septembre 2022
Dr Daniel Pires Martins (HUG)
Depuis 2014, l’utilisation des substances psychédéliques dans le cadre d’une application médicale limitée est autorisée en Suisse. La PAP est une forme particulière d’un usage compassionnel du principe actif des psychédéliques. Les psychédéliques ont le statut de substances interdites. L’utilisation de ces substances exige l’obtention d’une autorisation exceptionnelle auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP – selon l’art.8, al.5, de la LStup). Cette autorisation découle d’une demande d’autorisation individuelle et n’est délivrée que lorsque certains critères médicaux spécifiques sont réunis. Cette procédure doit répondre à la loi fédérale sur les stupéfiants, suivre les règles déontologiques et reposer sur la médecine basée sur l’évidence. Seul le médecin qui administre la substance peut faire la demande, avec le consentement écrit du patient. Le médecin doit pouvoir justifier l’indication de l’usage et prouver l’utilité et la nécessité de la prescription du psychédélique chez un patient donné. Un rapport final doit également être soumis à l’OFSP après la fin du traitement et statuer sur toute la procédure. La PAP est ainsi réglementée autour de la prescription de ces substances.
Des études récentes soutiennent l’association de la psychothérapie et des psychédéliques. Ces deux outils de soins présentent une réciprocité d’action et un potentiel de combinaison favorisant le processus thérapeutique. Ensemble psychothérapie et psychédéliques diminuent notamment la tendance au jugement face aux expériences personnelles et augmentent la capacité métacognitive d’observer ses propres pensés et d’adopter de nouvelles perspectives sur l’expérience subjective 1.
Le potentiel thérapeutique de la PAP influe actuellement sur trois domaines cliniques. Ces domaines sont les dépendances, l’agressivité et la dépression.
Le traitement des problématiques de la consommation d’alcool fait partie des applications les plus importantes de la PAP. Des méta-analyses de recherches menées dans les années 1960 à 1970 ont constaté qu’une seule dose de LSD était associée à une diminution d’abus d’alcool à la fin du traitement et après 6 mois de suivi 2. Des études plus récentes corroborent les améliorations cliniques chez les personnes présentant des addictions après la prise de psychédéliques 3.
L’usage de psychédéliques a également un impact sur l’agressivité. Ces substances réduisent l’autoagressivité. Des études épidémiologiques ont constaté que les personnes ayant des antécédents d’utilisation de psychédéliques avaient ressenti une détresse psychologique réduite au cours des derniers mois et une diminution de la suicidalité 4. Les psychédéliques réduisent également la violence interpersonnelle. Une récente étude a rapporté une relation inverse entre l’utilisation de psychédéliques et les arrestations pour un crime violent 5.
Les troubles de l’humeur sont une autre sphère clinique où la combinaison de la psychothérapie et des psychédéliques peut être bénéfique. Des études sur l’usage de psychédéliques dans la dépression unipolaire ont pu mettre en évidence des améliorations considérables dans un grand nombre de participants 6. Une étude récente a également pu souligner l’effet antidépresseur des psychédéliques, en comparant notamment un psychédélique classique, comme la psilocybine, à un antidépresseur standard 7.
À la lumière des données scientifiques actuelles, les indications pouvant bénéficier de la PAP sont la dépression, l’anxiété et la dépression liées à des diagnostics vitaux et les addictions. La PAP peut, dans ces différents tableaux cliniques, aider la personne en souffrance psychique à atténuer par exemple sa symptomatologie anxio-dépressive. La PAP proportionne une exposition à des stimuli internes intenses et inhabituels. Cela provoque un effet disruptif, permettant d’ouvrir des fenêtres thérapeutiques, lors desquelles des phénomènes de basculement entre différents ordres psychiques pourraient avoir lieu, permettant la compréhension et la révision de convictions fondamentales et la réorganisation du réseau d’expériences. La PAP peut permettre de traiter des troubles internalisés ancrés sur des croyances, des biais et des rituels excessivement dominants et résistants à la révision souhaitée en psychothérapie conventionnelle. L’effet bénéfique s’explique en partie par la dérégulation et le recalibrage des circuits qui encodent des habitudes de pensée et des comportements non adaptatifs fréquemment rencontrés dans la dépression, dans les addictions et dans le syndrome de stress posttraumatique 8.
