octobre 2004
Raymonde et Alice
Raymonde: Environ deux ans avant mon entrée à Villa Flora, ma fille avait découvert mon problème de dépendance à l’alcool mais elle ne m’en a jamais parlé. Elle a parlé à ma sœur, avec qui elle a une très bonne relation et qui l’a encouragée à participer à une réunion Al-Anon.
Alice: Oui. Je voulais savoir comment aborder le sujet avec ma mère. Je n’osais pas en parler. Pourtant, notre relation était bonne… en surface. Nous nous entendions bien mais nous n’abordions jamais les choses importantes et surtout pas la consommation. Parfois, il m’arrivait de fumer un joint ou de boire un ou deux verres d’alcool et là, nous avions une bonne relation, nous riions mais toujours sans aborder vraiment le problème.
Raymonde: Pendant cette période, Alice a tout pris en charge: nous vivions ensemble mais c’est elle qui faisait les courses, les paiements, etc. Elle était vraiment co-dépendante.
Alice: J’étais soumise. Maman dormait beaucoup. Sa consommation de médicaments était également très importante et elle dormait tout le temps.
Raymonde: Je consommais seule, à la maison, et souvent, je voulais qu’elle parte, je l’encourageais à sortir avec ses amis pour pouvoir consommer. Quand nous faisions des courses ensemble, au moment de payer, à la caisse, je l’envoyais encore chercher quelque chose que je faisais semblant d’oublier…
Alice: … et, quand je revenais, je voyais bien qu’elle avait pris une bouteille d’alcool et qu’elle l’avait glissée dans une pochette cadeau, l’air de rien. Mais je n’osais rien dire. En fait, je ne voulais pas voir. Je me voilais la face. Mais, aussi, les derniers temps, surtout, je n’osais pas la laisser seule à la maison. J’avais peur qu’elle mette le feu à l’appartement, ou qu’elle se mette en danger.
Raymonde: En fait, les rôles étaient inversés. C’est elle qui veillait sur moi. Pendant ce temps, moi je croyais que j’avais réussi à cacher mon problème, au moins mon problème d’alcool, que ma fille ne s’apercevait de rien. Ma consommation de médicaments, par contre, n’était pas secrète et j’ai dit à ma fille, qui m’avait fait une remarque à ce sujet un jour, que j’avais besoin d’en prendre.
Alice: J’aurais aimé savoir comment motiver ma mère à arrêter mais je n’ai pas obtenu de réponse à cette question lors de ma rencontre avec le groupe Al-Anon. Je n’y suis pas retournée car je ne m’y suis pas sentie bien accueillie. Il n’y avait personne de mon âge et l’ambiance était plutôt triste et fataliste. Quand ma mère est entrée à la Villa Flora, j’ai fréquenté le Groupe de soutien pour les proches de la LVT et là, j’ai obtenu des réponses à mes questions, du soutien. Il y avait également une autre fille de mon âge et je m’y suis sentie mieux. Quand ma mère a décidé de se soigner, j’étais très soulagée. Enfin quelque chose allait changer, allait s’améliorer, une nouvelle vie pouvait commencer. Dès qu’elle est entrée à Villa Flora, j’ai arrêté complètement ma consommation de chanvre et d’alcool pour pouvoir l’aider. Quand ma mère est entrée à la Villa Flora, je me suis retrouvée toute seule.
Plusieurs de mes proches amis sont également partis dans cette même période et je me suis sentie vraiment isolée. A ce moment-là, je suis allée vivre quelques mois chez mon père. Je n’ai pas dit à mon père que ma mère souffrait d’alcoolisme. J’ai une bonne relation avec lui mais plutôt superficielle. Je n’attendais pas de soutien de sa part. Le soutien, je le recevais de ma tante et de mon amie très proche qui vivait une expérience un peu similaire à la mienne. Nous nous sommes beaucoup soutenues mutuellement. Pendant le séjour de ma mère à la Villa Flora, je suis venue très régulièrement en visite, quasiment chaque semaine, très souvent avec mon amie.
Raymonde: Ta première impression a été de la surprise: impossible de savoir qui étaient les malades et qui étaient les visites. Ce n’était pas décelable au premier coup d’œil.
Alice: Oui, c’était étonnant. Je me suis beaucoup impliquée dans le programme proposé à la Villa Flora. Je voulais comprendre ce que vivait ma mère et l’aider de mon mieux. J’ai pu reprendre à mon compte certains outils du programme, par exemple «24 h à la fois» etc. Je trouve que le programme de la Villa Flora peut également aider beaucoup les proches.
