mars 2019
Johanna Gapany (PLR, Fribourg)
La légalisation des drogues reste un tabou pour le politique. Sentant une forme de pression sociale, ce dernier ne peut se résoudre à faire son devoir : encadrer ce qui existe ou prendre les mesures radicales pour bannir un produit non souhaité. La seconde solution étant peu envisageable dans un marché qui a démontré sa capacité à commercialiser tout produit répondant à une demande, l’encadrement semble être l’action la plus efficace. La légalisation ne peut toutefois se faire sans régler d’abord certaines questions essentielles et elle doit être accompagnée de mesures sur le terrain pour atteindre un résultat positif.
Parmi les nombreuses questions se posent notamment celles-ci : pourquoi légaliser ? Pourquoi certains produits sont dépénalisés et d’autres pas ? La légalisation résout-elle tous les problèmes ? Qui sont les gagnants ?
Légaliser consiste à encadrer les produits là où il y a une demande, car si certains se laissent penser que le politique décide de l’existence ou non d’un produit, nous savons que c’est une loi économique — celle de l’offre et de la demande — qui dicte ce que nous retrouvons sur le marché. Qu’il nous plaise ou non, les consommateurs n’ont pas attendu la bénédiction du politique pour acquérir un produit. Dès lors, la régulation d’un marché — celui des drogues dans le cas précis — est l’une des réponses et la mission du politique consiste à trouver le juste milieu pour bénéficier des avantages, tout en limitant les risques.
Cette mission est loin d’être un exercice facile et ne pourrait être menée à bien sans l’aide des associations et de la société en général : tous deux joueront un rôle fondamental dans la réussite de la légalisation, tant au niveau de la prévention que de l’encadrement. Pourquoi légaliser ? Parce que la légalisation a certains avantages incontestables :
Sans prétendre détenir le modèle idéal, les défenseurs reconnaissent que la légalisation présente également des risques à prendre en compte, sans quoi cette politique proactive et consciente pourrait se solder par un échec. En effet, la légalisation ne doit pas être considérée comme une autorisation ou une bénédiction de l’État vis-à-vis d’un comportement jugé à risque. C’est en réservant un encadrement aussi strict que possible aux drogues que nous parviendrons à les rendre peu attractives. En matière de prévention, les associations sauront faire preuve d’imagination et nous pouvons attendre d’elles une communication transparente montrant clairement le triste sort que nous réservent les drogues. Quant aux mesures dissuasives, elles ont démontré leur efficacité avec la cigarette, grâce aux restrictions d’acquisition et aux taxes notamment.
Poser la question, c’est déjà y répondre et si cette première étape ne suffit pas, la liste des produits dits « légaux » amènera chacun à percevoir l’hypocrisie rôdant autour de la dépénalisation de certaines drogues.
La drogue est malsaine ? Elle rend dépendant ? Elle tue ? Oui, parfois, et ce sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas la mettre en libre-service, à portée de tout un chacun, et sans aucun cadre. Mais son interdiction ne peut être due à sa nature malsaine. Sinon, d’autres produits devraient se voir infliger le même traitement. Pour rappel, l’alcool tue plus de 1’600 personnes par an, les couts sociaux s’élèvent à 4,2 milliards, 250’000 personnes sont alcoolodépendantes. Le tabac, quant à lui, tue plus de 9’500 personnes par an, les couts sociaux s’élèvent à plus de 5,5 milliards, 1’813’000 personnes en consomment.
Mais revenons à la cocaïne : celle-ci représente-t-elle un risque plus important que d’autres drogues pour la société au point de devoir punir ceux qui la consomment ou enfermer ceux qui la commercialisent ? Non, car si elle peut altérer le comportement et nuire gravement à la santé, les consommateurs ne sont pas des criminels. Ils ne sont pas non plus des consommateurs d’un produit quelconque. C’est la raison pour laquelle la commercialisation devrait être encadrée et accompagnée de mesures comme la prévention, ainsi qu’une prise en charge rapide et efficace. Avec de telles mesures, nous entrerions concrètement dans le combat et permettrions aux personnes touchées de s’éloigner aussi vite que possible de substances nuisibles, ou du moins d’en modérer la consommation si un sevrage n’est pas envisageable.
