mars 2019
Camille Fontaine, Jean-Marie Coste, Yvan Grecuccio, Anne Pelet (Addiction Neuchâtel)
La méthamphétamine est apparue en suisse en 1998 sous la forme de pilules, portant le nom d’amphétamines thaïes, principalement accessible à travers les salons de massages thaïlandais. À partir de 2010, elle a été proposée de plus en plus sous forme de crystal dans le canton de Neuchâtel. Cette forme se révèle être plus addictive, la pureté étant quatre fois plus importante que celle des amphétamines thaïes.
À Neuchâtel, le nombre de consommateurs est passé d’environ 100 personnes en 2000 à environ 1000 en 2015 selon les statistiques de la police neuchâteloise. Des analyses des eaux usées en 2014 ont également alarmé les autorités en plaçant Neuchâtel comme la ville avec la consommation de méthamphétamine par habitant la plus élevée de Suisse. L’augmentation du nombre de mineurs chez les consommateurs est également problématique. Paradoxalement, nous avons constaté que peu de consommateurs recherchaient de l’aide dans les centres de traitement. Ces observations ont conduit à une réflexion entre la police, la justice et la Fondation Addiction Neuchâtel concernant une prise en charge spécifique pour les consommateurs de méthamphétamine, en particulier en lien avec l’article 19a de la loi sur les stupéfiants, permettant un signalement précoce de consommateurs dans le but d’une prise en charge rapide.
Le procureur général du canton a ainsi émis une directive permettant aux personnes prévenues pour la première ou deuxième fois de consommation de méthamphétamine de participer à un programme psychoéducatif (Warning-Meth) au lieu de se voir infliger une amende d’ordre de 250 frs. Cette disposition n’est pas applicable si l’auteur a commis d’autres infractions qualifiées de délits ou de crimes. Si le consommateur opte pour le suivi et qu’il participe à l’intégralité du programme, la police renonce à la dénonciation.
Une revue de la littérature a permis d’identifier plusieurs obstacles à la prise en charge précoce des consommateurs de méthamphétamine. Ceux-ci ne perçoivent pas leur consommation comme problématique, malgré des niveaux apparents de dépendance. L’autodésintoxication à l’aide d’autres drogues, le manque de confiance dans la capacité des services de traitement à répondre à la problématique, ainsi qu’un souhait que le personnel de soins soit mieux formé pour cela, sont quelque chose de courant (Kenny, P et al., 2011).
Des études montrent aussi un impact positif de prises en charge brève (2-4 sessions) de type thérapie cognitivocomportementale (TCC) ou thérapie de l’acceptation et de l’engagement (ACT) (Lee et Rawson 2008, Baker Baker et al, 2005, Smout et al.2010).
La problématique de l’aide sous contrainte est également présente dans un partenariat avec la justice. Toutefois, la littérature montre que la perception du bénéfice de réduction de la consommation ainsi que le choix personnel de suivre le traitement est un facteur plus important que la contrainte (Wild et al. 2006), de même que l’alliance thérapeutique positive, qui est, selon Lambert et Barley (2002), « le prédicteur de succès le plus fiable en psychothérapie ».
Le partenariat mis en place avec la justice permet, dans le cadre de ce programme, de proposer de sursoir à une plainte pénale au profit d’un traitement pour des personnes prévenues pour une consommation de méthamphétamine. Concrètement, la police informe l’usager prévenu de cette possibilité et lui donne les coordonnées du centre de traitement le plus proche. Nous avons actuellement réparti le programme sur les trois centres du canton pour assurer une meilleure couverture géographique. Si l’usager prend contact avec l’un des centres, ce dernier en informe la police. A la fin du programme, nous l’informons à nouveau si l’usager a complété ses quatre séances, sans révéler quoi que ce soit du contenu. La police garde une trace en interne de cette intervention. Si le consommateur est âgé de moins de 18 ans au moment de l’infraction, la police informe également le juge des mineurs.
Le programme WarningMeth est constitué de quatre séances individuelles d’environ 60 minutes, animées par des intervenants multidisciplinaires ayant bénéficié d’une formation interne. Nous avons choisi un modèle mixte TCC et ACT, en nous appuyant sur le manuel de traitement du Dr Matthew Smout (2008) et y avons ajouté « l’esprit » de l’entretien motivationnel (Miller et Rollnick, 2013).
