mai 2004
Alexandra Rubin (Association Prevtech)
Prevtech est active dans le milieu techno de Suisse romande, plus particulièrement du canton de Vaud. L’association a été fondée en 1999 par quatre jeunes et un travailleur social issus du milieu. Face à la réalité de l’usage de produits, l’implantation de stands d’informations dans les soirées techno avait pour but de mener une action de prévention et de réduction des risques en s’appuyant sur les valeurs positives de ce mouvement, la tolérance et la convivialité, dans un milieu réceptif où la transmission et la récolte d’informations circulent facilement.
L’association a connu un essor rapide: elle a su se faire accepter par les organisateurs et le public des soirées techno et la fréquence des stands s’est vite accrue. En amont des stands, les membres actifs ont pu développer des outils et des moyens afin d’améliorer la qualité des interventions de prévention et de réduction des risques et promouvoir un réseau de santé communautaire propre au milieu, notamment grâce au soutien de professionnels dans le champ des toxicodépendances.
Les deux premières années, l’association a pu se développer principalement grâce au soutien financier de la commune de Prilly et de l’aide au démarrage du BRR 1). Afin d’assurer la continuation de l’action de Prevtech et faire face à l’augmentation des demandes de stands et des membres, le comité a dépensé beaucoup d’énergie à la recherche de nouveaux modes de financements. Avec la volonté de consolider et de renforcer la structure, le budget 2002 comprenait la création de postes de travail pour assurer la gestion de l’association. En effet, l’ampleur prise par l’action ne permettait plus un fonctionnement uniquement basé sur l’engagement des bénévoles. Les demandes pour 2002 se sont concrétisées en janvier 2003, ce qui a occasionné au niveau des membres une certaine démotivation et un retard dans le développement des projets et de la structure. Ainsi l’association a connu une baisse dans ses activités. Dès 2003, le comité s’est réorganisé et s’est principalement consacré à la mise en place du poste d’employé de commerce à 30% et du poste de coordination de l’association.
La situation ayant évoluée, ce dernier a été réparti en partie en heures pour les membres du comité qui ont les compétences requises pour la coordination de l’association, et le reste constitué en réserve pour un mandat plus spécifique à durée déterminée. En effet, en l’état actuel, il n’est pas possible de garantir une pérennité d’un éventuel poste de travailleur social. La relance des activités de Prevtech et la consolidation de la base prennent du temps, ainsi l’employé de commerce est entré en fonction début 2004. Il est à souligner, malgré quelques difficultés financières, que l’association Prevtech a connu un processus normal d’évolution d’une association qui passe d’une phase de création à une phase de consolidation, ce qui demande un renouvellement des ressources humaines et une vision sur le long terme.
Il apparaît d’autant plus important de maintenir une action de prévention dans le milieu techno à l’heure actuelle. Les soirées techno sont de plus en plus prisées et les nouveaux modes de consommation de produits psychostimulants en constante évolution 2. L’association, même en faisant 2 stands par nuit sur deux jours, ne couvrirait pas l’ensemble des soirées se tenant sur un week-end.
Grâce à l’expérience acquise et au soutien du réseau de professionnels constitué autour de l’association, Prevtech a pu développer des moyens pour atteindre ses objectifs :
1° Prévenir et réduire les risques
La présence du stand sur site permet de sensibiliser le public aux problématiques suivantes :
2° Rechercher et diffuser de l’information
Dans le but d’offrir des informations adaptées au public du milieu techno dix-neuf prospectus infos-conseils ont été édités. Axé sur la réduction des risques, ceux-ci sont destinés à la prévention secondaire et viennent compléter l’offre déjà existante plutôt ciblée sur la prévention primaire. Ils sont aussi utilisés par d’autres organismes dans leurs actions dans les milieux festifs, comme TransAt dans le Jura (Fondation Dépendances Jura), le Streetwork de Bienne ou le Release à Fribourg.
Un classeur avec des résultats d’analyses d’ecstasy est disponible au stand. Celui-ci permet d’attirer la curiosité du public et de le sensibiliser sur la composition aléatoire des pilules. Les données provenaient principalement de Eve&Rave Schweiz, le pendant suisse alémanique de Prevtech. Elles n’ont pu être renouvelées ces deux dernières années, car les analyses ont été suspendues par Eve&Rave.
Des informations orales sont également récoltées auprès des consommateurs et relayées au stand selon le profil de la personne. Et un site Internet 3 a été créé pour étendre la diffusion au-delà des soirées et favoriser, à travers le forum, un réseau de leaders positifs.
3°Agir sur les conditions d’organisation
Afin de favoriser le bon déroulement des soirées, il est nécessaire de sensibiliser les organisateurs et les autorités sur l’importance de:
Dans ce sens, l’association s’est approchée de la police du commerce du canton de Vaud. Et dans le cadre du groupe Night life 4 du GREAT, elle a participé à l’élaboration d’une charte destinée aux organisateurs.