L’approche thérapeutique à Genève est dite psychédélique. Elle a ses origines dans le courant et l’école humaniste existentielle du 20ème siècle. Dans cette approche, la personne, déjà suivie en psychothérapie, bénéficie de la prise de doses élevées d’un psychédélique pour créer une expérience écrasante et transcendante. La PAP est ainsi une prise en charge psychothérapeutique intensive qui se greffe à un suivi psychothérapeutique conventionnel déjà établi afin de pouvoir répondre à une éventuelle impasse thérapeutique. L’objectif est de proportionner à la personne, la possibilité de vivre une expérience interne nouvelle. Le vécu de cette expérience est repris en séance de psychothérapie intégrative. Le matériel psychique ayant émergé lors de la séance d’administration est travaillé et restitué au patient. Cela peut permettre d’obtenir de nouveaux insights, de relancer le processus thérapeutique et de contribuer à l’amélioration de l’équilibre psychique du patient.
L’environnement médical et psychothérapeutique, le setting, se veut au sein de notre service neutre et rassurant afin de ne pas influencer la personne et lui permettre d’investir le cadre selon ses besoins. La personne pouvant bénéficier du programme doit être suivie en psychothérapie et avoir réalisé un travail sur soi. Cette assise psychologique, le set, permet à la personne d’être plus susceptible de percevoir et de traiter de nouveaux contenus psychiques. Ce traitement psychothérapeutique n’est pas un traitement anodin et n’est pas la panacée. Par exemple, une mauvaise exposition, c’est-à-dire un set et un setting inadaptés, peut augmenter les traumatismes par un phénomène de sensibilisation.
Un traitement complet par PAP dure une année et est constitué par trois cycles de soins. Chaque cycle est composé de séances préparatoires, d’une séance d’administration du psychédélique, d’une séance psychothérapeutique d’intégration et d’une séance psychothérapeutique d’amplification.
Les séances préparatoires permettent de présenter l’équipe soignante au patient, de visiter les installations et de mimer les aspects de la séance d’administration du psychédélique, de fournir si nécessaire des outils thérapeutiques dans la gestion de situations anxiogènes et de revisiter les objectifs de soin et comprendre les aspects importants de la biographie du patient pouvant être réactivés pendant la séance d’administration du psychédélique.
La séance d’administration du psychédélique se fait dans une ambiance sécure, de confiance et d’ouverture. Une évaluation médicale du patient a lieu à son arrivée afin de permettre son entrée en salle de soin. Il y a une surveillance des constantes selon un protocole tout au long de la séance. Une évaluation médicale en fin de séance permet au patient de rentrer à son domicile accompagné par un proche ou en transport organisé par notre équipe. Tout au long de l’expérience psychédélique, nous faisons l’économie d’interactions avec le patient, sauf si le patient en ressent le besoin. Ceci dit, les thérapeutes sont constamment en salle, surveillant l’immersion du patient, garant du cadre thérapeutique. La principale consigne donnée au patient avant le début de la séance d’administration est de se centrer en lui et d’accueillir les différents moments lors de son immersion, sans attentes ni appréhension.
La séance psychothérapeutique d’intégration a lieu généralement le lendemain de la séance d’administration. Cette séance est enregistrée et nous préconisons que son psychothérapeute habituel puisse être présent. Le patient expose la narration de son expérience et nous essayons avec lui de relier son vécu à ses objectifs de soins. Par la suite, l’enregistrement est remis au patient afin qu’il puisse l’écouter et continuer à travailler en psychothérapie les contenus psychiques ayant émergé.
La séance psychothérapeutique d’amplification a lieu généralement quatre semaines plus tard et nous revisitons avec le patient ses acquis psychothérapeutiques afin de consolider l’évolution du patient.
La prise en charge débute cependant lors des séances d’évaluation. Les séances d’évaluation permettent de considérer l’indication ou l’exclusion du patient au programme PAP. Ces séances, en amont du programme, sont fondamentales dans la rencontre du patient, dans l’accès à sa souffrance, dans la compréhension de sa personnalité et de son fonctionnement, dans la mise en place d’hypothèses psychothérapeutiques et la création d’un lien thérapeutique.
