décembre 2024
Tim Leskens Éducateur en accompagnement psycho-éducatif, Maude Martin Infirmière en santé communautaire
Tim Leskens est éducateur en accompagnement psycho-éducatif et Maude Martin infirmière en santé communautaire. Tous les deux sont attachés au dispositif « Housing First » hébergé par le Relais social de la ville de Liège et dont les financements et lignes directrices sont issus de deux niveaux de pouvoirs politiques, le fédéral et le régional. Faisant également partie de l’équipe du « Housing First », des travailleurs de terrain issus d’autres associations partenaires sont impliqués dans l’accueil de personnes sans-abri. Au total, neuf travailleurs dont un agent immobilier « capteur de logement » accompagnent 43 personnes, la plus jeune ayant moins de 25 ans, la plus âgée 79 ans. Trente d’entre elles sont en logement, onze en rue et deux en institution. Ce public est à 4/5e composé d’hommes. Parmi les personnes hébergées en logement, trois ont plus de 60 ans et quatre arrivent à l’âge de 60 ans.
PASCALE HENSGENS : QU’EST-CE QUI MOTIVE UNE PERSONNE SANS-ABRI À DEMANDER UN LOGEMENT ?
Maude Martin :
Leur état de santé. Ces personnes disent « ne pas vouloir crever comme des chiens » et vouloir « retrouver une dignité pour mourir ». Mais on observe un plus grand taux de décès chez les personnes vivant en logement que dans la rue. Cela s’explique d’une part parce qu’elles sont plus âgées, avec des années de rue derrière eux, d’autre part parce qu’une fois en logement, c’est comme si leur corps se relâchait. La maladie devient plus visible quand elles quittent le mode « survie ». Elles-mêmes sont souvent surprises par cette dégradation et ne comprennent pas pourquoi elles sont malades alors qu’elles ne vivent plus dans la rue.
Les problèmes de santé sont divers et apparaissent en général à la fin de la trentaine. Ils sont d’ordres respiratoire, cardiaque, dermatologique, cancérologique, hépatique et buccodentaire et, pour les femmes, gynécologiques. Mêmes si ces personnes poursuivent leur consommation en logement, elle est moins importante et les maux physiques sont donc ressentis de manière plus forte.
PASCALE HENSGENS : QUELLE EST VOTRE APPROCHE PAR RAPPORT À LA CONSOMMATION DES PERSONNES HÉBERGÉES EN LOGEMENT ?
Tim Leskens :
C’est notre capteur de logement qui trouve les habitats. La personne conclut un bail classique avec le propriétaire, au courant de la situation de son locataire, et nous entamons parallèlement un accompagnement intensif. La personne hébergée bénéficie d’un revenu de remplacement de 1 200 euros en moyenne par mois, le loyer avoisinant les 600 euros. Nous n’avons pas d’obligation d’abstinence, nous nous situons dans une vision de réduction des risques. Mais en général, pour arriver à boucler les fins de mois, les personnes qui consomment encore sont plutôt usagères d’alcool et choisissent de garder accessoirement la cocaïne. Quand il y a consommation d’héroïne, certains optent alors pour la méthadone.
L’intégration dans un logement demande une grande attention : non-paiement de loyer, problème de voisinage, transformation en squatt de consommation, dégradations, manque d’hygiène… Il n’est pas toujours aisé pour ce public plus âgé d’accepter d’être « aidé ou conseillé » par des « petits jeunes ». Et l’accompagnement que propose l’équipe doit s’adapter particulièrement aux personnes âgées de plus de 50 ans : les capacités intellectuelles faiblissent, le deuil de la vie d’avant l’errance ne se fait pas.
Maude Martin :
L’accompagnement des femmes est également plus complexe. Le lien de confiance est plus difficile à établir avec les femmes qui restent longtemps sur leurs gardes, comme elles l’ont fait quand elles vivaient dans la rue pour survivre notamment à la violence.
PASCALE HENSGENS : COMMENT UN PROBLÈME DE SANTÉ SE PREND-IL EN CHARGE ?
Maude Martin :
Dès que le locataire évoque un problème de santé, les éducateurs réorientent la situation vers moi. Mais les problèmes de santé ne sont pas les mêmes du point de vue des locataires que du point de vue des travailleurs. La personne évoque un problème de sommeil mais il y a derrière des signes plus graves de dégradation de la santé. Il faut prendre le temps de comprendre ce qui est exprimé, expliquer la nécessité d’une prise en charge spécifique et ensuite assurer le suivi du traitement, en consultation ou à l’hôpital. L’idéal, c’est lorsque l’on a un médecin généraliste qui centralise tous les éléments de santé et avec qui l’on peut être en lien… Ce sont souvent des médecins qui travaillent en maison médicale1 . Et quand on accepte d’accompagner une personne de plus de 60 ans, on sait que ce sera jusqu’en fin de vie car rares sont les services qui prennent le relais avec ce type de public. L’accessibilité aux soins est encore loin d’être gagnée. Le fait d’être en logement est une étape mais il reste d’autres dispositifs à imaginer, tel qu’un service gratuit de transport et d’accompagnement de nos locataires vers et dans l’hôpital.
PASCALE HENSGENS : OBSERVEZ-VOUS DES CHANGEMENTS DANS CE PUBLIC ?
Maude Martin :
Actuellement, le public du « Housing First » à Liège est un public vieillissant avant l’âge, confronté à des problèmes liés aux dépendances, des problèmes de santé physique et mentale mais également à des problèmes liés aux conséquences de la vie en rue comme la solitude, la dépression…. Mais nos locataires âgés actuels ont eu des vies avant l’errance durant lesquelles ils ont acquis des compétences et des ressources qu’ils peuvent encore mobiliser après l’errance. Et ce, contrairement à ce nouveau public auquel nous allons être confrontés, d’ici quelques années, qui aura commencé très jeune sa vie dans la rue avec des parcours très déstructurés et violents… C’est une réelle source d’inquiétude.