L’association s’inscrit dans une démarche de santé communautaire, «c’est-à-dire qu’elle s’inscrit dans une dynamique de transformation des normes d’usages et/ou de droits, en tenant compte tant des connaissances scientifiques que des besoins et désirs de mode de vie des personnes. Les acteurs de cette transformation étant d’abord et avant tout les personnes concernées par cette politique.» 5
Le concept de prévention par les pairs 6 est à la base du succès des stands auprès du public, il permet d’instaurer un dialogue qui se situe au même niveau d’échange et évite ainsi les travers d’un discours moralisateur délivré par un professionnel. Celui-ci se veut non jugeant et valorisant, il encourage l’individu à s’affirmer en étant responsable de ses choix et de ses actes en connaissance de cause. Les bénévoles issus du milieu techno ont un contact facilité avec le public, et, en tant que porteurs de messages préventifs, ils sont considérés comme une source d’informations fiables.
L’implantation du stand est gratuite et se fait toujours en accord avec les organisateurs. Prevtech demande un libre accès pour les bénévoles et veille à ce que le stand soit placé sur un lieu de passage. Une équipe est constituée de trois à cinq membres. En général, elle se rend sur le site de la soirée vers 19h pour monter le stand, la soirée débute vers les 22h et se termine entre 4h et 12h le lendemain. A l’occasion du repas, les bénévoles peuvent échanger et se tenir au courant des dernières informations. Pendant la soirée, l’équipe assure une présence au stand en alternance avec des pauses pour danser ou se reposer dans le bus.
La présence du stand permet d’ouvrir un espace de dialogue et la distribution d’informations, d’eau et de préservatifs. Cela permet de susciter auprès des consommateurs une prise de conscience, d’offrir des arguments encourageant un changement ou des alternatives à la consommation, d’encourager les démarches vers l’abstinence, de limiter les risques liés à l’usage de produits et de dédramatiser les rechutes 7. L’intervention se fait de sorte à ne pas forcer la main au public, ni d’interférer avec le bon déroulement de la soirée.
Les réactions du public sont variables, certains réagissent par la provocation, d’autres engagent la discussion librement ou encore prennent le temps d’observer avant d’oser s’approcher. Des contacts réguliers permettent d’encourager et de soutenir des démarches dans le temps, certains sont même devenus membres de l’association. D’où l’importance de la régularité des stands qui favorise le contact avec le public et une meilleure collaboration avec les organisateurs ainsi que les services de sécurités ou médicaux.
Afin d’assurer la qualité des interventions, les bénévoles ont pu suivre des formations externes, dont deux spécifiques offertes gracieusement par l’ISPA et l’unité de recherche du SUPEA en 2000 et 2001, et un contrat de volontariat a été introduit en 2002. Ce dernier permet de définir une base commune pour les discours, le concept du stand, les limites d’intervention et d’orientation et les attitudes des bénévoles face au public. En outre, tout membre commence par une première nuit de formation interne, accompagné par un ancien, il est compté comme surnuméraire sur un stand. De plus, une supervision avec le Dr Stephan du SUPEA a été mise en place en 2002 à raison de deux à trois rencontres annuelles. Pour améliorer l’encadrement des bénévoles, en 2004, il est prévu de développer un aide-mémoire pour les stands (mise en place, déroulement, etc.) et de valoriser leur engagement à travers le dossier bénévolat de l’association Action Bénévole.
Comme outil d’évaluation, Prevtech utilise une feuille de bord pour relever des données sur l’équipe, la distribution de matériel, la population présente, les contacts et les informations récoltées sur les produits à chaque stand. Ainsi, le comité dispose de données quantitatives sur les interventions en soirées et garde une trace écrite de chacune d’elles. En cinq ans, l’association a distribué plus de13500 préservatifs, 3500 paires de tampons auriculaires, 10000 prospectus infos-conseils et recensé plus de 150 ecstasy différents 8. Depuis 1999, Prevtech a constaté une évolution dans le comportement du public et des organisateurs. En effet, certains clubs ont remis de l’eau froide aux toilettes, les ravers, de plus en plus spontanément, boivent d’eux-mêmes et se munissent de protections auditives.
Une action de santé communautaire efficace nécessite d’être insérée dans un réseau varié. Il est important pour l’association Prevtech d’entretenir des contacts non seulement avec le milieu techno, mais aussi avec les intervenants en toxicomanies, les autorités publiques, le milieu médical et les organes de financements. Dès la phase pilote du projet, un réseau a été mis en place pour l’implantation des stands, le soutien au démarrage et la formation des bénévoles. En 2001, grâce à la participation au groupe Night Life du GREAT, l’association a diversifié ses contacts avec les professionnels de la prévention, plusieurs collaborations ont pu se concrétiser telles que l’élaboration de la charte sur les conditions d’organisation de soirées, la mise en place de stands dans le canton du Jura, l’organisation d’une conférence avec Médecins du Monde sur les missions rave ou la participation à l’étude de l’ERIT 9 «De l’utilisation actuelle des psychostimulants: nouveaux comportements, nouvelles interventions, quelle prévention?».