La cocaïne n’est pas un produit sain et nul ne le conteste. Mais si le politique était responsable d’autoriser ce qui est sain et d’interdire ce qui ne l’est pas, alors nous devrions retirer bon nombre de produits du marché au fil des tendances et des croyances. Nous l’avons fait pendant des années puis les chiffres nous ont fait comprendre que l’interdiction ne servait qu’une seule cause : celle du marché noir. Prenons l’absinthe, elle en est un exemple : interdite jusqu’au 1er mars 2005, elle est légalisée malgré la grogne des distillateurs clandestins qui perçoivent déjà les normes et contrôles qui vont leur être imposés pour vendre dorénavant ce produit. La légalisation de l’absinthe signifie-t-elle qu’elle peut être consommée sans risque ? En aucun cas, et tout comme la dépénalisation de la cocaïne ne signifierait pas qu’elle soit sans risque : la légalisation consiste à reconnaitre leur existence et à l’encadrer.
La légalisation résout-elle tous les problèmes ?
Loin d’en faire une solution clé en main, le politique légalise ce qui existe pour lui attribuer le cadre le plus adéquat, voir le plus restrictif dans le cas de drogues dures. En matière de prise en charge, la légalisation permettrait une avancée puisqu’elle ferait passer le consommateur d’un statut de criminel à celui de malade.
D’autres l’ont fait avant nous puisque la Suisse connait les mêmes problèmes que d’autres pays et la nature humaine n’est pas différente une fois les frontières passées. Les exemples connus à ce jour laissent penser que la légalisation permet : une meilleure prévention, une prise en charge plus efficace et une intervention plus rapide.
Outre la légalisation, la dépénalisation représente déjà un pas vers une prise de conscience souhaitable. Le Portugal en est un exemple : il a été longtemps considéré comme plaque tournante du trafic international et a été méchamment marqué par les effets des drogues dans sa population. L’échec de la politique punitive était criant et confirmé par ce triste taux : 1 % de la population consommait de la cocaïne à la fin des années 90,1 % semble peu, mais lorsqu’une personne sur 100 est touchée, nous le sommes tous dans notre entourage par un ami, un cousin, un frère, un père… Puis, le gouvernement a décidé de dépénaliser l’usage des drogues en 2001, en l’accompagnant d’un programme solide pour garantir une prise en charge gratuite. Le pays figure aujourd’hui en haut du classement des pays dont le taux de décès dus aux drogues est cinq fois plus faible que la moyenne de l’Union européenne.
À ce jour, la peine est modeste, mais les consommateurs demeurent punis par une amende selon l’article 19a de la loi sur les stupéfiants. Celui qui met sa santé en péril en consommant un produit dangereux est donc considéré comme un criminel. Pourtant, la politique punitive échoue : la consommation ne diminue pas et le marché noir est toujours aussi présent. Sans compter que cette politique est couteuse, inefficace et fait de nombreuses victimes.
Bien davantage que seuls les consommateurs, la société en général serait gagnante, car elle subit actuellement les effets collatéraux de la guerre contre les drogues : insécurité créée par le marché noir, cout des contrôles de police, couts sociaux d’une prise en charge tardive, etc. La légalisation permettrait non seulement de mieux cadrer le marché, mais en plus de financer la prévention, via des taxes.
À ce stade, certains seraient tentés de saisir le dernier argument émotionnel en brandissant la menace d’une banalisation ? Parlons-en ! Remarquable, fascinant, passionnant… ce sont des antonymes du terme banal. Ce terme pourrait être des plus appropriés pour définir des substances ni remarquables, ni fascinantes, ni passionnantes, mais juste fades.
Le temps est venu de nous donner les moyens de mener une véritable guerre contre la drogue. Notre courage évitera aux générations futures de perdre leur temps et leur santé dans des expérimentations douteuses qui ne font qu’affaiblir la société. Cela passera par une règlementation stricte et une politique courageuse en matière de prévention.