octobre 2004
Christian Nanchen (Service cantonal de la jeunesse VS)
L’éducation de l’enfant est en premier lieu la tâche des parents. Ce principe est consacré notamment par l’art. 301 du Code civil suisse 1, qui stipule que les père et mère déterminent les soins à donner à l’enfant, dirigent son éducation en vue de son bien et prennent les décisions nécessaires, sous réserve de sa propre capacité.
C’est donc aux père et mère de diriger l’éducation de l’enfant en vue de son bien, mission consacrée par la doctrine et la jurisprudence à la fois comme un droit et devoir comparable à un office. Elle est axée sur l’intérêt de l’enfant, donc altruiste. Sa fonction varie à mesure que l’enfant grandit.
Son but final est de se rendre superflue et de faire de l’enfant devenu majeur un être capable d’exercer lui-même l’autorité parentale 2. Ce principe est repris par diverses législations cantonales, notamment la loi en faveur de la jeunesse du 11 mai 2000 3 Toutefois, il arrive que les parents n’assument pas cette tâche dans son intégralité, échouent ou manquent à leur devoir. L’Etat doit alors intervenir pour protéger l’enfant. En droit suisse, la protection juridique de l’enfant relève principalement du Code civil suisse dont l’application est confiée aux organes de tutelle.
Ces mesures de protection ont pour but d’écarter tout danger pour le bien de l’enfant. Il est indifférent que les père et mère soient ou non en faute 4. Les mesures protectrices prévues par le Code civil suisse aux art. 307 et ss que nous nous proposons de développer plus loin doivent être prises en respect de trois principes importants que sont:
L’Etat doit ainsi assumer une mission normative, ainsi qu’une mission de protection envers les enfants vivant des situations qui mettent en danger leur santé et leur développement physique, psychique ou social. Cette obligation se retrouve dans différents textes légaux. Nous nous proposons d’en faire un rapide survol, ce qui permettra d’éclairer le lecteur sur les fondements actuels de l’action de l’Etat dans ce domaine spécifique qu’est la protection de l’enfant.
Ce texte adopté le 20 novembre 1989 par l’Assemblée générale de l’ONU et qui a été ratifiée en 1997 6 par notre pays, consacre à l’art. 3, al. 2, l’obligation pour les Etats parties de s’engager afin d’assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui. Ils prennent à cette fin toutesvles mesures législatives et administratives appropriées.
L’alinéa 3 précise que les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soient conformes aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé, de même en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.
Cet article consacre donc l’obligation pour les Etats ayant ratifié la Convention des droits de l’enfant de le protéger et d’assurer son bien-être si ses parents ne peuvent ou sont empêchés de le faire. L’Etat est également responsable des institutions chargées d’aider et de protéger l’enfant.
La notion de protection de l’enfance est différente selon chaque pays. Cela résulte d’une tradition historique et philosophique spécifique. On distingue ainsi deux groupes de pays selon la conception qu’ils ont de l’enfance et de la famille 7:
La Suisse se rattache plutôt au deuxième groupe. Notre législation prévoit en effet la possibilité de retirer la garde, voire l’autorité parentale, à des parents n’étant pas à même d’assumer leurs responsabilités parentales.
La Convention invite également, à son article 19, les parties à prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un deux, ou de ses représentants légaux, ou de toute autre personne à qui il est confié.
La Convention instaure ici une protection contre toutes les formes de violence et de brutalité physique ou mentale à l’enfant. L’Etat ayant ratifié la Convention doit également le protéger contre l’abandon, l’absence de soins, les mauvais traitements, l’exploitation et la violation sexuelle. L’Etat doit également veiller à ce que de telles situations ne se produisent pas et il doit prendre les dispositions nécessaires à cet effet.
La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 8 prévoit, à son article 11 intitulé «protection des enfants et des jeunes», al. 1: Les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement. Par son adoption, les Chambres ont voulu accorder un statut constitutionnel aux enfants et aux jeunes et marquer ainsi un signe allant dans le sens d’une protection accrue des enfants, notamment contre la violence, la maltraitance, les abus sexuels 9.
