mars 2019
Daniele Zullino, Gabriel Thorens et Sophia Achab (Service d’addictologie, Hôpitaux Universitaires de Genève)
Le terme « stimulant » désigne plusieurs groupes de substances qui ont en commun des effets sur la vigilance, mais qui se distinguent aussi s’agissant des effets sur le cours et le contenu de la pensée, sur l’humeur et sur la motricité. On classe habituellement dans le groupe des stimulants, des substances avec des structures chimiques et des propriétés pharmacodynamiques variables. Il s’agit, entre autres, de la caféine, la nicotine, l’ecstasy, la cocaïne, les amphétamines et les cathinones. Dans ce texte, nous allons, par souci de concision, nous limiter aux trois familles de substances illégales les plus connues : la cocaïne, les amphétamines et les cathinones.
La cocaïne est issue de l’arbuste Erythroxylum coca Lam., une plante originaire des régions tropicales d’Amérique latine. Elle fait l’objet d’un usage médical limité en tant qu’anesthésique topique, notamment en ophtalmologie.
Il s’agit d’une substance lipophile qui traverse facilement la barrière hématoencéphalique et la barrière placentaire par simple diffusion.
Par voie orale, la cocaïne est mesurable du point de vue plasmatique au bout de 30 minutes et le pic plasmatique est obtenu en 50 à 90 minutes. Ce pic est atteint en 15 minutes par voie nasale, et l’absorption est variable, de 20 à 60%, du fait de la vasoconstriction secondaire. La base libre consommée par inhalation ne subit pas d’effet de premier passage hépatique1 et les concentrations plasmatiques sont immédiatement élevées (1 à 2 μg / ml).
La demi-vie plasmatique est d’une heure. L’administration d’une dose de 25 mg induit des taux entre 400 et 700 μg / L. La majeure partie de la cocaïne est métabolisée dans le foie pour former les métabolites inactifs l’ecgonine méthyl ester, benzoylecgonine et ecgonine ainsi que le métabolite actif norcocaïne, qui peuvent être identifiés jusqu’à six jours après la prise. La cocaïne et la benzoylecgonine peuvent aussi être retrouvées dans le lait maternel, jusqu’à 36 heures après la consommation. En présence d’alcool se forme un autre métabolite actif, le cocaéthylène. L’élimination urinaire de la cocaïne se fait sous forme inchangée pour 1 à 9% (en augmentation lorsque les urines sont acidifiées). Les métabolites sont détectables jusqu’à 72 à 96 heures dans les urines.
La cocaïne usuellement sniffée est la poudre de chlorhydrate de cocaïne, thermolabile et qui ne peut ainsi pas être fumée. Ses propriétés hydrosolubles permettent cependant une consommation par voie intraveineuse. Le crack et la freebase sont les deux produits de la cocaïne qui peuvent être vaporisés (à 180°C) et inhalés. Le terme freebase désigne la forme libre et ainsi lipophile, par opposition à la forme salifiée de la substance, qu’on obtient en mélangeant le chlorhydrate de cocaïne (le sel de cocaïne) avec de l’ammoniaque. Pour produire du crack, on mélange le chlorhydrate de cocaïne avec du bicarbonate de sodium, ce qui rend le produit plus basique et augmente la partie libre de la cocaïne.
Les effets principaux de la cocaïne résultent de son action sympathique. Elle inhibe la recapture de la dopamine et de la noradrénaline, augmentant leurs concentrations synaptiques. Elle agit également en tant qu’agent anesthésique local par augmentation du flux calcique.
Consommé par voie nasale, les effets du chlorhydrate de cocaïne débutent après 3 minutes et se prolongent pendant 30 à 60 minutes. S’il est inhalé, l’effet se produit après 10 secondes, l’effet maximal (rush) étant atteint après 5 à 10 minutes.
