octobre 2004
Rémi (usager)
«La grande chance que j’ai eue, c’est de très bien m’entendre avec mon ex-amie, la mère de Sandra. Je ne partageais pas le quotidien de ma fille mais je l’accueillais chez moi les week-ends. A la fin et jusqu’à mon entrée en traitement à la Villa Flora, ces week-ends se sont de plus en plus espacés.
Je faisais très attention à l’état dans lequel je me trouvais quand elle venait. Je veillais à être plus ou moins clean. Je n’étais pas très patient avec ma fille, peu tolérant et irritable mais je n’ai jamais été violent avec elle. Sandra connaissait l’alcool mais ne m’a jamais vu saoul.
Chaque fois que Sandra était chez moi pour les week-ends, je me voyais. De l’avoir en face de moi avait un effet miroir: en la regardant, je me voyais très clairement.
A l’époque, j’avais l’impression d’être 100% avec Sandra mais, ensuite, je me suis rendu compte que cette impression était fausse. En fait, j’étais avec ma fille mais le produit et l’obsession du produit occupaient une grande place. Une partie de moi était constamment occupée à contrôler, calculer, projeter, réfléchir au produit et à ma consommation.
J’essayais de faire au mieux pour qu’elle ne se rende pas compte du malaise. Je faisais de gros efforts pour faire des activités avec elle car j’étais constamment en train de contrôler ou de m’angoisser. Pour elle, je faisais des efforts pour être clean quand elle venait et pour faire des activités avec elle, efforts que je ne faisais pas pour moi. Le problème était de concilier le tout: faire des choses qui soient bien pour elle et ne soient pas trop pénibles pour moi.
Seulement, lors de mon séjour à la Villa Flora et depuis que j’en suis sorti, je peux voir une grande différence dans les attitudes de ma fille envers moi. Par exemple, quand elle venait à la Villa, à la fin du week-end, quand elle devait repartir, elle s’accrochait à mes jambes. Elle voulait rester. Son papa lui manquait. Avant le traitement, elle venait chez moi puis repartait, ça ne lui posait aucun problème.
Lors des premières visites à la Villa, Sandra était plutôt réservée et timide. Mais, dès le premier week-end, quand elle a compris qu’elle allait rester là, elle a investi la Villa comme si c’était sa maison, la maison de son papa. Elle est arrivée avec son petit sac et s’est tout de suite approprié les lieux.
Sandra adorait venir passer les week-ends à la Villa Flora et réclamait d’y revenir. Elle ne s’y ennuyait pas car elle était le centre de l’attention de toutes les personnes présentes et recevait beaucoup de la part des autres pensionnaires.
Maintenant, j’ai changé de fonctionnement dans ma tête: je n’ai plus de projections ou de pensées négatives avant de faire une activité avec Sandra, de sortir pour aller au jardin public, par exemple. Je vis plus dans l’instant présent. Je suis plus à l’écoute de ma fille et de ses besoins.
A la Villa Flora, j’ai appris à comprendre le «mode d’emploi» de mon propre fonctionnement. J’ai appris à me connaître, à me comprendre et à corriger avant d’aller dans une direction où je ne veux plus aller. Avant, c’est comme si j’avais le mode d’emploi mais qu’il était dans une autre langue. Tandis que maintenant, c’est en français, je comprends le mode d’emploi.
La conséquence, c’est que j’ai plus confiance en moi et plus de facilité et de plaisir à faire des activités avec ma fille. Je ne fais plus aucune place au produit donc je peux vraiment être à 100% avec ma fille. Et, maintenant, j’apprécie chaque petit bonheur, toutes les petites choses. Par exemple, un éclat de rire avec ma fille, avant, c’était banal, maintenant, ça réchauffe, ça me «booste».
Ma fille a 6 ans et c’est un véritable âge d’or: en même temps, elle a la fraîcheur et la spontanéité de l’enfance et en même temps une capacité de raisonnement et de réflexion. Ce qui me frappe, c’est sa mémoire. La capacité qu’elle a d’enregistrer des choses que je ne vois même pas et de pouvoir le restituer, dans le contexte, ça m’étonne et m’émerveille.
J’ai une grande chance que la mère de Sandra soit géniale et adéquate autant avec Sandra qu’avec moi. Mon ex-amie ne s’était pas vraiment rendu compte de mon problème – même si elle se doutait de quelque chose – car je faisais de gros efforts pour cacher ma consommation et garder la tête hors de l’eau. Grâce à sa mère, Sandra s’épanouit normalement et pour ça je lui suis très reconnaissant.
Moi qui me suis énormément apitoyé sur moi-même à cause des difficultés que j’ai rencontrées dans mon enfance, j’ai beaucoup de gratitude pour le fait que ma fille ait été préservée de ma consommation.
Tout au long de ma consommation, je voyais que je reproduisais le même scénario que celui de mon enfance: le manque du père et la souffrance qui va avec. Je le voyais très clairement mais je n’arrivais pas à baisser les armes. En même temps, je ne voulais pas reproduire ce scénario.
L’existence de ma fille a freiné ma consommation de drogues dures et m’a, par conséquent, sauvé la vie. J’ai décidé de me soigner car je ne voulais pas me reprocher un jour d’avoir été un père absent ou manquant pour ma fille car je connais la souffrance du manque du père.
Mon père est mort alors que j’étais un enfant et je ne voulais pas me retrouver un jour avec le constat que, moi, j’étais bien vivant et que, malgré cela, j’avais manqué à ma fille. C’est ce qui m’a poussé à me soigner.»