juillet 2014
Camille Goumaz, Jennifer Cau, Barbara Broers (Faculté de Médecine, Université de Genève)
Cette association fut fondée en 2006 avec les buts suivants :
L’essentiel de l’activité de l’association tourne autour du cannabis médical. Les membres paient une cotisation de 150 CHF, doivent avoir un certificat médical officiel qui justifie l’usage de cannabis et remplissent un questionnaire d’entrée (anonyme). Un local, loué par la Ville de Genève, est à disposition des membres pour se rencontrer, recevoir des conseils, voire acheter des produits à base de plantes (aloe vera p.ex.) ou des vaporisateurs. L’usage de cannabis y est interdit. Dans un endroit semi-secret, les membres peuvent se procurer du cannabis, une fois par semaine, à un prix correct et avec un maximum de 20 grammes par semaine. La file active est d’environ 80 membres, dont plusieurs ne viennent qu’une à deux fois par mois. Le comité est entièrement constitué de bénévoles, qui s’organisent pour approvisionner les membres en cannabis, et qui peuvent leur donner des conseils pour l’autoproduction. Il y a quatre ans, le fondateur, une personne charismatique et expérimentée, est décédé subitement, et le comité montre une grande volonté de poursuivre son « œuvre ».
L’objectif de ce travail était d’étudier le profil des membres ainsi que l’utilité et l’impact de leur « medical cannabis club » sur leur vie et leurs consommations. Nous avons eu accès aux questionnaires d’entrée récoltés depuis 2006 (n=107), sans savoir quel était le nombre total des membres pendant cette période. Nous avons aussi développé un questionnaire de suivi (n=20), participé à l’AG et à des rencontres des membres au local et lors de la distribution du cannabis. Douze personnes ont accepté d’avoir des entretiens semi-structurés individualisés. La qualité des données est moyenne, nous présentons ici un résumé des résultats 2.
Les membres sont majoritairement de sexe masculin (> 2/3), avec un âge moyen de 48 ans, et 60% d’entre eux sont aux bénéfices des prestations de l’AI. Les raisons de consommation du cannabis médical annoncées par les membres sont résumées dans le tableau 1. On constate que presque la moitié des membres (61/127) mentionnent la douleur chronique comme une des raisons, et presqu’un quart la dépression. Une partie des raisons peut être considérée comme étant médicalement « hors indication reconnue ». La très grande majorité fume le cannabis (selon l’enquête de suivi 2/3 avec tabac), mais bon nombre a également l’habitude de le prendre par voie orale ou inhalé avec un vaporisateur.
La grande majorité fumait déjà du cannabis avant l’usage thérapeutique. Des 9 personnes à qui nous avons posé la question, 6 nous ont dit avoir diminué leur consommation, 2 sont restés stables et seulement un membre a déclaré avoir augmenté sa consommation.
94 % des patients ont mis leur médecin traitant au courant de leur usage de cannabis et, selon eux, trois quarts ont été d’accord ou en tout cas ouverts à cette automédication.
Le tableau 2 présente l’avis des membres concernant l’impact que l’association a sur leur vie. Une très grande majorité apprécie le soutien social et pratique, et considère que leur qualité de vie est meilleure. Trois quarts apprécient avoir moins de soucis avec la police, et disent réfléchir davantage à leur santé. Presque la moitié trouve que l’association les aide à moins fumer.
Les membres interviewés confirment l’importance du soutien social, ainsi que la diminution du stress pour se procurer leur médicament. À noter que plusieurs membres n’étaient pas en possession d’un certificat médical.
Les observations lors de l’AG et autres rencontres nous ont permis de voir qu’il n’est pas toujours facile pour les membres du comité, eux-mêmes tous fumeurs, de faire respecter les règles de base.
Malgré un objectif commun et défendu par tous, il existe des tensions entre des membres sur la politique à suivre. On sent un certain épuisement dû à l’organisation de la production et l’acheminement de la marchandise chaque semaine, dans un contexte « gris » avec une tolérance certaine mais fluctuante (il y a deux ans des boutures de plantes ont été confisquées par la police).
Notre étude a permis de montrer que l’association Alternative Verte, un « cannabis medical club » qui existe depuis huit ans, n’attire pas de jeunes fumeurs de cannabis à la recherche d’un produit facile d’accès. Même si l’interprétation des données doit être faite avec précaution, on peut décrire la population comme des patients de presque 50 ans, pour la plupart avec des morbidités physiques et psychologiques, dans des situations de précarité sociale. Leur consommation de cannabis n’augmente pas quand ils entrent dans l’association. Les membres apprécient le lien social, et la diminution du stress lié à l’achat de leur médicament sur le marché noir, de qualité et quantité incertaines ; ils trouvent que leur qualité de vie augmente.
La législation actuelle met l’association dans un contexte juridique vague et incertain, car, comme pour les coffee shops aux Pays-Bas, le « backdoor problem » n’est pas réglé.
Le comité prend des risques importants en essayant d’avoir suffisamment de cannabis pour leurs membres et subit une pression constante.
Par ailleurs, vu l’absence d’un « cannabis social club » ou d’autres sources légales de cannabis à Genève, l’association risque d’attirer des personnes « à la recherche d’une justification médicale » pour l’usage du cannabis, en médicalisant l’usage récréatif de cannabis ou en mettant en avance une souffrance psychologique. Le comité, constitué de bénévoles eux-mêmes patients bénéficiant du cannabis, ne semble pas toujours à l’aise pour refuser de telles demandes.
Il nous semble que l’association pourrait bénéficier d’une professionnalisation, de préférence avec un coordinateur non consommateur ; ceci permettra peut-être d’augmenter leur crédibilité auprès des autorités. Nous proposons aussi la création d’une charte avec des règles claires, à faire signer par tous les membres. Ces règles devraient couvrir l’exigence d’un certificat médical récent, le paiement de la cotisation, les règles de bonne conduite comme ne pas fumer en public proche du local ou du lieu de distribution, l’absence de violence, de prêt d’argent entre membres, etc. En cas de non-respect de la charte, le comité devrait pouvoir refuser l’accès au cannabis.
L’association « Alternative Verte » a beaucoup de mérite et de courage pour avoir mis en lumière la difficulté d’accès à du cannabis thérapeutique en Suisse. Elle soutient des patients, légitimise leur situation et diminue les risques d’illégalité pour eux. Est-ce qu’elle nous permet d’ouvrir la voie vers d’autres expériences d’accès régulé au cannabis ?
Remerciements : nous tenons à remercier tous les membres de l’association Alternative Verte pour leur participation, et surtout le comité. Nous rendons hommage à Fabrice, qui a mis toute son énergie dans la défense de l’accès au cannabis pour des raisons médicales.