La collaboration avec des intervenants précis étant indispensable à la réalisation des objectifs de l’association et à l’aboutissement de ses projets, Prevtech a invité pour une plate-forme pluridisciplinaire en 2002 chercheurs, médecins, éducateurs de rue, police des stupéfiants et du commerce, professionnels en toxicodépendances du canton de Vaud. A travers la plate-forme, d’une part l’encadrement des bénévoles s’est renforcé par la mise en place du contrat de volontariat et de la supervision, et d’autre part deux projets ont été initiés, l’un d’enquête dans le milieu techno et l’autre de développement d’analyses d’ecstasy dans le canton de Vaud. L’organisation de la plate-forme étant lourde à porter et les invités étant très sollicités, elle a été dissoute.
En 2003, un conseil consultatif a été créé comme organe d’accompagnement et de caution scientifique. Composés de professionnels de la prévention, il guide le comité à travers les démarches officielles, suit la réalisation des projets et soutient la qualité des prestations 10. Il se compose actuellement de: N. Pythoud du GREAT, V. Prats de Rel’ier, L. Chinet et M. Bernard de l’unité de recherche du SUPEA et L. Vandel du Rel’Aids et de deux représentants du comité de l’association.
Confronté à de nombreuses demandes de la part des consommateurs et à l’augmentation du marché des drogues de synthèses, il est apparu nécessaire de développer des moyens de réduction des risques spécifiques à ce type de produits. C’est pourquoi Prevtech s’est penché sur l’élaboration d’un projet pour le Drug Checking ou Testing avec l’aide du conseil consultatif. L’analyse sur site permet, en effet, de sauver des vies, de sensibiliser les consommateurs aux dangers, d’éviter l’absorption de substances non voulues et de donner l’alerte lorsqu’un produit dangereux circule dans la soirée. Trois méthodes sont utilisables en Suisse, l’analyse en laboratoire GC 11-MS 12 ou HPLC 13-MS, le chariot d’analyse HPLC du projet Pilot P et le Test de Marquis, les dernières méthodes étant particulièrement adaptées à l’analyse sur site. Les résultats fournis par le réactif de Marquis ne sont pas quantitatifs et peu qualitatifs par rapport aux autres méthodes, bien plus précises 14. Le Drug Checking vise à responsabiliser le consommateur et à lutter contre la banalisation de l’acte. Les analyses mettent en évidence les dangers potentiels, comme le surdosage. C’est un support au dialogue qui offre une place aux questions délicates et un moyen de modifier les comportements en créant un cadre à des entretiens personnalisés. L’intérêt du public favorise le contact avec les ravers peu sensibles aux mesures de prévention et la transmission des messages. La mise en place d’un tel projet nécessite l’accord des autorités politiques et la collaboration des services de police car le cadre légal doit être clairement défini. Actuellement, dans le canton de Vaud, il n’est pas possible de pratiquer des analyses sans exposer les intervenants ou les consommateurs à une arrestation. L’association avec le Conseil Consultatif élabore un projet actuellement dans le sens d’obtenir une décision politique.
La récolte de données pour une meilleure connaissance des usages dans le milieu est apparue comme une nécessité. A cette fin, une enquête a été initiée en 2002 dans les soirées techno de Suisse romande grâce à un auto-questionnaire conçu en collaboration avec l’unité de recherche du SUPEA. Le questionnaire, anonyme, est destiné à être rempli par les ravers pendant les soirées, qui les déposent ensuite dans une boîte placée à cet effet sur le stand Prevtech. Les premiers résultats ont été publiés en mars 2003 15, et présentés à plusieurs reprises lors de conférences par les collaborateurs de l’unité de recherche. Ceux-ci viennent confirmer certaines constatations de Prevtech jusqu’ici subjectives, comme l’âge de plus en plus bas du public des soirées techno ou la sensibilité accrue des ravers aux mesures de réduction des risques. Afin de valoriser les résultats, il apparaît nécessaire de continuer à récolter des questionnaires à travers les stands et, sur la base du traitement des données, de développer la diffusion des résultats et le développement d’actions en relation avec les besoins ainsi émergents.
L’association Prevtech est désormais bien implantée dans le milieu techno romand, précurseur dans le canton de Vaud, c’est la seule association active sur le terrain spécifiquement dans les soirées techno romande, en particulier dans la région lémanique. Elle a su développer un savoir-faire en cinq ans et s’entourer d’un réseau solide, ce qui offre des perspectives concrètes pour l’avenir. En pleine phase de consolidation, l’association a besoin d’assurer les bases de sa structure pour permettre un développement dans la stabilité et la durabilité. Il est nécessaire et d’actualité de garantir une continuation de l’action sur la base des acquis. Le développement de mesures de prévention et de prises en charge est indispensable face aux nouveaux modes de consommation et aux drogues de synthèses qui prennent toujours plus d’ampleur. Cela implique le maintien de la structure, des stands et le développement de projets, en collaboration avec le réseau, notamment relatifs aux résultats de l’enquête menée avec l’unité de recherche du SUPEA.