décembre 2023
Vincent Masciulli (AACTS)
Au moment d’écrire ces lignes, intervient l’annonce de la hausse des primes globale de l’assurance maladie, soit environ 8,7% annoncés par le Conseil fédéral, cela dans un paysage fortement anxiogène pour la population suisse souffrant déjà de la hausse des prix du logement, de l’alimentation et de l’énergie. Ce triste contexte illustre parfaitement le propos de l’article qui met en lumière les réalités interconnectées entre la précarisation et la production d’un terrain favorable à la vulnérabilité psychique.
Le climat actuel est donc marqué par de nombreux facteurs qui contribuent à l’émergence de troubles de santé mentale et de précarité pour un certain nombre de personnes. En effet, la pandémie de covid-19 a entraîné une perturbation économique, sociale et émotionnelle importante. L’isolement social, la perte d’emploi et les inquiétudes liées à la santé ont eu un impact significatif sur la santé mentale et la stabilité financière de nombreuses personnes vivant en Suisse. Les tensions économiques, les crises régulières que nous traversons, telles que la récession et la hausse des prix, accentuent la précarité financière de nombreuses personnes. Les changements environnementaux renforcent également ces phénomènes anxieux : catastrophes naturelles, changements climatiques, déplacements de populations, conflits armés et bouleversement des habitudes quotidiennes créent également des situations de précarité et de détresse psychique. La tension sociale et le stress politique génèrent également leur propre climat d’incertitudes et d’anxiété contribuant, là encore, à une augmentation de la vulnérabilité psychique. Les inégalités économiques et sociales croissantes dans notre société helvétique accentuent la précarité financière et le stress psychosocial. Cependant, il est important de noter que la façon dont ces facteurs affectent les individus varie en fonction de leur situation personnelle, de leurs ressources et de leurs mécanismes d’adaptation.
La précarité économique et la santé mentale sont deux réalités interconnectées, souvent traitées en parallèle par différents services et organismes. Dans cet article, nous allons examiner de près le rôle crucial que jouent les accueils bas seuil dans le maintien ou l’amélioration de la santé mentale des personnes concernées. La précarité, qu’elle soit due à l’itinérance, à la pauvreté, à l’accès au logement ou à d’autres facteurs socio-économiques, expose souvent les individus à des stress chroniques considérables. L’isolement social et certains traumatismes sont des terreaux favorables à l’émergence de l’anxiété et la dépression.
Les accueils bas seuil, par leur approche flexible et non contraignante, offrent un espace de soutien essentiel et de rattachement pour ces populations vulnérables. Ils jouent un rôle indispensable en termes d’accès facilité à des prestations spécifiques telles que l’orientation et l’accompagnement dans le réseau de santé psychique et ou somatique. Dans cet article, nous explorerons comment ces centres de vies communautaires fournissent des services d’aide et des prestations de survie qui répondent spécifiquement aux besoins des personnes qui sont touchées par cette double problématique. L’accueil des publics vulnérables dans ces centres contribue à réduire la stigmatisation entourant ces problématiques. Leurs modèles de prestations socio-sanitaires permettent de rattacher les publics les plus marginalisés ou en rupture de leurs réseaux, le tout dans un cadre sécurisant et non jugeant visant la restauration du pouvoir d’être.
Les prestations dans les domaines communautaires sont essentielles pour atténuer les inégalités d’accès aux soins de ces publics. Ces prestations sont conçues pour répondre aux besoins spécifiques des individus vivant dans des conditions de vulnérabilité, qu’il s’agisse de sans-abris, de personnes à faible revenu, de personnes en situation de consommation ou d’autres groupes marginalisés. En voici quelques éléments clés :
En somme, les prestations des lieux communautaires visent à briser les cycles de vulnérabilité en fournissant une intervention quotidienne complète et adaptée aux besoins individuels, avec un objectif ultime d’améliorer la qualité de vie des personnes concernées.
La prise en charge des publics vulnérables par les équipes de terrain est une tâche complexe qui comporte de nombreux défis. Les équipes sont régulièrement confrontées au manque de ressources ou à des prestations «capsulées » qui accentuent le morcèlement de la prise en charge de ces publics déjà relativement «éparpillés ». Cela affecte immédiatement leur capacité à fournir des services cohérents et de qualité à un grand nombre de personnes en situation de précarité. Les situations des personnes sont de plus en plus complexes et singulières : au-delà de la santé mentale, c’est toute l’articulation bio-psycho-sociale des situations qu’il faut coordonner dans l’intervention, y compris les problématiques d’hébergement, de dépendances ou de non-recours.
