mars 2019
Cet article a été rédigé par des membres des Cocaïnomanes Anonymes de Suisse romande qui, conformément à leur tradition vis-à-vis de la presse, souhaitent garder l’anonymat.
C’est bien connu : le problème de l’addiction, que ce soit à l’alcool, aux drogues illégales, aux médicaments ou à un mélange des trois, provoque beaucoup de dégâts, non seulement pour la personne concernée, mais aussi pour sa famille et son entourage. Certains ont vaguement entendu parler des « 12 étapes », et ont peut-être même pensé que c’est un synonyme pour « Alcooliques Anonymes », mais ce genre de programmes de rétablissement reste relativement peu connu.
« CA », ou « Cocaïnomanes Anonymes », parfois « Cocaïne Anonyme », est décrit dans notre « Préambule », lu au début de chaque réunion, comme « une association d’hommes et de femmes qui partagent entre eux leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et d’en aider d’autres à se rétablir de la dépendance ». Comment cela fonctionne-t-il ?
Dans CA, notre vision de la dépendance est celle d’une maladie mortelle et incurable qui consiste en une obsession mentale liée à ce que nous appelons une « allergie physique ». L’obsession c’est le fait de penser de façon continuelle et irrésistible à la cocaïne, ou à une autre substance, et surtout au prochain « high ». Pour nous, peu importe ce qui nous arrive dans nos vies, bon ou mauvais, agréable ou frustrant, nous avons l’impulsion irrésistible de consommer ce que nous appelons souvent notre « produit de choix ». L’allergie, c’est-à-dire la réaction anormale à une substance, engendre en nous une totale incapacité à cesser de consommer lorsque nous avons commencé. Une fois lancés, peu importe combien nous avons déjà consommé, peu importe même si nous avons cessé d’en ressentir l’effet, ou pire, que les effets nous rendent malades, il nous semble qu’il en faut plus, plus et plus encore !
L’abstinence totale
Notre expérience nous dit que notre addiction est systématiquement déclenchée par l’usage d’alcool ou d’autre drogue. Un verre, une ligne, un shoot ne suffit jamais, il nous en faut toujours plus. Nous sommes maitres à combiner et substituer une drogue par une autre pour nous défoncer. Beaucoup de nos membres ont essayé de limiter et contrôler leur consommation. Nous suggérons donc l’abstinence totale de toutes les substances qui altèrent le comportement, mais il ne s’agit pas d’une obligation, car la seule condition pour être membre de CA est le désir d’arrêter de consommer.
Un dépendant peut en aider un autre
La meilleure façon de rejoindre quelqu’un est d’utiliser un dénominateur commun. Les membres de CA sont tous des personnes dépendantes en rétablissement qui maintiennent leur sobriété en comptant sur l’appui d’autres personnes dépendantes. Nous sommes issus de milieux sociaux, ethniques, économiques et religieux différents. La dépendance est ce qui nous unit. Notre entraide se manifeste de nombreuses manières, particulièrement le marrainage / parrainage et l’usage du téléphone. Une marraine ou un parrain est une personne dépendante en rétablissement, en qui nous pouvons avoir confiance et qui, ayant un certain temps d’abstinence et une expérience avec le programme, va nous accompagner dans notre travail des douze étapes et dans nos moments difficiles. Le téléphone est notre bouée de sauvetage entre les réunions. Lors de notre première réunion, nous recevons la liste des numéros de téléphone de membres qui acceptent de recevoir des appels, lorsque nous en avons besoin, dans les moments de détresse ou lorsque nous avons envie de consommer, à toute heure du jour ou de la nuit.
Le programme des 12 étapes
Ces étapes font partie intégrale du programme « CA » et sont, en fait, sa base. Pour les comprendre, il faut d’abord se rappeler que ce programme est fondé dans l’idée d’une vie spirituelle, éthique et morale. Dans ce contexte, les étapes présentent une façon structurée de s’instruire sur la nature de la maladie de l’addiction, de prendre conscience de ses conséquences sur nous et notre entourage, et ensuite d’aborder un mode de vie totalement différent. La première étape permet de mieux identifier les différentes manifestations psychologiques et comportementales de l’addiction et leurs conséquences dans nos vies. Nous examinons ensuite différentes émotions, problématiques à gérer pour la personne dépendante, et des traits de caractère qui y sont liés. Cela nous mène, entre autres, vers nos familles et nos proches qui ont été touchés par notre maladie et, surtout, par nos comportements. Nous avons ainsi différents outils à disposition qui nous permettent de faire la paix avec le passé. Au final, nous suivons un plan pour vivre dans le présent, un jour à la fois, vigilants face aux signes de la maladie qui peuvent surgir et avec des outils pour réagir quand cela se produit.
Honnêteté, bonne volonté, ouverture d’esprit
Quand nous consommions, nous est-il arrivé de dire la vérité sur l’étendue de notre consommation ? Beaucoup d’entre nous pensaient s’en sortir tout seuls et nous refusions d’accepter de l’aide ou d’écouter les conseils de proches ou de membres du corps médical. Peut-être parce que, du haut de notre orgueil, nous refusions d’admettre notre propre impuissance. Nous suggérons à chaque personne dépendante de suivre les principes spirituels d’honnêteté, d’ouverture d’esprit et de bonne volonté. Pour beaucoup d’entre nous, la malhonnêteté nous a conduits au déni et à l’isolation. Ce n’est qu’en étant honnêtes avec d’autres personnes que nous pouvons nous rendre compte de l’étendue de nos problèmes et que nous pouvons accepter l’aide qui nous est offerte. La bonne volonté et l’ouverture d’esprit sont les clés qui ouvrent la porte de la sobriété. Nous avons besoin de bonne volonté pour lâcher nos vieilles idées et nous ouvrir aux solutions qui nous sont proposées pour rester abstinent.
