février 2015
Réduction des risques, Quo vadis?
Cinq ans après son ancrage législatif par votation populaire lors du référendum sur la LStup, le concept de réduction des risques est accepté par tous. De l’UDC à l’extrême gauche, tous les partis se réclament aujourd’hui de la politique des 4 piliers et soutiennent donc la politique de réduction des risques. Quel changement depuis les années 90 ! Au niveau international également, le concept de réduction des risques a énormément progressé. Sous la pression des militants et des professionnels, les grandes agences onusiennes utilisent maintenant le terme dans leurs documents officiels. C’est notamment le cas à l’ONUDC qui a effectué une conversion sur ce type d’approche depuis l’année 2008. Bien entendu, le terme reste un sujet de polémique récurrent, comme aux Etats-Unis. En Asie, le refus de toute mesure de réduction des risques a un coût élevé, notamment en Russie ou un million de consommateurs de drogues n’ont accès à aucun service. Mais il existe aujourd’hui une très nette majorité parmi les spécialistes de la politique drogue au niveau international en faveur de la réduction des risques. Une telle unité de façade, sur un sujet aussi complexe à l’histoire aussi conflictuelle, devrait susciter notre réflexion. Si tout le monde est d’accord, ne devrait-on pas s’assurer que tous ont bien compris la question ? On sait que les postures restent très diverses sur le sujet. Alors, sur quoi se retrouve-t-on vraiment quand on parle de réduction des risques ?
A y regarder de plus près, le consensus s’effrite rapidement. Il y a un point sur lequel tout le monde s’accorde : la remise de matériel stérile pour les injecteurs de drogues. Les évaluations de ces programmes, aussi nombreuses qu’irréfutables, ont réussi ici à clore un débat pourtant animé ces dernières décennies (si l’on exclut le monde carcéral). Au-delà ? Cela se complique. Contrairement aux pays qui nous entourent, nous continuons à omettre de parler aussi de réduction des risques pour les traitements de substitution. Dans l’espace francophone, Genève et Berne sont les deux seuls cantons ou la prescription d’héroïne est disponible et qui disposent d’un espace de consommation à la population d’usagers de drogues illégales. Ces deux cantons sont également les seuls à disposer d’une coordination opérationnelle entre police et professionnels des addictions, qui est la base d’un travail efficace de réduction des risques sur le long terme. Plus préoccupant, la réduction des risques reste encore principalement associée à la prévention des maladies transmissibles par voie intraveineuse. Les besoins évoluent. De nombreux facteurs poussent à une réflexion nouvelle sur la manière de mettre en œuvre le concept de réduction des risques : la détérioration des conditions sociales des usagers, l’augmentation de la répression, ainsi que la diversification des usages et des publics de consommateurs. L’apparition de nouvelles drogues et l’éclatement des marchés changent le rapport au produit et modifient les besoins des usagers.Les articles présentés dans ce numéro tentent de contribuer à cette réflexion toujours nécessaire sur les enjeux de la réduction des risques. Car souvenons-nous en : la source de la réduction des risques est à chercher du côté des valeurs, notamment des droits humains. C’est la croyance en l’être humain, en sa capacité à faire des choix et le refus de juger une personne qui a permis d’avancer dans cette direction. Ces valeurs ne sont jamais données et elles ne peuvent s’institutionnaliser, une bonne fois pour toutes, dans des pratiques statiques. Elles doivent s’actualiser en permanence, en fonction du changement social, du contexte et des besoins des usagers. La réduction des risques a remporté des victoires importantes ces vingt dernières années, mais nous devons rester vigilants. Même si en Suisse romande, le chemin est encore long pour arriver à mettre en œuvre la LStup, il nous faut déjà prévoir demain. La réduction des risques étant une affaire de valeurs, nous ne pouvons y renoncer.
Jean-Félix Savary (GREA)