Par cet article qui figure au chapitre des droits fondamentaux l’idée de protection spéciale des enfants est consacrée. Elle découle de l’idée de protection spéciale des enfants qui résulte de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies. Cet article 11 est donc la manifestation d’un signe politique en faveur de la jeunesse. Sa portée juridique n’est cependant pas claire. Certains auteurs se demandent ainsi s’il s’agit d’une simple précision de liberté personnelle ou d’une sorte de droit social 10.
Comme déjà relevé plus haut, les mesures de protection contenues dans le droit civil se retrouvent prioritairement aux articles 307 et ss du Code civil suisse. Ainsi, l’art. 307, al. 1 11, précise que l’autorité tutélaire prend les mesures nécessaires pour protéger l’enfant si son développement est menacé et que les père et mère n’y remédient pas d’eux-mêmes ou soient hors d’état de le faire. La notion de danger doit ici se comprendre comme une crainte sérieuse d’après les circonstances, que le bien-être corporel, intellectuel et moral de l’enfant soit compromis. Il n’est ainsi pas nécessaire que le mal soit déjà fait. Les causes du danger sont également indifférentes. Celles-ci peuvent tenir à des prédispositions ou à une conduite nuisible de l’enfant, des parents ou de l’entourage 12. Nous pensons qu’il n’est pas choquant à ce stade d’imaginer que des parents alcoolodépendants peuvent tout à fait remplir les critères posés par l’art. 307, al. 1 et devoir ainsi intervenir pour, dans un premier temps, rappeler les père et mère à leur devoir (art. 307, al. 3) ou donner des indications ou instructions relatives aux soins, à l’éducation et à la formation de l’enfant.
L’autorité peut également désigner une personne ou un office qualifié qui aura un droit de regard et d’information par rapport à l’enfant. Généralement, en Suisse romande, des offices spécialisés tels que des Offices pour la protection de l’enfant ou des Services de protection de la jeunesse se voient confier ce type de mandat. La mission consistera alors de surveiller la situation et de s’assurer que les parents respectent les instructions émises par l’autorité tutélaire à laquelle l’office spécialisé fera un rapport.
En cas de nécessité, ces instances spécialisées pourront proposer de prendre des mesures plus importantes telles que l’instauration d’une curatelle éducative au sens de l’art. 308 du Code civil suisse qui prévoit que, lorsque les circonstances l’exigent, l’autorité tutélaire nomme à l’enfant un curateur qui assiste les père et mère de ses conseils et de son appui dans les soins à l’enfant.
Ce danger peut provenir de l’une des causes mentionnées à l’art. 311, al. 1 du Code civil suisse, soit l’ignorance, la maladie, l’infirmité, l’absence, l’indifférence ou la violation de leur devoir 13. Le ou les parent(s) devront ainsi suivre les instructions du curateur concernant la prise en charge de l’enfant. Le curateur veillera ainsi à ce que la prise en charge de ou des enfant(s) soit conforme à son intérêt. Il pourra fixer des règles aux parents sur la manière d’agir avec l’enfant.
Si cette mesure n’est en soit pas suffisante pour protéger le développement physique et psychique de l’enfant, l’autorité tutélaire devra alors procéder à un retrait du droit de garde, au sens de l’art. 310, al. 1 du Code civil suisse qui stipule que s’il n’est pas possible d’éviter autrement que le développement de l’enfant ne soit compromis, l’autorité retire l’enfant aux père et mère et aux tiers chez qui il se trouve et le place de façon appropriée.
Par cette décision, l’autorité tutélaire retire ainsi le droit pour les parents de décider du lieu de vie de l’enfant. Cette mesure ne doit être envisagée que s’il existe un réel danger pour l’enfant de continuer à vivre en communauté auprès de ses parents. Dans les cas de graves dépendances, que ce soit à l’alcool ou à d’autres substances, les parents sont souvent amenés à délaisser et à désinvestir leur enfant avec, comme conséquences, de graves carences sur le plan éducatif ainsi qu’au niveau du développement.