Raymonde: Lors de mon séjour, nous avons développé une relation très forte. Nous nous sommes beaucoup écrit. Nous nous sommes téléphoné tous les jours. Notre communication s’est beaucoup améliorée et surtout nous avons commencé à exprimer et partager nos sentiments. Maintenant, nous osons nous dire «je t’aime». Alice a également participé à un entretien de proche.
Alice: Là, j’ai pu dire tout ce que j’avais sur le cœur. J’ai exprimé tous mes reproches, toute ma colère. Et je me souviens que ma mère était étonnée, en entendant tout cela, que je sois aussi gentille avec elle.
Raymonde: Là, j’ai vraiment compris tout le mal que j’avais fait à ma fille et je lui étais très reconnaissante de m’aimer encore, malgré tout, d’être aussi gentille avec moi.
Alice: Je me souviens que mon amie trouvait également que c’était étonnant et formidable que je ne rejette pas ma mère, après tout ce qu’elle m’avait fait. C’est vrai que, parfois, pendant la période de consommation active, j’étais en colère contre elle mais dès qu’elle s’est soignée, j’ai réussi à dissocier son être de la maladie, elle, la personne, de ses comportements. J’avais juste envie de m’intéresser, de comprendre et puis je l’aimais toujours. Vers la fin du séjour de ma mère à la Villa Flora, j’avais besoin qu’elle revienne à la maison. Je ne voulais plus être seule. J’avais besoin d’elle. Mais, en même temps, je ne voulais pas qu’elle mette en danger son rétablissement en rentrant trop tôt à la maison, à cause de moi.
Raymonde: Moi, après huit semaines, je voulais déjà rentrer. Il me semblait que j’avais tout compris, que c’était okay.
Alice: Oui, et là, j’ai vraiment eu peur. Je me suis dit: «Oh non, pas tout cela pour rien. Ça ne va pas recommencer.»
Raymonde: Puis, j’ai eu un entretien avec ma thérapeute et le directeur de la Villa Flora et j’ai compris qu’il était dans mon propre intérêt que je reste encore un peu. Et, après 5 mois, là, j’ai vraiment senti que la boucle était bouclée et que je pouvais sortir. Il faut dire que les sorties progressives, sur la fin du traitement, étaient vraiment confortables. Bien sûr, j’avais un peu peur de rentrer à la maison, de me confronter au quotidien, l’absence de travail, les problèmes etc. mais les sorties progressives m’ont permis de faire les choses en douceur. En plus, j’ai eu la chance de pouvoir m’appuyer sur un réseau fort et compétent. Je me suis vraiment sentie entourée, soutenue et sécurisée par mon réseau. Savoir que je pouvais appeler la Villa si j’avais un problème était très sécurisant. Alice aussi a entrepris une thérapie qui l’a bien aidée même si elle a encore des angoisses.
Alice: Ça n’a pas été facile de retrouver mon rôle de fille. Mais ça va beaucoup mieux. Maintenant, j’ai encore peur de rester seule le soir, j’ai encore peur du noir mais ça va beaucoup mieux. C’est peut-être une manière de redevenir la fille et non plus la mère.
Raymonde: Pour moi, c’était plus facile de redevenir la mère mais c’est vrai que Alice a plus longtemps cherché ses marques. Je pense qu’il faut compter avec le temps.
Alice: Par exemple, au début, de temps en temps, j’avais encore besoin de contrôler si dans sa bouteille il n’y avait vraiment plus que du coca. Ou bien, j’étais encore un peu inquiète quand je la voyais fatiguée ou tendue mais maintenant, deux ans après sa sortie de la Villa Flora, j’ai confiance et je n’ai plus ce souci.
Raymonde: Maintenant, je suis en paix avec mon passé. Je ne me sens plus obligée de ne pas boire, je choisis de rester sobre. Et ça fait toute la différence. Je vis 24 heures à la fois. Je peux presque dire que j’aime la vie. J’essaie de positiver. Je prends tout ce qui m’est donné. J’essaie de bien faire ce que je fais, d’offrir mon sourire, d’accueillir les gens que je rencontre dans mon travail. Comme je travaille dans un café, je côtoie toute la journée des gens alcoolisés ou dépendants. Je ne les juge pas. J’essaie d’accepter les autres comme ils sont. J’ai beaucoup plus d’estime de moi. J’essaie d’être tolérante et si quelqu’un est agressif avec moi, je n’en fais pas une affaire personnelle, je pense que cette personne doit avoir un problème pour se comporter ainsi. La Villa Flora m’a rendu la vie. Bien sûr, le traitement est contraignant, intensif mais efficace. Je me sens bien. J’accepte ma vie comme elle est.
Alice: Il y a un vrai dialogue entre nous. Nous ne sommes pas toujours d’accord…
Raymonde: … Non, mais on peut en discuter. On se dit également qu’on s’aime.
Les prénoms des témoignages sont fictifs.