Il existe de grandes variations inter- et intra- individuelles dans les effets ressentis, qui dépendent de la dose et de la voie d’administration. Néanmoins, ils se déploient typiquement en deux phases : le rush, qui est l’apparition rapide d’euphorie, puis le high, marqué par un sentiment de bien-être, d’énergie et d’augmentation d’estime de soi, de tachypsychie, de désinhibition, d’excitation sexuelle (qui peut conduire à des conduites sexuelles à risque) et de suppression de l’appétit. Le tout peut ressembler à un tableau clinique d’allure maniaque.
Sur le plan neurovégétatif, on retrouve une tachycardie, une hypertension artérielle, une dilatation pupillaire et une pâleur cutanée. Une des conséquences de la stimulation adrénergique est l’augmentation rapide du travail cardiaque, et donc de la consommation en oxygène du myocarde. Il y a risque d’infarctus du myocarde, non seulement pour les sujets à coronaires athéromateuses, mais – suite à des spasmes coronariens – aussi chez des sujets sans facteurs de risque connus. De même, le risque d’hémorragie cérébrale spontanée est augmenté chez des sujets normotendus. Des ischémies peuvent finalement survenir dans d’autres organes (intestins et reins).
Les effets psychotropes indésirables sont une confusion, des angoisses, des hallucinations et des idées délirantes de concernement et de persécution. Si des tremblements peuvent survenir à de petites doses, les convulsions tonico-cloniques et la dépression des centres respiratoires sont plutôt signe d’une intoxication massive. La cocaïne est pyrogène (augmente la température du corps) par l’augmentation de l’activité musculaire et l’action directe sur les centres de régulation thermique.
La dose létale minimale est estimée à 1,2 mg, mais des décès ont régulièrement été constatés à des doses de moins de 30 mg. Des accidents mortels ont été décrits à partir de concentrations plasmatiques de 1 mg / l. En revanche, en cas de tolérance marquée, des consommations atteignant les 5 mg par jour sont possibles.
Les amphétamines constituent une sous-classe des phényléthylamines, appelée alphaméthylphénethylamine, qui comprend entre autres la méthamphétamine, la MDMA (méthylènedioxyméthamphétamine, ecstasy), et le DOM (diméthoxy-4-méthylamphétamine). Il s’agit ainsi d’un groupe de substances qui au-delà des effets stimulants peuvent aussi avoir des effets entactogènes et /ou hallucinogènes.
La méthamphétamine est synthétisée principalement à partir de pseudoéphédrine, un décongestionnant nasal. Pure, elle se présente sous forme solide cristalline (crystal), incolore et inodore, qui peut rappeler du verre pilé ou de la glace (ice). Elle se dissout facilement dans l’eau ou l’alcool.
Après une dose orale unique de 10 mg, les taux plasmatiques maximaux sont de 0,02 mg / L. En prise orale les doses vont de 10-100 mg, des usagers avec forte tolérance pouvant consommer plus de 150 mg. Par voie nasale, par inhalation ou par voie intraveineuse les doses maximales se situent entre 60-100 mg.
La demi-vie plasmatique de l’amphétamine peut varier entre 4 et 12 heures et dépend du pH urinaire (des urines alcalines réduisent la vitesse d’élimi-nation). Les métabolites principaux sont la 1-phényl-2-propanone et la 4-hydroxyamphétamine. L’amphéta-mine peut être détectée jusqu’à 12 heures dans le sang et la salive, et jusqu’à 1 à 5 jours dans les urines, la méthamphétamine entre 1 à 3 jours dans le sang et la salive, et entre 3 à 5 jours dans les urines. Déterminer la substance consommée, amphétamine ou méthamphétamine, à partir des urines peut être pro-blématique, l’amphétamine étant un des métabolites de la méthamphétamine.
La méthamphétamine est surtout métabolisée dans le foie en amphétamine, 4-hydroxyméthamphétamine, noréphé-drine, 4-hydroxyamphétamine et 4-hydroxynoréphédrine et 30 à 50% sont excrétés sous forme inchangée. Environ 70% d’une dose orale unique sont excrétés dans les urines dans les 24 heures.
