février 2015
Olivier André, Gregory Pfau et Audrey Kartner (Médecins du Monde, France)
La réduction des risques (RdR) a permis de développer de nombreux outils pour réduire les risques liés à l’usage de drogues dont la majorité repose sur l’accès à l’information. Si aujourd’hui certains outils de RdR tels que les kits d’injection semblent accessibles et connus des usagers, ce n’était pas du tout le cas il y a vingt ans. De plus les programmes d’échange de seringues constituent un dispositif de RdR qui a fait ses preuves car les usagers se sont saisis de ces outils, en intégrant leurs expertises.
Comme à cette époque, notre devoir en tant qu’acteur de RdR est de défendre aujourd’hui et demain ce principe fondamental de la RdR : l’accès à l’information.
Sur le sujet des drogues, l’information largement diffusée concerne généralement l’impact global sur la santé, sur le ressenti des consommateurs ainsi que la composition des produits vendus sous une même appellation. En effet, les drogues achetées sur le marché de rue ou sur internet ne donnent aucune garantie sur leur composition. Pour informer un consommateur sur le contenu du produit qu’il veut consommer, encore faut-il savoir ce qu’il consomme. Par conséquent, connaître le contenu des drogues qu’un usager veut consommer constitue la première étape de sa démarche de RdR.
Répondre à ce questionnement en apportant une information scientifique et objective par une analyse chimique permet de donner une information nécessaire aux usagers pour soutenir leur démarche de RdR.
Dès leur création en 1997, les Missions Rave de Médecins du Monde (MdM) ont jugé nécessaire de proposer un entretien de conseil visant à réduire les risques liés aux usages et d’organiser l’analyse du contenu d’échantillons apportés par les usagers eux-mêmes. En effet, le questionnement quant à la composition des produits psychoactifs illicites représente une préoccupation fréquente des consommateurs. D’une part, répondre à cette demande permet une meilleure connaissance des moyens de réduire les risques liés à l’usage.
D’autre part, les équipes de MdM ont constaté que l’intérêt d’un dispositif d’analyse des drogues sur site allait bien au-delà de la remise de résultats de l’analyse chimique, en offrant un espace de parole aux usagers, libre et sans jugement, au cours d’entretiens pré et post analyse. De plus, les équipes de MdM ont également constaté que répondre à la demande d’analyse de contenu des drogues apportait une aide à la gestion de l’usage voire au maintien de l’abstinence.
L’utilisation de l’analyse de drogues comme outil de RdR permet une reconnaissance des individus en tant que personnes, indépendamment de leur rapport à la loi.
L’analyse de drogues possède de multiples facettes aux bénéfices des personnes, qu’elles soient usagères de drogues ou actrices de RdR. En effet, le contact avec les usagers sur le terrain permet d’appréhender la situation médico-psycho-sociale des usagers, ce qui renforce, en qualité et en quantité, les messages de prévention et leur diffusion grâce à une communication adaptée à l’usage, au degré de connaissance des produits, aux capacités d’écoute et de responsabilisation des usagers. De plus, ce dispositif informe en temps réel les intervenants de RdR sur les réalités des usages et du contenu des produits consommés, garantissant ainsi une action de RdR individualisée, évolutive et pertinente. Le cas échéant, les programmes d’analyse de drogues peuvent s’intégrer dans le dispositif national de veille sanitaire et impliquer les personnes dans le développement des savoirs collectifs.
Ainsi, le dispositif d’analyse de drogues constitue un outil pivot permettant d’informer à la fois les consommateurs, les intervenants de RdR et de participer au dispositif national de veille sanitaire.
L’analyse de drogues est donc un outil de RdR bénéfique à l’usager et aux acteurs de RdR qui s’opère grâce au développement d’un lien interindividuel basé sur un échange réciproque d’expériences et d’expertises.
Il est difficile pour un usager de connaître le contenu d’un produit qu’il veut consommer. Le dispositif existant est en effet méconnu et peu accessible.
S’il fait appel au système de veille et d’alerte français sur les substances en circulation (centres anti poison, CEIP 1, SINTES 2), ce produit ne pourra a priori être analysé que s’il a un caractère nouveau, rare ou s’il a causé des effets inattendus, voire problématiques. Par conséquent, un usager qui veut connaître le contenu du produit qu’il a acheté afin de réduire les risques encourus lors de sa consommation n’a d’autre choix que de s’adresser à un dispositif d’analyse de drogues de MdM peu connu et peu répandu.
Un fossé existe donc entre la démarche de RdR d’un usager souhaitant connaître la composition du produit qu’il consomme et sa faisabilité.
Au sein de l’association MdM, l’analyse de drogues est utilisée par les programmes de RdR (rave, squat, ERLI) depuis plus de dix-sept ans. Le dispositif a suivi un développement par étapes, basé sur le concept d’accès à un dispositif global d’analyse de drogues. Ce dispositif comporte plusieurs volets complémentaires :
Ce dispositif global d’analyse de drogues est un outil de choix pour répondre aux attentes des usagers et participer à la veille sanitaire. Il permet entre autre de faire le compromis du niveau d’information proposé vis-à-vis des contraintes de terrain pour la mise en œuvre opérationnelle du dispositif d’analyse de drogues. Ce dispositif global peut aussi bien s’adapter à des actions en milieu festif que des actions en milieu urbain.
