septembre 2022
Les thérapies psychédéliques sont en train d’entrer dans le mainstream médical. Ce qui a été longtemps un souhait très cher de la « communauté psychédélique », devient maintenant une réalité. Mais dans cette réalité se trouvent déjà de multiples prises de position. Voici les grands enjeux et interrogations quant à l’implémentation de la psychothérapie augmentée par substances (PAS) :
Force est de constater que de nombreuses entreprises font du lobbyisme auprès des universités ou auprès des instances régulatrices. Il est à craindre que ce type de mainmise formate la pratique de la PAS d’une manière servant les intérêts de l’industrie et des universités – au détriment des patients et de la population en souffrance. Il serait donc souhaitable de sensibiliser les divers acteurs à la problématique du lobbying dans les développements de la régulation des pratiques psychédéliques, tout en ayant conscience du coût nécessaire pour respecter de hauts standards de qualité.
L’actuelle recrudescence de maladies psychiques est très probablement en lien avec un dysfonctionnement sociétal profond. Il ne suffit donc pas de soigner un patient en souffrance avec la PAS, puis de le renvoyer dans un environnement qui continuerait à le maltraiter. L’expérience psychédélique a le potentiel d’être bénéfique pour la population dans son ensemble et pas seulement pour les personnes les plus exposées (les patients en psychiatrie). Nous soutenons l’idée d’une approche « Eleusis » qui signifierait que chaque être humain, hormis ceux présentant d’importantes contre-indications, aurait le droit d’accéder à au moins une fois dans sa vie à une expérience psychédélique dans des conditions sécures. La question de la « Bewusstseinskultur » (« culture de conscience ») va de pair avec cette idée : de quelle manière souhaitons-nous développer et formater l’usage de notre conscience ? Quelles sont les valeurs et les approches méthodologiques pour avancer dans notre quête épistémologique, en tant qu’individu et en tant que société ?
La psychiatrie et la science empirique ont cultivé un mépris profond vis-à-vis des approches psychédéliques pendant plus de quatre décennies (1970-2015 envi-ron). Actuellement psychiatrie et science empirique se montrent très intéressées à intégrer ces approches dans leurs paradigmes. Ne serait-il pas nécessaire de questionner et de faire avancer les paradigmes établis actuellement en psychiatrie et en science empirique ? L’approche psychédélique pourrait être un véhicule permettant de faire évoluer considérablement notre conceptualisation de la science et de la souffrance humaine. L’extension du paradigme empirique par une approche phénoménologique – comme elle se trouve intrinsèquement liée à l’expérience psychédélique – pourrait représenter une voie pour un renouvellement de fond de ces paradigmes.
Les approches psychédéliques ont survécu durant la période d’interdiction stricte grâce à la pratique de thérapeutes qui ont continué à travailler avec ces techniques dans la clandestinité. Ces thérapeutes ont souvent pris des risques personnels considérables pour soulager les souffrances de leurs patients. En le faisant, ils ont cumulé pendant des années des connaissances pratiques et des expériences thérapeutiques d’une valeur incommensurable. Aujourd’hui, ces praticiens sont souvent mis à l’écart des instances régulatrices et des institutions traditionnellement actives dans le domaine de la formation continue. Celles-ci sont souvent dépourvues de connaissances acquises « au lit du malade », à savoir sur le terrain. Comment donc inclure ces praticiens et leurs connaissances dans les cadres réglementaires et éthiques à construire, surtout en ce qui concerne les besoins de formation ?
PD Dr Ansgar Rougemont-Bücking, Vevey
Dr Catherine Duffour, Epalinges
Dr Olivier Chambon, Lyon (France)
Dr Michael Ljuslin, Hôpitaux Universitaires de Genève
Dr Didier Cuenod, Genève
Dr Charles Scelles, Nyon
Dr Yves Le Bloc’h, Vevey
Dr Pierre-Alain Nicod, Monthey
Dr Yann-Karim Pittet, Lausanne
Dr Maurice Stauffacher, Lausanne
Dr Toni Berthel, président de la Société Suisse de la Médecine de l’Addiction (SSAM)
Jean-Félix Savary, Groupement Romand des Etudes des Ad-dictions (GREA)