Des interactions sont possibles avec de nombreux mé-dicaments. La combinaison avec des inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) augmente le risque de syndrome sérotoninergique. Par ailleurs, la plupart des amphétamines sont métabolisées en grande partie par le cytochrome p450 2D6, enzyme qui est bloquée par un certain nombre d’antidépresseurs, notamment la fluoxé-tine (Fluctine®, etc.) et la paroxétine (Deroxat®, etc.), ce qui augmentera les taux plasmatiques des amphétamines et leur effet potentiellement toxique.
L’amphétamine et la méthamphétamine existent en deux stéréo-isomères, les formes L et D. Les énantiomères D sont des psychostimulants 3 à 5 fois plus puissants que les formes L. L’amphétamine et la méthamphétamine inhibent la recapture de dopamine et de noradrénaline, comme la cocaïne. En plus, elles stimulent la libération de ces catécholamines. La méthamphétamine augmente la disponibilité des monoamines aussi par une inhibition de la monoamine-oxydase (MAO), l’enzyme principale pour le métabolisme de ces neurotransmetteurs.
Ils sont semblables à ceux décrits pour la cocaïne, notamment l’euphorie, l’augmentation de la vigilance et des capacités de concentration, la diminution de la sensation de fatigue et du besoin de sommeil, la diminution de la sensation de faim et l’augmentation de la sociabilité et de la confiance en soi.
Le début de l’effet dépend principalement du mode de consommation : par voie nasale après 10 à 20 minutes, par voie orale après 30 à 45 minutes, fumée ou injectée après 10 à 30 secondes. La durée des effets est de 6 à 30 heures, souvent plus de 24 heures pour la méthamphétamine.
Les effets euphorisants sont habituellement suivis d’une phase d’abattement, d’irritabilité, de déprime, d’anxiété et de léthargie (la descente). Cette phase s’accompagne aussi de crampes musculaires et de nausées. Les symptômes de la descente sont particulièrement marqués après consommation de méthamphétamine.
L’exposition répétée aux amphétamines, et particulièrement à la méthamphétamine, a été corrélée à des effets neurotoxiques potentiellement irréversibles probablement dus à un stress oxydatif lié à la présence excessive de dopamine cytoplasmatique. L’usage chronique de méthamphétamine a été associé à des altérations de processus neurocognitifs, dont l’attention, la mémoire de travail, la mémoire épisodique, la vitesse de traitement de l’information complexe et les fonctions exécutives (surtout l’inhibition de la réponse et la résolution de nouveaux problèmes). Un risque accru d’états psychotiques aigus et persistants a aussi été relevé.
Du point de vue cardiovasculaire, en partie par l’action vasoconstrictrice, peuvent se produire des tachycardies, des arythmies, des hypertensions artérielles et des hémorragies (notamment cérébrales et pulmonaires). Du point de vue pulmonaire, on note d’une part une bronchodilatation et d’autre part une tachypnée.
Un des effets les plus redoutés est l’hyperthermie, potentiellement létale, bien connue en lien avec le MDMA, mais possible avec tous les dérivés amphétaminiques. Le risque est accru par l’activité physique et la diminution du sentiment de fatigue induit par la substance.
L’apparition d’acné est un symptôme secondaire parmi les plus caractéristiques, possiblement par altération de la fonction de la testostérone. Le dérèglement du cycle menstruel souvent observé dans la consommation chronique peut être dû à des mécanismes de stress et de réduction des taux de graisse. Par contre un effet sur la fertilité reste douteux.
Un des produits de coupe, l’isopropylbenzylamine, est un isomère structurel de la méthamphétamine, ce qui lui confère des propriétés chimiques semblables aux amphétamines. L’isopropylbenzylamine n’a cependant pas d’activité stimulante, mais peut être à l’origine d’effets secondaires comme des difficultés respiratoires et des états anxieux.
Elles constituent actuellement l’une des familles de stupéfiants les plus souvent identifiées parmi les nouvelles substances psychoactives (NPS) en Europe et en Amérique du Nord. La cathinone (aussi benzoylethenamine), est un alcaloïde monoamine issue de la plante Catha edulis (Khat), plante surtout cultivée dans la région de la corne d’Afrique et au Yemen.