Spiritualité
L’inévitabilité de notre maladie et le désespoir engendré ont conduit certains à ne plus croire en qui ou quoi que ce soit. Pourtant nous avons religieusement continué de consommer la drogue de notre choix. Elle avait pris une place primordiale dans notre vie, avant notre famille, nos amis, nos emplois et notre santé. La vie sans drogue nous paraissait inenvisageable. Nous avions besoin d’une expérience spirituelle vitale, un transfert et un réaménagement d’ordre émotionnel pour arrêter de consommer et pouvoir vivre libres. La foi est une croyance ou confiance en quelque chose. Dans CA, il est suggéré de trouver une Puissance supérieure de notre propre conception. Les 12 étapes sont un programme spirituel et non religieux. Nous suggérons au dépendant de se découvrir une puissance supérieure qui lui est propre.
L’association Cocaïnomanes Anonymes existe depuis 1982. Elle est née quand certaines personnes dépendantes de la cocaïne se sont réunies séparément des réunions « 12 étapes » qui se concentraient sur les addictions à d’autres substances, notamment l’alcool. Toutefois, les réunions de CA ne sont pas limitées à ceux qui ont un problème de cocaïne. Toute personne ayant un problème d’addiction à n’importe quelle(s) substance(s) est la bienvenue. En Suisse, CA existe depuis 11 ans. Actuellement, il y a cinq réunions hebdomadaires en Suisse (quatre à Genève et une à Lausanne). En nous référant à CA, ou même à d’autres associations « 12 étapes », nous parlons plus souvent d’une « fraternité » que d’une « association », car dans les groupes il existe un véritable esprit de communauté. Notre but premier, souvent cité dans les réunions, est de « rester clean et sobre, et d’aider d’autres toxicomanes à le faire. »
Les réunions suivent un format prédéfini, mais qui peut varier de semaine en semaine, l’élément clé restant le partage. Nous nous exprimons chacun à notre tour durant la réunion, sur un thème ou sur un aspect particulier de notre addiction ou sur notre rétablissement, dans un contexte dénué de jugement. C’est grâce aux partages que chacun peut apprendre à s’exprimer plus librement sur des aspects de sa vie dont il est plus difficile de parler dans d’autres milieux. Ceux qui écoutent en bénéficient aussi, car, en écoutant le partage des autres, nous identifions les similitudes de nos parcours, ce qui aide à renforcer les liens entre les membres du groupe et à créer un sentiment d’appartenance, chose qui souvent manquait à ceux qui se trouvaient isolés par leur addiction. Il existe même des réunions « en ligne », c’est-à-dire utilisant Skype ou un autre support Internet, pour permettre de participer à une réunion quand il n’est pas possible ou praticable de se rendre physiquement à une réunion.
Les personnes qui souffrent d’un problème d’addiction sont bien plus nombreuses que celles qui ont trouvé un moyen de se rétablir « dans les salles ». Le principal moyen utilisé pour faire connaitre CA est le bouche-à-oreille. Nous rendons visite à des patients dans les hôpitaux, dans des cliniques et dans des prisons, et sommes disponibles pour présenter le programme aux personnes intéressées. Il existe en Suisse aussi une Hotline téléphonique, accessible tous les jours et à toute heure, afin d’être à l’écoute de ceux qui sont touchés par l’addiction.
Selon le programme des 12 étapes, une personne dépendante en rétablissement, pour rester abstinente et en bonne santé émotionnelle, ne doit pas « se reposer sur ses lauriers ». Elle doit chercher à aider d’autres personnes dépendantes en faisant connaitre le programme. Ce n’est pas une tâche facile. Beaucoup ne sont pas encore prêts, tout simplement, à laisser derrière eux leur consommation. L’idée d’affronter la vie sans substances les effraie encore plus que de continuer à consommer. La honte, le déni et l’envie de s’en sortir par leurs propres moyens peuvent les empêcher de se rétablir.
Les réunions constituent un des moyens les plus importants pour accueillir ceux et celles qui veulent prendre contact avec nous. Pour l’instant, étant donné que nos réunions se trouvent uniquement en Suisse romande, cette voie d’accès reste limitée. Pourtant, même là où CA est relativement bien établi, avec de nombreuses réunions comme à Genève, il reste encore des obstacles de perception. Il n’est pas rare, même parmi les membres de la communauté de rétablissement, de croire que CA concerne uniquement des personnes dépendantes qui ont un problème de cocaïne, ce qui n’est pas le cas. Le fait qu’il s’agit d’un programme spirituel, et que le mot « dieu » est parfois utilisé dans nos lectures, peuvent donner l’impression à certaines personnes que de participer aux réunions les impliquerait dans quelque chose de religieux, voire même dans une secte. Nous nous efforçons, lors des réunions ou des informations publiques, de lutter contre cette fausse perception de CA.
Chaque semaine, 3′ 000 réunions CA se déroulent à travers le monde. Cocaïnomane anonyme comprend des femmes et des hommes de toutes races, sexualités, religions et statuts sociaux. Nos 60’000 membres sont composés à 41 % de femmes et à 59 % d’hommes qui ont consommé une grande variété de substances.
La majorité de nos membres ont trouvé la porte de nos réunions grâce à d’autres membres leur ayant tendu la main dans les hôpitaux, institutions et programmes de rétablissement. 10 % de nos membres nous ont trouvés grâce à Internet, la télévision et des affiches. Enfin, 2 % de nos membres ont été envoyés par des médecins ou des thérapeutes.