septembre 2022
Federico Seragnoli (HUG)
Pouvoir trouver un sens aux actions de notre vie quotidienne est probablement l’une des plus belles expériences qu’un être humain puisse vivre. Se trouver dans cette position est en partie une conséquence de la période historique spécifique dans laquelle nous avons eu le hasard de naître. Pour le reste, « il s’agit d’être curieux et d’apprendre autant que possible, en gardant notre esprit, nos yeux et nos oreilles grands ouverts » 1.
Amrani Adam et moi-même avons eu la chance de trouver quelque chose qui a vraiment suscité une passion pendant nos études à l’Université de Lausanne: la psychothérapie assistée par les psychédéliques. Nous étions très étonnés de découvrir ce paradigme scientifique en pleine renaissance. Le premier article découvert, resté attaché longuement au mur de ma chambre d’étudiant, a impliqué une tournure qui allait changer mon parcours professionnel. Issu de la revue Psychoscope 2 de mars 2019, dont l’association d’étudiants de psychologie recevait l’abonnement à son bureau, l’article exprimait déjà une information importante: en Suisse, il est possible d’utiliser une substance psychédélique après avoir obtenu l’accord de l’OFSP, en tant qu’utilisation exceptionnelle d’une substance illicite (LStup). Ce seul constat mérite à lui-même une attention particulière: l’idée de pouvoir utiliser du LSD, de la MDMA ou encore de la psilocybine (dérivée de champignons hallucinogènes) en psychothérapie sous la supervision d’un psychiatre est tout simplement une utopie dans la grande majorité des États du monde (à l’heure actuelle dans leur totalité, si l’on considère juste le LSD). Dans l’article, il est aussi fait mention d’une renaissance en cours, par les mots du bâlois Matthias Liechti, le chercheur en pharmacologie de ces substances le plus réputé au monde.
Nous commençons à réaliser que la Suisse est un pays d’exception au niveau international. On se rend compte qu’il y a nombre de professionnels intéressés par les psychédéliques, avec des formations dans toutes sortes de disciplines différentes, de la psychiatrie à la botanique, de l’anthropologie à la chimie. Sans compter que des groupes de recherche universitaires répartis dans plusieurs universités travaillaient déjà sur le sujet, sans que personne ne vulgarise leurs travaux !
Cherchant à en savoir plus et sans parvenir à trouver un cours ou une formation à ce sujet, nous avons décidé de créer une association étudiante universitaire en septembre 2019: PALA – Psychedelic Association of Lausanne for Awareness. Déjà engagés dans les institutions estudiantines, il nous a été très naturel de suivre les conseils d’un autre article, publié sur le blog de MAPS – Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies – intitulé : « So you want to be a psychedelic researcher ? » 3. La réponse pour nous, bien évidemment, était : « si seulement ! ».
Mais quel est le but de créer une association étudiante autour des substances psychédéliques? Voici ce que nous avons écrit dans nos statuts:
La politique suisse des stupéfiants repose sur un cadre de compréhension et de gestion surnommé les quatre piliers. Cette stratégie de référence considère les quatre facettes fondamentales de la question liée à l’usage de substances illicites: réduction des risques, thérapie, prévention et répression. Depuis sa première conception, nos statuts ont porté ce même mandat, en incluant tous les piliers, sauf un: la répression, celle-ci n’étant pas de notre ressort.
Après deux ans de journal club et de projections de documentaires, nous nous sommes engagés en créant la première conférence universitaire sur les psychédéliques en Suisse : ALPS – Awareness Lectures on Psychedelic Science. Cette conférence a eu lieu en octobre 2021 au musée Olympique de Lausanne. L’événement a permis la rencontre des grands acteurs locaux du domaine et a permis l’obtention de crédits de formation continue pour les professionnels de la santé.
Les débuts de cette belle entreprise, qui a été de dévoiler ce domaine à notre communauté, font déjà partie de l’histoire: nous avons mis notre petite pierre à l’édifice et cela nous a rendus heureux.
Ambition est un mot dont l’étymologie vient du latin, ambi « pour aller » et itum « partout ». C’est l’idée de la dissémination d’un message, un désir de faire en sorte que des choses se produisent concrètement. Aujourd’hui, sa connotation est d’emblée perçue comme négative. Par contre, si on se donne la peine de comprendre vraiment ce mot, on découvre sa réelle signification. Plus besoin d’avoir peur de porter une ambition fondamentalement bonne et en accord avec nos valeurs de partage de connaissances scientifiques au service des soins. Des mots qui font l’objet de préjugés, il y en a beaucoup. Un autre, connoté encore plus négativement dans notre société, est le mot « drogue ». Ce mot signifie, selon la conception courante, une substance mauvaise qui crée dépendance et dégâts à la personne. L’alcool n’est donc pas considéré comme une drogue dans notre société alors que d’autres substances bien moins nocives sont encore difficilement accessibles en recherche et en clinique. Beaucoup d’entre nous sont devenus des experts dans le domaine des substances et de l’addiction justement parce que l’on a voulu aller plus loin, avec une certaine curiosité et une soif de connaissances, pour découvrir pleinement la richesse de ce phénomène neurobiologique, psychologique et social.