La première séance inclut une rapide anamnèse, une autoévaluation des consommations et la définition d’objectifs personnels que la personne voudrait se fixer dans le cadre du programme. L’anamnèse comporte également un rapide survol des comorbidités psychiatriques. Un « plateau de jeu » permet de discuter ensuite d’un objectif et de visualiser le choix de la personne en lien avec celui-ci. Nous fournissons également de l’information sur l’addiction et sur la méthamphétamine. Nous avons choisi de présenter cela de manière ludique sous forme de cartes quizz.
La deuxième séance s’articule autour des situations à risque et des déclencheurs. Ici, l’idée est de rendre les personnes attentives aux éléments contextuels internes ou externes pouvant les fragiliser par rapport aux objectifs qu’ils se sont définis. Les moments de consommation sont explorés et l’usager est invité à réfléchir à des alternatives possibles à la consommation, afin d’anticiper les moments de craving en s’engageant dans un comportement alternatif.
Les valeurs sont le thème principal de la troisième séance. Comme l’indiquent JL Monestès et M. Villatte dans leur livre sur l’ACT (2011), « les valeurs représentent ce qui donne du sens à l’existence, ce qui l’organise ». Ils observent que, souvent, dans les problèmes d’addiction, l’objet de dépendance s’est substitué aux valeurs de la personne. Or, ces dernières en tant que renforçateur positif peuvent être un « carburant » nécessaire à l’action. En effet, à court terme les effets des produits peuvent être très attrayants. Un renforçateur positif, tel qu’une valeur, peut soutenir une action demandant un effort et qui n’a pas forcément de conséquence positive à court terme.
La dernière séance sert de bilan sur les points discutés, les objectifs définis par l’usager, et l’appréciation de l’utilité du programme. Nous remplissons ensemble un « circuit de la dépendance » en nous intéressant plus particulièrement aux comportements alternatifs et aux conséquences positives liées aux valeurs choisies (cercle vertueux). L’usager peut continuer un suivi au sein de l’institution s’il le souhaite.
Les participants du programme sont ensuite recontactés 6 mois après la dernière séance pour faire le point sur leur situation et leur consommation.
Plus de 100 personnes ont été dénoncées pour des consommations de méthamphétamine durant une période de onze mois. La police a proposé à 25 usagers remplissant les critères (première ou deuxième interpellation(s) et exclusion des consommateurs trafiquants) le programme ; 23 ont accepté de le suivre, 19 l’ont terminé intégralement, dont 4 mineurs.
Les résultats préliminaires montrent une diminution des consommations. Seuls 38% des personnes consommaient encore lors de la semaine précédant le premier rendez-vous, et à peine 15% la semaine avant le dernier rendez-vous.
Globalement les usagers ont rapporté être satisfaits voir très satisfaits du programme, en particulier de l’accueil et de la pertinence des informations reçues par rapport à leur problématique. Les critiques liées au programme concernaient principalement le nombre des séances : pour certains il était insuffisant, pour d’autres trop élevé.
La grande majorité des participants n’était pas connue de nos services (pas de traitement préalable). Un quart (26%) des consommateurs inclus dans le programme ont choisi de poursuivre le traitement et deux personnes ont fait appel pour une reprise de suivi après 6 mois.
Nous avons constaté, après avoir démarré notre étude, une augmentation du nombre d’usagers se présentant spontanément dans nos centres pour des demandes de suivi concernant la méthamphétamine. Cet effet collatéral du programme pourrait faire suite à un effet de « bouche-à-oreille » ou à sa médiatisation.
Conclusion
Il est important de souligner que le but premier du programme n’est pas de « guérir » en quatre séances des personnes de leur addiction à la méthamphétamine, mais bien plus de favoriser un lien avec le réseau de soins pour renforcer son accessibilité et de réduire la latence entre le début de la consommation et la prise en charge thérapeutique. A ce titre, les premiers résultats sont encourageants, notamment en termes d’adhésion au programme et de son prolongement par un suivi. Il est en revanche encore trop tôt pour évaluer si les consommateurs en rechute vont reprendre contact avec le réseau de soins plus rapidement.
Cette étude montre aussi la faisabilité d’une collaboration entre la police, la justice et les centres de traitement, dans une région confrontée à une problématique nouvelle par son ampleur. La possibilité de proposer aux consommateurs une approche nouvelle, orientée sur les thérapies motivationnelles et privilégiant le choix de l’usager et ses objectifs propres, démontre qu’une alternative à la répression est possible et souhaitable. L’idée d’une extension du programme à d’autres substances (par ex. cocaïne) est en réflexion. Nous avons aussi envisagé de poursuivre ce programme sous forme de groupes en cas de demandes plus importantes, avec la possibilité du partage d’expériences entre pairs.