décembre 2023
Charlène Tripalo (Coordination Romande des Associations d’Action pour la Santé Psychique -Coraasp)
La Coraasp, avec le Réseau Santé Psychique Suisse et la fondation suisse Pro Mente Sana, se sont unis pour constituer l’association Mad Pride Suisse dans le but d’organiser de façon régulière une Mad Pride en Suisse, pour rappeler que la santé mentale nous concerne toutes et tous et pour déstigmatiser les troubles psychiques au sens large, dépendances comprises.
Organisée à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, la Mad Pride Suisse est un défilé de rue national rassemblant des personnes atteintes dans leur santé mentale, des proches, des professionnel∙le∙s, des organisations et des sympathisant∙e∙s sur le thème de la santé mentale, dans un esprit similaire à celui des Prides LGBTIQ+ qui ont lieu dans plusieurs villes depuis de nombreuses années. Le mouvement de la Mad Pride est né à Toronto en 1993 en réponse aux préjugés envers les personnes ayant des antécédents psychiatriques. L’idée de base était de détourner les stéréotypes et images négatives liés à la maladie mentale pour en faire quelque chose de positif. Le mouvement a ensuite essaimé dans de nombreux pays tels que la France, l’Angleterre, le Brésil, le Salvador, l’Allemagne ou l’Australie, chacun adaptant le concept à son contexte. En Suisse, elle existe depuis 2019, la première édition ayant été organisée à Genève par la Coraasp et la fondation Trajets.
En tant que faitière, la Coraasp constate encore, malheureusement, que l’insertion sociale et l’accès à une vie active et citoyenne des personnes atteintes dans leur santé mentale sont encore insuffisants et que la stigmatisation relative aux troubles psychiques est encore trop prononcée.
L’idée est donc de « sortir du bois », de placer le thème de la santé mentale, des maladies psychiques y compris des dépendances au sein de la cité, pour informer et susciter l’échange avec la population et pour lutter contre la stigmatisation. Le tout d’une manière légère et ludique, car cette marche pour la dignité et la citoyenneté se veut avant tout un évènement festif dans la ville. C’est aussi une manière de lutter contre l’auto-stigmatisation, sortir du statut de malade et/ou de patient·e pour endosser celui de citoyen·ne et oser affronter le regard de l’autre.
Pour la troisième édition qui a eu lieu le 7 octobre 2023 à Lausanne, il était important de participer à cette réduction des stigmatisations de différentes manières :
L’ensemble du programme qui a été proposé est à retrouver sur le site de la Mad Pride (madpride.ch).
Nous savons toutes et tous que le Covid a mis en évidence un mal-être existant, particulièrement chez les jeunes. Cette crise a permis de rappeler que la santé mentale n’est pas uniquement une responsabilité individuelle mais qu’elle est aussi influencée par d’autres déterminants tels que des facteurs économiques et sociétaux 1. En témoigne la nette hausse des hospitalisations en milieu psychiatrique des jeunes en 2021 (+ 6% pour les hommes de 10 à 24 ans et + 26% des filles et jeunes femmes de 10 à 24 ans) 2, la hausse des arrêts de travail pour cause de maladie psychique (+20% par rapport à 2021) 3, avec un impact non négligeable sur la hausse des coûts de la santé puisqu’en 2021, selon l’Obsan, les coûts à la charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS) dans le domaine de la psychiatrie ont atteint environ 2,42 milliards de francs 2.
Fort de ce constat, le comité d’organisation de la Mad Pride, composé à moitié de personnes concernées par des difficultés psychiques et, pour l’autre moitié, de professionnel∙le∙s et d’une proche, a souhaité tenir compte de ces derniers chiffres alarmant pour élargir les revendications de la manifestation. Un appel à marcher « Ensemble pour la santé mentale » a donc été lancé. Cette 3e édition de la Mad Pride a ainsi invité toutes et tous, jeunes, séniors, familles concernées ou non par une vulnérabilité psychique à se mobiliser pour rappeler aux autorité publiques et politiques que la santé mentale est aussi une responsabilité collective et qu’elles ont un rôle à jouer pour préserver la santé de la population Suisse.
