février 2015
Nicolas Dietrich (délégué aux questions liées aux addictions du canton de Fribourg)
La réduction des risques est un des 4 piliers de la politique nationale en matière d’addictions. Elle est à la fois un modèle d’intervention, une pratique et une politique destinée aux consommatrices et consommateurs de substances psychotropes. 1 Depuis les années 90, la réduction des risques a trouvé sa concrétisation dans une palette d’offres, qui forme moins un ensemble structuré qu’une constellation de prestations s’adaptant constamment aux besoins des usagers. Parmi celles-ci, on peut citer la mise à disposition de lieux d’accueil, d’espaces de consommation, d’actions de prévention des maladies transmissibles ainsi que l’accès à certains droits civiques et sociaux, comme par exemple accéder à un domicile fixe.
Même si la réduction des risques est un thème plus ou moins sensible selon les cantons, son financement ne touche pas seulement aux questions politiques, mais aussi à celles de l’intégration de ces offres spécialisées dans la santé publique et la prévoyance sociale. Cet article en examine les derniers développements et le rôle de chaque acteur.
Comme il n’existe ni chiffre ni étude sur le financement des offres de réduction des risques en Suisse, quelques questions ont été soumises aux 6 institutions romandes fournissant les 8 offres principales afin de connaître leurs sources de financement (voir tableau et graphique). D’emblée, nous pouvons constater une hétérogénéité entre les 6 institutions, qui appelle les commentaires suivants :
Pour 5 offres parmi les 8, le canton verse la part principale. Concernant Première Ligne, il finance même le 100%. Si Le Passage a un financement paritaire entre le canton et les communes aujourd’hui, la part communale passera à 40% et celle du canton à 60% dès 2015. Pour la majorité des offres, le canton est donc le principal pourvoyeur.
Pour 4 offres parmi les 8, les communes sont les deuxièmes financeurs. Selon les informations fournies par les institutions, ce financement leur est octroyé sous forme de subvention collective non spécifique provenant par exemple d’un fond régional alimenté par des montants versés en fonction du nombre d’habitants.
La Confédération ne finance ce type d’offre que via l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) à travers l’application de l’article 74 de la Loi sur l’assurance-invalidité (LAI) : L’assurance subventionne l’aide privée aux invalides pour l’exercice des activités suivantes : conseiller et aider les invalides, conseiller les proches d’invalides, favoriser et développer l’habileté des invalides en organisant des cours spéciaux à leur intention. 2 Il s’agit d’une subvention tributaire du nombre de consommatrices et consommateurs invalides au sens de la LAI fréquentant l’institution. L’OFAS finance entre 20% et 25% du budget pour 2 offres parmi les 8.
Le financement par la Loi sur l’assurance-maladie (LAMal) est actuellement inexistant dans les institutions de réduction des risques en Suisse romande. Ceci s’explique par le fait qu’il s’agit d’institutions sociales, non liées aux assureurs-maladie.
La rubrique « Autres » est constituée du produit des ventes de repas dans un lieu d’accueil (Le Tremplin/ Le Seuil), d’indemnités perçues pour l’accompagnement des stagiaires des hautes écoles, de cours dispensés, de cotisations ou de dons reçus (Zone Bleue). Elle finance entre 10 et 15% du budget de 2 offres parmi les 8. Concernant La Terrasse, projet pilote lancé depuis février 2014 pour une période de deux ans, le financement provient à 100% de la dîme de l’alcool et du « fond drogues ».
Hormis les questions de sources de financement, les directions d’institutions ont été interrogées sur les tendances financières et les événements marquants constatés lors des dix dernières années.
Durant cette période, les institutions ont vécu à la fois une extension et une diversification de leurs offres. En effet, elles ont pu créer de nouvelles prestations en faveur de certains groupes-cibles (milieu festif, consommateurs d’alcool, etc) et ont aussi élargi leur action, par exemple à d’autres modes de consommation que l’injection comme l’inhalation et le sniff. Par ailleurs, elles ont diversifié leurs offres en traitant des questions de logement, de risques psychiques et de précarité sociale. Ces besoins sont en hausse à l’heure actuelle.