Dans les situations de graves dépendances des ou du parent(s), nous sommes d’avis qu’il est vital que les intérêts de l’enfant soient protégés et cela passe souvent par un retrait du droit de garde et le placement de l’enfant dans un lieu approprié. Cette mesure devra toutefois être accompagnée dans les meilleurs délais d’un travail avec le ou les parent(s) biologique(s) afin que ceux-ci recouvrent au plus vite leurs compétences parentales.
Il faut ainsi que l’autorité qui retire la garde fixe de manière claire et précise les différentes conditions auxquelles l’enfant pourra réintégrer le foyer familial (cure de désintoxication, contrat méthadone, psychothérapie…). Le placement familial ou institutionnel non volontaire fondé sur une mesure de retrait de garde constitue de plus en plus une ultima ratio, le recours au retrait de l’autorité parentale étant devenu exceptionnel. En effet, en l’an 2000, les articles 311 et 312 ont été appliqués dans une centaine de cas seulement pour l’ensemble de la Suisse. Aussi, nous ne souhaitons pas développer le contenu de l’art. 311 et 312 qui permet à l’autorité tutélaire ou à l’autorité de surveillance de retirer l’autorité parentale et de nommer un tuteur à l’enfant.
Le Code pénal suisse érige en infraction certains comportements sanctionnés par quelques articles punissant des agissements spécifiques à l’encontre des mineurs.
La plupart de ces dispositions ont été introduites ou modifiées par les lois du 23 juin 1989 et du 21 juin 1991. Elles sont entrées en vigueur au 1er janvier 1990 et au 1er octobre 1992. Cette révision s’est attachée plus particulièrement à sanctionner les infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, contre la famille et contre les mœurs. Le législateur a ainsi voulu protéger les enfants qui ont besoin d’une protection spéciale. Cette volonté de protection accrue se traduit notamment par la poursuite d’office des lésions corporelles simples au sens de l’art. 123 du Code pénal suisse, ainsi que des voies de fait répétées au sens de l’art. 126 du Code pénal suisse lorsque l’auteur s’en est pris à une personne hors d’état de se défendre ou à une personne notamment à un enfant dont il avait la garde ou sur laquelle il avait le devoir de veiller.
Clairement, le législateur a ainsi exprimé une volonté de protéger l’enfant tout en reconnaissant un certain droit de correction pour les parents. Toutefois, il n’en demeure pas moins que lorsque les coups excèdent manifestement ce droit de correction et d’éducation, notamment lorsqu’ils sont répétés, c’est-à-dire quasi habituels, pour ne pas dire systématiques, ceux-ci ont des conséquences dramatiques pour les enfants et, de ce fait, doivent être réprimés sur le plan pénal 15.
Ainsi, si une simple paire de gifles ne constitue pas une voie de fait se poursuivant d’office, le recours à de telles méthodes éducatives de manière réitérée est proscrite par notre droit ainsi que toutes autres formes de maltraitances physiques, telles que des lésions corporelles simples.
Notre but n’est pas ici de stigmatiser les familles dans lesquelles les problèmes de dépendances sont présents, mais notre expérience nous montre que, dans des familles dépendantes à l’alcool ou à d’autres substances, les risques de passage à l’acte dans le sens d’une maltraitance physique sont plus importants.
Un autre article particulièrement interpellant en rapport avec la problématique discutée. L’art. 136 du Code pénal suisse stipule que celui qui aura remis à un enfant de moins de 16 ans ou aura mis à sa disposition des boissons alcooliques ou d’autres substances en une quantité propre à mettre en danger la santé, ou des stupéfiants au sens de la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants, sera puni de l’emprisonnement ou de l’amende.
En effet, par la révision de 1989, cet article a vu sa sévérité renforcée. Ainsi, n’est plus désormais puni le seul fait de remettre de l’alcool, mais la remise de toutes substances dangereuses pour la santé, telles que des stupéfiants ou d’autres substances. Le message du Conseil fédéral fait également allusion aux médicaments délivrés sans indication médicale et le tabac 16.