Sa structure moléculaire s’apparente à celle de l’éphédrine et ainsi à celle des amphétamines. Parmi les dérivés synthétiques de la cathinones, on peut citer la butylone, la méthylone, l’éthylone, le 3,4-methylenedioxypyrovalerone (MDPV) et le plus connu d’entre eux, la méphédrone (4-MMC). Comme les amphétamines, les dérivés de la cathinone peuvent exister sous deux formes stéréoisomériques, qui peuvent avoir des puissances différentes.
Il est intéressant de noter que le bupropion, antidépresseur et médicament utilisé comme aide au sevrage tabagique fait partie du groupe des cathinones sans être associé à des risques de mésusage.
Une dose de méphédrone varie généralement entre 100 et 250 mg, mais la consommation peut aller jusqu’à 1 mg par session.
Après administration orale, la demi-vie est d’environ 30 minutes. Après 9 heures elle n’est plus détectable dans le plasma.
La faible biodisponibilité orale, environ 10%, explique pourquoi l’inhalation est la voie préférée. La méphédrone et le MDPV traversent par ailleurs facilement la barrière hématoencéphalique.
Le métabolisme de la méphédrone passe amplement par les CYP2D6 et CYP2B6.
La plupart de ces substances sont des ligands pour les transporteurs à monoamine, avec une préférence pour les systèmes noradrénergique et dopaminergique. Leur effet stimulant est cependant de puissance inférieure aux analogues amphétaminiques.
Comme pour la cocaïne, l’euphorie très intense procurée par la méphédrone est de courte durée.
Les cathinones synthétiques, exercent leur activité principalement par inhibition de la recapture de monoamines. La méphédrone stimule comme les amphétamines, la libération présynaptique de ces neurotransmetteurs. Pour ce qui concerne l’inhibition de la recapture de dopamine, le MDPV s’est révélé l’inhibiteur le plus puissant parmi les cathinones, avec une activité similaire à la cocaïne.
Les effets principaux recherchés sont l’euphorie, un sentiment d’énergie accrue, un sentiment de puissance intellectuelle et physique, ainsi qu’une augmentation de la libido. Les effets semblent plutôt ressembler aux effets de l’ecstasy qu’à ceux de la cocaïne.
En parachute1, les effets de la méphédrone apparaissent entre 15 à 60 minutes après la prise, et durent jusqu’à six heures. Quand elle est sniffée la latence est de 2 à 5 minutes, et quand elle est fumée ou injectée d’environ 10 à 30 secondes.
Les effets indésirables sont similaires aux autres stimulants, surtout du niveau cardio-vasculaire, psychiatrique et neurologique. Les effets secondaires qui ont été décrits sont les suivants : troubles de la vue, bruxisme, vertiges, céphalées, hyperthermie, insomnie, cauchemars, tremblements, douleur thoracique, palpitations, tachycardie sinusale, hypertension, coagulation intravasculaire disséminée, anorexie, nausée et vomissement.
Les hallucinations induites par les cathinones synthétiques sont principalement de nature auditive et tactile et peuvent être des signes de psychose qui souvent persistent plusieurs jours après l’arrêt de la consommation.
L’utilisation concomitante de cathinones synthétiques et d’autres stimulants peut potentiellement induire des intoxications fatales.
Un des effets les plus problématiques est l’augmentation de la température corporelle qui, lorsqu’elle dépasse 40,5 °C, augmente le taux de mortalité à plus de 50%.
Si les effets recherchés de la consommation de stimu-lants et leurs effets secondaires sont très similaires, il existe une variété importante de molécules qui posent des défis sanitaires, juridiques et sociaux différents. Cet article s’est penché sur les trois familles de molécules les plus courantes. Il montre que la variation des modes de consommation, couplés aux différences pharmacociné-tiques et pharmacodynamiques, doivent être connues des spécialistes pour permettre une meilleure prise en charge tant dans un setting d’urgence que de consommation chronique.