L’analyse de drogues s’est d’abord développée en utilisant le « testing », utilisé par les usagers eux-mêmes, que les équipes des programmes raves de MdM se sont appropriés à la fin des années 90 alors que la consommation des drogues de synthèse explosait dans le milieu festif alternatif techno. Les limites analytiques du « testing » (cf encadré) ont conduit MdM à développer un système d’analyse complémentaire capable d’identifier les substances et d’éventuels produits de coupe. Cette nouvelle technique basée sur la technique de chromatographie sur couche mince (CCM) est venue enrichir le dispositif global d’analyse de drogues alors constitué du testing et de l’analyse en laboratoire. Puis en 2001 MdM a ouvert un nouveau programme de RdR : la mission XBT (xenobiotrope) dont l’objectif est de développer les connaissances sur les drogues (drogues de synthèses) et de favoriser l’utilisation de l’analyse de drogues en tant qu’outils de RdR.
La CCM a d’abord été déployée dans le cadre des activités de RdR, en milieu festif dès août 2001, puis en milieu urbain dès mai 2002 lors d’une unique permanence en soirée par semaine dans les locaux de la délégation Ile de France de MdM et enfin lors de sessions d’analyse organisées dans des squats (août 2004). En 2005, alors que l’analyse de drogues est pratiquée sur le terrain par les équipes de MdM et d’autres associations de RdR, le décret du 14 avril 2005, approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques, notifie que « L’analyse des produits sur site, permettant uniquement de prédire si la substance recherchée est présente ou non, sans permettre une identification des substances entrant dans la composition des comprimés (notamment réaction colorimétrique de type Marquis), n’est pas autorisée. ». Il s’agit là d’un véritable coup d’arrêt dans la mise en œuvre de cet outil de RdR. En se focalisant sur les produits, le législateur restreint son appréciation de l’outil aux seules fins analytiques ! Cette appréciation récuse les fonctions du tiers (pair, éducateur, pharmacien, infirmier, psychologue, assistant social ou médecin) et du lien (éducation par les pairs, alliance thérapeutique). D’autre part, il ne tient pas compte de la complémentarité des systèmes d’analyses mise en œuvre par le dispositif global. En dépit du cadre réglementaire qui interdit le « testing », MdM poursuivra le développement de cet outil de RdR en développant l’analyse par CCM au sein d’autres équipes de MdM qui se doteront de la CCM : d’abord le programme Raves de Bayonne en 2006, puis de Nice en 2007, de Toulouse en 2008, et enfin Marseille en 2010. Techno plus, une association française de RdR en milieu festif, développe aussi un système d’analyse par CCM en 2007.
Depuis 2011 la volonté de MdM est de transférer les connaissances et les compétences acquises depuis plus de dix ans de pratique de l’analyse de drogues. Pour promouvoir le développement de l’analyse de drogues en France nous estimons que le meilleur moyen est de travailler avec les structures de RdR du droit commun déjà existantes. C’est ainsi que des partenariats, au départ informels, se sont développés pour sensibiliser et accompagner les structures de RdR dans la création d’un projet d’analyse de drogues adapté à leurs objectifs et leur contexte de travail. Lorsque le partenariat entre dans une phase de transfert, une convention est signée pour formaliser les échanges et instaurer une logique de partenariat actif et militant. Le transfert s’effectue alors en deux étapes. D’abord les partenaires sont formés/sensibilisés aux entretiens de collecte des échantillons et de rendus des résultats. Pour cela il suffit d’adapter leur travail de RdR à l’utilisation de l’analyse de drogues. Les échantillons collectés par les partenaires sont envoyés à MdM pour analyse par CCM, puis renvoyés aux partenaires qui font le lien avec les usagers. A ce stade, l’engagement du partenaire repose d’une part sur la mise en œuvre de l’outil sur le terrain, la participation aux formations et réunions que la mission XBT organise et d’autre part, la promotion et valorisation de ce dispositif comme outil de RdR auprès des institutions socio-sanitaires locales. Dans un deuxième temps, les compétences scientifiques et techniques d’analyses sont transférées lorsque le partenaire obtient un financement pour recruter le personnel spécifique et acheter le matériel nécessaire à la réalisation des analyses.
Actuellement, ce développement repose sur des partenariats avec des structures militantes et engagées car le cadre réglementaire français et plus précisément la loi de 1970 3 ne permet pas d’apporter toutes les garanties juridiques en matière de protection des intervenants et des structures dans la mise en œuvre d’outils innovants de RdR. A terme, nous espérons faire évoluer le cadre référentiel de la RdR en France par la reconnaissance et l’intégration de l’analyse de drogues dans ce dernier.
Le développement des partenariats s’est accéléré ces derniers mois : MdM a signé 6 conventions partenariales grâce au travail des programmes de RdR premières lignes notamment, Squats Ile de France et RdR Méditerranée. Deux des partenaires du programme Squats IDF ont obtenu un financement de l’ARS (agence régionale de santé) pour développer cet outil : les CAARUD « Sida Paroles » pour la région Ile de France et « Adicto centre » pour la région centre.
Enfin d’autres partenariats sont prévus grâce au travail des programmes RdR de MdM en régions Midi-Pyrénées et Aquitaine. D’ici un an, un dispositif global d’analyse de drogues devrait être présent dans plus de la moitié des grandes agglomérations et régions françaises.
Au-delà de favoriser l’émergence de ces dispositifs d’analyse de drogues, notre volonté est de voir émerger un réseau de partenaires autour de l’analyse de drogues. Ce réseau rassemblerait aussi bien des structures de RdR que de recherche dans les domaines scientifique et sociologique. Ce réseau permettrait de faire émerger des actions de RdR innovantes adaptées à la réalité de terrain qui dans le domaine des drogues évolue très rapidement. Aujourd’hui notre constat sur l’intérêt croissant des acteurs de RdR pour l’analyse de drogues nous autorise à penser que d’ici à trois ans, les dispositifs d’analyse de drogues développés par nos partenaires seront financés par les ARS et enfin reconnus par la direction générale de la santé qui soutiendrait ce réseau et pérenniserait son développement.