décembre 2023
Au moment de choisir la thématique « Précarité, santé mentale et addictions » en début d’année, la rédaction de Dépendances ne se doutait pas que ce sujet serait tant d’actualité au moment de la sortie de ce numéro. Il y avait en effet des indices depuis quelques mois ou années que les questions de santé mentale et de précarité allaient devenir de plus en plus prégnantes : la crise sanitaire du Covid-19 a ainsi jeté une lumière crue sur la pauvreté en Suisse et depuis, les besoins en soutien psychothérapeutiques et psychiatriques ne font que croitre. La crise étant passée, la guerre en Ukraine, le dérèglement climatique ou le conflit israélo-palestinien contribuent à leur tour à une atmosphère plutôt anxiogène. L’étude HBSC sur la santé des jeunes, dont une synthèse vous est proposée dans ce numéro, montre que si la majorité des jeunes de 11 à 15 ans se sent bien, une part toujours plus importante se sent déprimée et anxieuse, particulièrement chez les jeunes filles.
Et dans ce contexte, il devient difficile de joindre les deux bouts pour de plus en plus de personnes. Nous avons connu l’année dernière une période de forte inflation qui a atteint un pic à 3% de hausse de l’indice des prix à la consommation. Cette inflation s’est encore poursuivie en 2023. À l’automne, nous apprenions une nouvelle hausse drastique des primes d’assurance maladie, à côté des annonces de hausse de loyers, des prix du gaz et de l’électricité. Ainsi, tout devient toujours plus cher, sans que la population ne dispose pour autant de plus d’argent pour vivre. La part de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté en Suisse est appelée à augmenter.
La santé mentale et la précarité sont donc deux questions terriblement actuelles. Il ne nous aura pas fallu bien longtemps pour comprendre comment combiner ces deux thématiques dans un seul et même numéro : ainsi, vous le verrez en parcourant les articles, la santé mentale et la précarité sont intrinsèquement liées, s’influençant l’une et l’autre dans une relation bidirectionnelle. Ces phénomènes sont extrêmement bien expliqués par Jean-Michel Delile et Stéphane Cullati dans leurs articles respectifs. Pour les professionnel·le·s de terrain, c’est un fait qui est déjà observé dans leur pratique. La précarisation croissante des publics accompagnés ainsi que l’augmentation des comorbidités psychiatriques mettent les institutions sous pression, en manque de moyens pour faire face à la demande. Pour les structures de réduction des risques et d’accompagnement communautaire, il s’agit de s’adapter à des mécanismes de vulnérabilités interconnectés qui mènent parfois à des spirales de détresse. Pour faire face à cette évolution, il sera nécessaire d’amorcer un rapprochement entre le champ du travail social et celui de la psychiatrie. La dégradation des conditions de vie des personnes confrontées à des problématiques d’addiction implique également de redéfinir l’accessibilité aux soins et aux structures résidentielles. Enfin, le logement étant un enjeu majeur comme condition préalable à toute démarche de soin, des politiques en ce sens sont impérativement à développer au vu de la tension actuelle sur le marché locatif.
Finalement, ce qui a récemment changé, c’est la visibilité de ces crises dans l’espace public. La réémergence des espaces de consommation en rue, à Lausanne, Genève et en Suisse-allemande sont les conséquences visibles par le grand public et les médias d’une précarisation croissante et d’une péjoration de la santé mentale de personnes particulièrement vulnérables, souvent sans-abri. Des événements comme la Mad Pride, qui s’est tenue le 7 octobre à Lausanne, permettent également de rendre plus visibles les questions de santé mentale et de participer à la déstigmatisation des personnes concernées. Grâce à ce numéro de Dépendances et à la généreuse contribution de ses auteur·e·s, nous voilà mieux informés sur cette évolution ainsi que sur les pistes de solution pour y faire face. À l’avenir, des actions dans le champ de la santé mentale, de l’inclusion de toutes et tous, du logement et de la lutte contre la précarité seront nécessaires pour passer le cap de cette crise.
Camille Robert