Pouvoir comprendre la réalité au-delà des catégories simplistes et erronées, vestiges d’un passé politiquement incorrect, est l’une des démarches capitales de la pensée critique et de la science, comme l’illustre la signature savoir vivant de l’Université de Lausanne.
Nous avons donc œuvré pour partager tout cela en dehors de notre propre campus et nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une nouvelle génération d’étudiants, intrinsèquement motivés à en savoir plus sur ces substances et sur leur potentiel dans le domaine de la santé mentale.
À ce jour, toutes les universités francophones de Suisse ont formellement approuvé la création d’associations étudiantes dédiées à la vulgarisation de la science psychédélique et à la prévention des abus liée à ces substances :
Une association a été aussi créée et validée finalement au-delà du Röstigraben: il s’agit de PROBE – Psychedelic Research Organization of Bern (Université de Berne).
Dans l’ensemble, l’enthousiasme et les encouragements de tous les acteurs impliqués, de la société civile, universitaire et médicale, nous ont confortés dans la nécessité de poursuivre nos activités. Au fil du temps, il est devenu évident que la science psychédélique en Suisse avait besoin d’entamer une (méta)conversation plus large, digne du potentiel dont notre pays est porteur, à la pointe sur la scène internationale. La question suivante a donc été: « comment imaginer une entité qui soit un vrai bijou de coopération humaine ? ».
Nous avons donc voulu créer une institution qui puisse s’occuper de ces drogues que sont les substances psychédéliques. Nos valeurs sont fondées sur la pensée critique et scientifique, sur la motivation intrinsèque des membres qui s’investissent dans des activités et sur une posture philosophique qu’on nomme altruisme effectif, présente en Suisse avec des groupes actifs 4. L’idée de fond de cette philosophie est d’appliquer la rationalité pour pouvoir apporter à la société l’impact positif le plus efficace avec les moyens à dispositions. En somme, « faire du bien » à la communauté. En d’autres termes : la mise en avant d’une evidence-based compassion. Or, bien que l’idée soit intuitivement simple, on pourrait discuter pendant des heures dans les hautes sphères de la pensée philosophique, sociologique et politique autour de la signification de l’expression « faire du bien ». Mais ce ne serait pas une approche très efficace en vue de notre but. Nous pourrions alors dériver une manière d’opérationnaliser ce concept. Prenons l’exemple de la Suisse. Du point de vue de la Confédération, une institution « faire du bien » quand son but ne vise pas en premier lieu le profit. En ce sens, nous avons créé en décembre 2021 la Fondation à but non lucratif ALPS – Awareness Lectures on Psychedelics in Switzerland 5. Pour cela, la Suisse reconnaît qu’en effet notre activité a le potentiel d’un tel impact positif pour la communauté, puisqu’elle nous exonère de la remise à la collectivité d’une partie de nos bénéfices sous forme de taxes. Ce statut privilégié est ensuite réévalué chaque année pour valider la conformité de nos actions. Bien sûr, le peer-review est un processus qui nous tient particulièrement à cœur et nous sommes heureux d’avoir pu obtenir cette validation en vue de nos principes coopératifs.
Les objectifs de la Fondation ALPS pour les années à venir seront donc les suivants :
Basée à Genève, la Fondation ALPS partagera donc des connaissances factuelles de haute qualité dans le domaine des études psychédéliques de différentes manières : en organisant la Conférence académique suisse des psychédéliques chaque année, en créant du contenu gratuit disponible sur Internet, en participant à la création d’une possibilité de formation et d’échange pour les professionnels travaillant déjà dans le domaine en collaboration avec différentes universités.
La Fondation ALPS pourra également collecter des fonds en tant qu’entité à but non lucratif pour soutenir des initiatives concernant la recherche, les événements et les arts.
ALPS va également pouvoir assumer une fonction fédératrice de toutes les associations estudiantines dédiées au thème psychédélique. Celles-ci, tout en restant complètement indépendantes, peuvent demander du soutien sous différentes formes: ressources financières, humaines ou intellectuelles, participation directe à nos activités, en faisant compter leur présence dans le Student Board, organisme consultatif, prévu par la structure de la Fondation.
Le dernier rapport du Conseil fédéral intitulé « Avenir de la politique suisse en matière de drogue » 6 adopté par le Conseil des États publié en avril 2021 parle clairement de ce sujet qui nous tient à cœur : « Il devient toujours plus probant que des substances hallucinogènes comme le LSD, la psilocybine ou encore la MDMA sont appropriées pour traiter certains troubles psychiatriques. […] Avec l’intensification de la recherche dans ce domaine, la demande de lever l’interdiction des stupéfiants pour un usage médical devrait se faire plus vive principalement pour les hallucinogènes et la MDMA. »
Participer à la recherche est nécessaire pour faire progresser la connaissance de ces substances en tant qu’outils thérapeutiques. Enfin, nous y voilà.
« La journée avait été mémorable et heureuse : comme toutes les grandes heures faites d’espoir, d’attente de choses belles sur le point de se produire mais qui ne sont pas encore : comme toutes les heures de jeunesse » 7.