Dans cette optique, il était important de collaborer avec des partenaires qui œuvrent dans la promotion et la prévention à la santé mentale. La campagne numérique a donc contribué à diffuser de nombreuses informations et les stands d’information, les ateliers et conférences qui ont eu lieu le jour de la Mad Pride ont invité le grand public à mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau et à expérimenter différentes manières de prendre soin de sa santé mentale.
Cette Mad Pride est ainsi aussi un appel pour le monde économique en particulier et la société en général à ralentir et à prendre le temps. Les exigences d’efficacité et de performance perpétuelles qui ont cours dans les milieux professionnels laissent trop de monde sur le carreau.
L’enjeux de ces prochaines éditions est de continuer à fédérer les organisations nationales et cantonales pour continuer à favoriser l’inclusion, réduire les inégalités faites aux personnes atteintes dans leur santé mentale mais aussi à développer de réelles stratégies de prévention et de promotion de la santé mentale.
Les collèges de rétablissement romands à la Mad Pride
L’équipe du Recovery College du GREA, et celle du Collège de rétablissement de Pro Mente Sana à Genève ont présenté conjointement leurs concepts lors de la Mad Pride qui a eu lieu à Lausanne le 7 octobre 2023. L’occasion de rappeler l’étroitesse des liens entre addictions et santé mentale et de mettre en valeur le travail des pair·e·s.
En quoi les collèges de rétablissement partagent-ils des valeurs et des objectifs avec la Mad Pride ?
D’inspiration anglo-saxonne, les « Recovery college », tout comme la Mad Pride, s’inscrivent dans la continuité des mouvements citoyens et contestataires de la psychiatrie traditionnelle dans les années 70. Celle-ci est perçue comme un moyen de contrôle social et comme source de domination et de violence psychologique, d’où l’émergence de mouvements à ambition émancipatrice visant à un rééquilibrage des rapports entre soignant·e·s et personnes concernées. Cela coïncide avec l’essor du modèle du rétablissement dont les principes prennent le contrepied des schémas classiques axés sur la guérison et la réhabilitation.
Ces perspectives bénéficient d’un écho important dans le domaine des addictions qui a longtemps été marqué par des politiques de santé à vision paternaliste qui couvraient la voix des usager·e·s de drogues, perçu·e·s tantôt sous le jour de la déviance, tantôt sous le jour de la maladie.
Comme dans le champ de la santé mentale, on observe ainsi progressivement l’émergence de groupes d’auto-support, d’associations d’entraide, de programmes d’éducation par les pair·e·s, et d’évènements divers – dont la première Mad Pride à Toronto dans les années 90 – visant notamment à lutter contre les stigmatisations et à se réapproprier un pouvoir d’agir et de décision. Nés à la fin des années 2000 en Angleterre, les « Recovery college » font également partie de ce foisonnement d’initiatives.
Qu’est-ce qu’un collège de rétablissement ?
L’originalité du concept repose sur l’enseignement en binôme pair-e-pro et une gouvernance du projet qui se veut aussi paritaire. Pionniers en Suisse – l’équipe de Pro Mente Sana début en 2019, suivie du GREA en 2021 – c’est cette approche que partagent les collèges de rétablissement romands, avec la volonté de valoriser les savoirs expérientiels des personnes concernées, et les allier avec l’expertise des spécialistes tout en renforçant les connaissances et compétences d’un public mixte. En effet, les formations sont ouvertes à tout le monde, aussi bien aux personnes concernées qu’aux professionnel·le·s, proches ou à toute autre personne intéressée.
En quoi consistent les formations proposées ?
Les formations proposées ont été conçues par les binômes de formateurs et formatrices, avec un soutien pédagogique des équipes de projet. Les thématiques sont issues d’ateliers de récolte de besoins qui ont été effectués dans des institutions des domaines des addictions et de la santé mentale, afin d’être au plus proche des intérêts et attentes des personnes concernées. Ces formations sont brèves, gratuites pour les participant-e-s, non-certifiantes, et abordent une diversité de thématiques en lien avec le rétablissement. Celles-ci vont de la gestion du courrier et des démarches administratives, aux stratégies pour éviter ou surmonter la rechute, en passant par la réduction des risques, ou encore sur des questions relatives aux assurances sociales. Elles sont décentralisées, itinérantes, et sont mises en œuvre tantôt dans des institutions hôtes en Suisse romande, tantôt au GREA à Lausanne ou à l’Association Parole à Genève.
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