Le comportement punissable consiste donc ici à remettre une substance nocive à un enfant. Cela inclut le fait d’en donner, d’en vendre, d’en échanger ou d’en prêter. Il n’est même pas nécessaire que l’auteur remette directement la substance à l’enfant. Il suffit qu’il la mette à sa disposition, c’est-à-dire qu’il lui donne la possibilité d’y accéder, même pour une consommation ultérieure 17. Il est ainsi sans importance de savoir si l’enfant ou non a consommé la substance nocive qui lui a été remise 18.
Lorsqu’il s’agit de l’alcool, les dispositions précisent toutefois que la quantité de substance en cause doit être propre à mettre en danger la santé. Ici, la possibilité d’un danger suffit. L’infraction réprime donc une mise en danger abstraite. Le risque d’une ivresse passagère suffit 19.
Ce délit est également un délit qui se poursuit d’office. Nous sommes d’avis qu’un important travail d’information devrait être fait auprès des parents qui laissent à portée de mains d’enfants de moins de 16 ans de telles substances. A fortiori auprès des familles dans lesquelles il existe un problème de dépendance à l’alcool ou à une autre substance.
Nous ne pouvons ici qu’appeler une prise de conscience et un appel à la cohérence du monde adulte au regard de la protection à apporter à l’égard des enfants vis-à-vis des substances concernées par cet article. Une dernière disposition nous est parue devoir être invoquée dans le cadre de cet article. C’est celle de l’art. 219 du Code pénal suisse qui traite de la violation du devoir d’assistance ou d’éducation dont le libellé est: que celui qui aura violé son devoir d’assister ou d’élever une personne mineure dont il aura ainsi mis en danger le développement physique ou psychique ou qui aura manqué à ce devoir sera puni de l’emprisonnement.
Le comportement punissable consiste ici à violer donc ce devoir d’assistance et d’éducation. La jurisprudence cite en exemple le cas d’une personne en charge de devoir veiller sur le mineur et qui maltraite l’enfant ou l’exploite par un travail excessif ou épuisant 20. La violation peut aussi consister en une omission 20. La jurisprudence évoque à titre d’exemple un auteur qui abandonne le mineur, néglige de lui donner des soins ou ne prend pas les mesures de sécurité qui s’imposent face à un danger 21.
Pour que la mise en danger et le développement du mineur soit effective, la violation pour une action ou une omission du devoir d’assistance ou d’éducation, doit causer une mise en danger concrète pour le développement physique ou psychique du mineur.
L’art. 219 ne réprime donc pas n’importe quelle violation du devoir d’assistance ou d’éducation, mais seulement la violation qui entraîne les conséquences prévues par la loi 22.
Des parents absorbés par leur dépendance et sans une prise en charge adéquate pourraient, dans bon nombre de situations, tomber sous le coup de cette disposition notamment en raison du non investissement de ceux-ci dans la prise en charge de leur(s) enfant(s).
Nous espérons, par cet article, permettre aux différents intervenants, dans des situations impliquant des personnes alcoolodépendantes et des enfants, d’avoir une meilleure connaissance des différentes dispositions existant en droit suisse pour la protection de l’enfant, au regard de la problématique spécifique de leurs parents.
Il tombe sous le sens que de simples dispositions juridiques ne sont pas suffisantes pour protéger l’enfant et qu’il revient aux services spécialisés d’être particulièrement attentifs dans ce type de situations. Parfois, le souci de vouloir maintenir aussi longtemps que possible une relation de proximité entre l’enfant et son milieu familial peut avoir des conséquences dramatiques pour l’enfant. Toute action sociale devra être empreinte des différents principes exposés ci-dessus. Il s’agira chaque fois, pour reprendre les propos du Prof. Stettler lors d’un exposé présenté à l’attention des directeurs et des directrices des offices des mineurs, «de bien définir les pourtours du bien de l’enfant en fonction d’un contexte socioculturel et économique déterminé ainsi que de fixer le seuil à partir duquel son mode d’encadrement doit susciter une inquiétude légitime conduisant à la prise de mesures de protection plus contraignantes.»
Nous sommes d’avis qu’une situation dans laquelle un ou les deux parents sont dépendants d’une substance telle que l’alcool ou d’un autre stupéfiant mérite une attention toute particulière au regard de la protection de l’enfant.