La psychothérapie assistée psychédélique assume deux moments en lien avec la souffrance de la personne, une double dimension dans le processus psychothérapeutique. La PAP doit s’inscrire dans sa condition d’être limitée dans son action par le temps, faisant partie d’un processus psychothérapeutique plus globale. Nous devons ainsi rencontrer le patient, sa souffrance, sa personnalité et son fonctionnement. Cela, en considérant sa souffrance subjective et collective au quotidien et ayant conscience que cette souffrance accentue sa perte de sens à sa vie. La souffrance psychique du patient servira cependant de support à l’édification de la personne, le symptôme se doit d’être investi d’un rôle nouveau. Ce processus réintroduit un temps différent, cessant d’être cristallisé. La PAP permet une vision différente pouvant offrir un gain de sens et un nouveau devenir de cette souffrance psychique.
Le patient arrive, cherchant à comprendre ce qui lui arrive, à comprendre sa perte de sens, c’est l’impasse thérapeutique. Sa chair psychologique est à vif. La PAP permet d’augmenter une prise de conscience, elle est représentée ici par la dissolution d’un moi : expérience de dévoilement rencontré lors de la séance psychédélique, où la personne se distancie de ses représentations et de ses pseudoconstructions identitaires et fondatrices. Cette dissociation libère la temporalité limitée du vécu traumatique. La souffrance définissait auparavant la personne, lors de la séance, la personne peut acquérir une distance et accéder à un nouveau temps. Cette expérience épistémique, permettant de revisiter ses connaissances face à sa réalité, est la possibilité in fine pour la personne de se réapproprier de sa subjectivité. La souffrance psychique fait office d’interface associative.
C’est l’épiphanie thérapeutique, un dévoilement d’un sens et l’initiation d’un nouveau processus créatif. L’expérience psychédélique expose ainsi le vivant dans la souffrance; comme possible tentative d’une coalescence entre ce que la personne était jusqu’à présent et les possibilités d’être différemment. L’expérience psychédélique, comme l’exploration de soi dans une tension vers son propre sens. Ici, l’expérience psychédélique n’est pas seulement celle de l’oubli de soi, mais intègre une nouvelle dynamique: la réaffirmation paradoxale d’une subjectivité tentant de se dépasser, de se dépouiller d’une construction source de souffrance. Le processus n’est plus subi, mais recherché et participe de prémisses de l’individuation du sujet.
Nos recherches contemplent actuellement les motifs de consommation des psychédéliques au sein de la population ; cela afin d’apporter de plus amples connaissances sur les différents profils d’usage. Notre équipe étudie également l’effet clinique de ces substances et leurs apports psychothérapeutiques comme possible expérience noé-tique, c’est-à-dire qui offre la possibilité de remettre du sens dans la vie chez des personnes souffrant d’addiction de longue date.
Il y a à l’heure actuelle un grand engouement pour la redécouverte de ce type de psychothérapie, cependant il nous faut accroitre les connaissances des effets neurobiologiques des psychédéliques. Nous devons à l’avenir envisager de limiter les facteurs de confusion et les biais dans les essais psychédéliques. Les populations de patients sont hautement sélectionnées, cela limite la généralisation. L’exclusion des patients présentant des facteurs de risque connus (p. ex. : antécédents personnels ou familiaux de psychose), limitent la compréhension des risques et des bénéfices de ces substances dans les soins cliniques de routine d’une population de patients psychiatriques. Nous devons également consolider les données concernant le potentiel thérapeutique, les différents profils pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des psychédéliques (p.ex: relation dose-réponse et effets secondaires).
Nous pouvons percevoir sur le plan médical un grand potentiel. L’action des psychédéliques utilisent des centres de signalisation clés (TrkB, mTOR et 5-HT2A) pouvant servir de cibles potentielles au développement de psychoplastogènes, d’antidépresseurs à action rapide et d’anxiolytiques. L’hypothèse de base est que les effets antidépresseurs et anxiolytiques cliniques de ces molécules pourraient partiellement résulter de leur capacité à promouvoir la plasticité structurelle et fonctionnelle des neurones corticaux préfrontaux. En songeant au futur, les psychédéliques pourraient être utilisés comme bases pour identifier les neurothérapeutiques de nouvelle génération 9.
Tout ceci s’annonce passionnant et espérons source d‘espoir et de potentialités dans le domaine de la santé mentale.