent, les besoins relatifs à l’éducation et à la formation des soignants ainsi qu’à l’établissement de lignes directrices pour encadrer la pratique de la TAP furent jugés cruciaux.
C’est dans cette perspective qu’une soixantaine de professionnels de la santé, patients, citoyens, chercheurs, décideurs et législateurs furent réunis en mars 2024 lors d’un forum délibératif. Après une mise en lumière de la situation actuelle par le biais de présentations et de témoignages, un atelier a été organisé autour de différents thèmes : l’admissibilité et l’autonomie des patients, l’équité de l’accès, les aspects logistiques et organisationnels de la mise en pratique et les besoins en recherche. Les réflexions et idées évoquées seront prises en compte, conjointement aux résultats des autres volets du projet de recherche P3A, au cours de l’élaboration de recommandations visant à tracer les balises du recours à la psilocybine au Québec.
En plus d’éclairer le processus d’intégration de la TAP dans les milieux de soins et au sein de la société, il importe de soutenir les efforts mobilisés afin de favoriser son accessibilité et son équité pour les personnes atatteintes de maladies graves et incurables en quête de mieux-être. Dans une société où les limites des traitements disponibles motivent un nombre croissant de demandes d’aide médicale à mourir, qui représentent aujourd’hui plus de 7 % des décès annuels au Québec (Radio-Canada, 2024), la TAP est porteuse d’un nouvel espoir. Reconnaissant le caractère réfractaire de la détresse existentielle, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (AMAD) a d’ailleurs recommandé de faciliter l’accès à la TAP dans un rapport présenté à la Chambre des communes du Canada en février 2023 (AMAD, 2023). Utilisée en amont, cette thérapie pourrait offrir aux personnes confrontées à la perspective de leur mort et aux souffrances qui la précèdent une opportunité d’apprécier, voire de vivre sereinement, leurs derniers moments.