L’ancrage de la réduction des risques dans la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) a été obtenu grâce à la révision entrée en vigueur au 1er janvier 2008. Cette base légale ne garantit toutefois aucun financement. De manière générale, la LStup attribue aux cantons les compétences en matière de traitements, de prise en charge, d’autorisation des traitements au moyen de stupéfiants, de réinsertion ainsi que de réduction des risques. Les communes n’ont pas de compétence définie au niveau fédéral, mais en ont dans le cadre des lois cantonales et communales, par exemple via les lois de police, de gestion de l’espace public et via la loi sur l’aide sociale.
Dans la pratique, aucun financement n’est octroyé de manière automatique et il appartient aux institutions de s’appuyer sur ces textes pour rendre concrètes ces dispositions légales. C’est une des raisons qui explique la variabilité du financement de la réduction des risques selon les cantons. L’hétérogénéité des sources de financement n’a rien d’exceptionnel car on connaît déjà cette situation dans d’autres domaines des addictions, notamment dans le pilier « thérapie ». Dès 2008, certaines tâches sont passées de la Confédération aux cantons par la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT). Selon les cantons, il peut arriver que plusieurs départements ou directions financent une part de ces institutions. Ce sont le plus souvent la Santé publique, la Prévoyance sociale et/ou l’Action sociale.
En ce qui concerne la réduction des risques, la plus grande part du financement est liée aux structures (financement par objet) et non aux clients. Ce qui place ces offres dans une situation très différente de celle des institutions de thérapies résidentielles qui, elles, ont une part importante de financement liée aux clients (subvention publique via le client et financement sortant de la poche du client) et sont donc tributaires de leur taux d’occupation. 3 Selon la Loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides (LIPPI)4, les cantons garantissent que les personnes invalides domiciliées sur leur territoire ont à leur disposition des institutions répondant adéquatement à leurs besoins. Pour ce faire, les cantons doivent arrêter un plan stratégique visant à promouvoir l’intégration des personnes invalides et/ou en situation de handicap. Si les institutions ont la liberté de proposer de nouveaux projets, l’analyse globale des besoins et la validation des prestations relèvent donc des cantons.
Face à l’augmentation des besoins et des coûts, les cantons ont réformé le financement et la planification du domaine social. Cette réforme a aussi eu des conséquences sur les structures de réduction des risques. Parmi elles, on peut mentionner l’introduction de standards de qualité et de contrats de prestations, l’adaptation des salaires sur les échelles de classement de l’Etat ou encore l’application de coupes budgétaires découlant des mesures d’économie cantonales. Deux directions d’institution ont fait part de réductions allant de 5 à 10% sur certaines années, ce qui a notamment contraint une institution à ne pas repourvoir 2.85 EPT dès 2013 (4 collaborateurs à temps partiels).
L’argument politique avancé par les communes pour financer la réduction des risques est principalement celui de la sécurité dans l’espace public, un thème politiquement très présent durant les dix dernières années. Par ailleurs, il existe une pression politique de plus en plus forte sur l’aide sociale qui s’accompagne d’une augmentation de la précarité dans certains segments de la population. Dans ce contexte, les communes donnent parfois des impulsions pour soutenir certains groupes-cibles en fonction de l’agenda politique. On constate toutefois une diminution progressive des subventions communales et une reprise de celles-ci par les cantons.
Les éléments qui précèdent nous permettent de conclure que le retrait progressif de la Confédération dans le financement du domaine des addictions n’a pas entraîné le démantèlement des offres de réduction des risques. Globalement, celles-ci ont plutôt obtenu une reconnaissance auprès des financeurs, fruit d’années d’efforts de persuasion pour en montrer les résultats. Par contre, le domaine des addictions dans son ensemble connaît une fragilité financière, et par conséquent celui de la réduction des risques aussi. A cheval sur plusieurs bases légales, son financement est morcelé et appellerait une coordination plus forte.
Dans un contexte où les finances publiques sont sous pression, le moment est propice à une approche rationnelle et au développement d’un modèle intégratif des offres dans le domaine des addictions. Les cantons ont renforcé leur rôle dans le pilotage des prestations tout en se gardant de les rationner avec un pur esprit d’économie, ce qui a rassuré les institutions par rapport aux craintes qu’elles avaient exprimées en 2003. 5 Les cantons gèrent simultanément la planification de la santé, en particulier hospitalière, et le domaine des institutions sociales pour invalides et/ou pour personnes en situation de handicap, ce qui permet une harmonisation progressive des approches de planification. Afin de garantir une bonne réactivité face aux nouveaux risques émergeant dans la population, des espaces de concertation entre cantons et institutions restent très utiles pour relever ensemble les défis à venir.