Cette coordination est redoutablement complexe ! De plus, au vu des offres capsulées sans grande vision de gouvernance territoriale, les personnes concernées «se nomadisent » dans des prestations spécifiques et régionalisées. En effet les individus peuvent être très mobiles et instables, ce qui rend le travail de suivi complexe et épuisant pour la coordination des soins. Malgré un mécanisme d’accueil centré sur le rythme des personnes et leur capacité à exprimer leurs besoins, certains individus sont extrêmement réticents à formuler ou accepter toute forme d’aide et de soutien, cela malgré une offre d’intervention sociale palliative souvent «sur adaptée » en termes de seuil et d’exigence. Cet état de fait a pour conséquence l’usure et la fatigue des intervenant·e·s de première ligne. La restriction, voire l’absence, d’offres spécifiques de prestations médicales favorisent grandement la détérioration psychique et somatique de ces publics déjà fortement carencés. De plus et par-dessus tout, c’est également la perte de sens des acteurs et actrices engagées qui se fait ressentir.
Lorsque nous évoquons la santé mentale, il est essentiel de reconnaitre que chaque individu, quel que soit son parcours de vie, peut être touché par des défis et des troubles mentaux à un moment donné. La précarité, qu’elle soit économique, sociale ou liée au logement, peut avoir un impact significatif sur la santé mentale des personnes. La précarité économique, telles que les difficultés financières, le chômage ou les emplois mal rémunérés, peut créer du stress et de l’anxiété, qui sont des facteurs de risques importants dans la santé mentale. L’accès limité et complexe à des prestations de soins en raison de barrières financières, géographiques, administratives ou sociales peuvent également entrainer un retard ou même l’absence complète de prise en charge et de traitement. La stigmatisation sociale participe à l’augmentation du sentiment de détresse. Elle conduit à l’isolement et à une faible estime de soi, renforçant encore les barrières d’accès à des potentiels soins. En réaction, le recours à l’automédication avec des substances telles que l’alcool ou différentes drogues est fréquente. Pour certaines personnes en rupture, il s’agit-là d’un «bon » moyen de faire face au stress quotidien, risquant d’aggraver encore leur situation.
En conséquence, le manque de bien-être global des personnes ayant des problèmes de santé mentale non traités a une répercussion immédiate sur leurs conditions d’existence telles que leur capacité à maintenir leur employabilité, à maintenir ou établir des relations sociales positives et finalement à maintenir ou accéder à un logement. Le cycle de la précarité et de la détresse psychique s’en voit ainsi perpétué.
La notion de « relation d’aide est définie à partir de la vulnérabilité et non de la perfectibilité de l’individu » 1. Ce processus, incarné par les équipes socio-sanitaires œuvrant dans le domaine de la réduction des risques, offre un soutien émotionnel, psychologique ou pratique. Les principes de l’intervention sociale palliative sont donc jonchés de principes. L’empathie et le non-jugement sont essentiels. L’écoute active est un moteur d’expression. Le respect de l’autonomie des personnes est cruciale dans la prise de décision pour elles-mêmes. La non-directivité encourage la personne à explorer ses propres solutions. La confidentialité est vitale pour établir une relation de confiance. La pose de limites claires dans la relation et pour toutes les parties impliquées garantit le rôle et la place de chacun. Enfin, des compétences professionnelles adéquates sont essentielles afin de fournir un service de soutien efficace, digne et éthique.
En conclusion, l’interaction entre la précarité et la santé mentale est complexe et multi-facettes. Comprendre ces liens est essentiel pour développer des visions politiques et des initiatives efficaces visant à améliorer le bien-être psychologique des individus en situation de vulnérabilité. En adoptant une approche globale qui intègre la prévention, le soutien et l’éducation, il est possible d’atténuer les effets néfastes de la précarité sur la santé mentale. Il sera ainsi possible d’œuvrer vers une société plus équilibrée sur le plan psychologique et plus inclusive pour l’ensemble de ses membres.