mai 2004
Nicolas Pythoud (GREAT)
Selon le «Rapport annuel 2001 sur l’état du phénomène de la drogue dans l’Union européenne» 1, nous constatons une stabilisation de la consommation des drogues synthétiques au niveau européen. Toutefois, on observe encore des tendances à la hausse pour l’ecstasy dans quelques régions, certaines villes ou certains lieux de vacances. «Plus généralement, les zones urbaines où les cultures de jeunes se sont établies peuvent encore constituer un lieu d’ancrage et de développement des drogues récréatives» 2.
«L’analyse croisée des enquêtes qualitatives suggère que la consommation de drogues synthétiques s’est étendue au-delà des milieux «technos», vers les discothèques, les clubs et aussi vers les soirées privées. D’autres environnements ont également été signalés. Par exemple, en 1998, une étude a montré qu’en Grèce, 35% des étudiants consommateurs d’ecstasy ont pris cette drogue à l’occasion de matchs de football » 2.
Ce rapport révèle également que les comportements de consommation ont évolué. La tendance n’est plus de consommer une drogue particulière plutôt qu’une autre, mais d’utiliser différentes drogues selon les besoins et les situations. «La plupart des pays rapportent des modèles de consommation très changeants pour un large public consistant à expérimenter et/ou combiner différentes substances pour se – «défoncer» et/ou modérer les effets respectifs» 3. «L’usage combiné de différentes substances, licites et illicites, est un modèle de comportement commun chez les jeunes dont le mode de vie est festif (bars, discothèques, – raves, soirées techno et soirées privées)» 4.
Sur le plan des risques pour la santé, ce même rapport relève que les informations à ce sujet sont rares et mal documentées. Cependant, les substances de type ecstasy peuvent être à l’origine de problèmes graves si, d’une part, elles sont associées à d’autres drogues légales ou illégales et, d’autre part, si ces substances sont frelatées ou surdosées.
Les réponses européennes à la consommation de drogues synthétiques sont organisées suivant différents niveaux d’intervention:
«La prévention primaire vise principalement à fournir des informations sur les drogues synthétiques, généralement avec des campagnes d’information publiques et des interventions dans les écoles. Les activités de réduction des risques/travail de proximité dans les lieux festifs comprennent des zones de repos, des tests de comprimés (testing), des tracts d’information et des bureaux sur le terrain. On relève également des initiatives «autogérées» dans le milieu de la techno qui visent à inclure des informations sur les drogues synthétiques et les substances associées dans diverses activités musicales. L’information des consommateurs sur les risques de mélanger des substances (notamment l’alcool) et le dépistage rapide de nouveaux groupes à risque parmi les jeunes sont désormais considérés comme essentiels. L’objectif des réponses sanitaires rapides est de fournir des informations ciblées sur la prévention qui permettent aux professionnels dans les salles d’urgence et les unités antipoison, aux médecins généralistes, aux agents de santé sur le terrain, etc., de détecter et de mieux répondre aux cas d’intoxication aiguë.» 5.
En conclusion, nous pouvons dire qu’au sein de la Communauté européenne la question de la consommation des drogues synthétiques, de la prévention et de la réduction des risques est un sujet majeur de préoccupation:
«Dans les lieux de loisirs nocturnes, la consommation de substances psychoactives est essentiellement motivée par la recherche du plaisir. La réduction des risques auxquels s’exposent un nombre croissant de jeunes de l’Union européenne qui s’adonnent à ces substances dans de tels lieux figure parmi les préoccupations essentielles des politiques aux niveaux local, national et international» peut-on lire dans la revue bimestrielle Briefing 6, novembre -décembre 2002 de l’O.E.D.T.
De fait, une résolution du Conseil et des représentants des Etats membres sur la prévention de l’usage récréatif de drogues 6 a synthétisé les points ci-dessus et invité les Etats membres à:
De manière plus générale, le plan d’action de l’UE en matière de lutte contre la drogue (2000-2004) vise à «diminuer de manière significative, dans un délai de cinq ans, la prévalence de la consommation de drogues illicites ainsi que le recrutement de nouveaux consommateurs de drogues, particulièrement parmi les jeunes de moins de 18 ans».
L’UE cofinance également un projet porté par Techno Plus au nom du Réseau BASICS 7 ayant pour objectif principal de «promouvoir une stratégie européenne de réduction des risques liée à l’usage des nouvelles drogues de synthèse en milieu festif, basée sur les associations d’éducation par les pairs issues du mouvement techno».
Plus précisément, les objectifs de ce projet sont :
En conclusion, nous constatons que, dans le discours politique européen, il existe une réelle volonté de coordonner les informations, les stratégies et les savoir-faire en matière de prévention et de réduction des risques en milieu festif. Cependant, comme nous le verrons dans la suite de ce chapitre, les réponses concrètes des Etats membres sont encore très différentes en fonction des volontés politiques nationales et locales, des législations et des moyens financiers mis à disposition des professionnels (recherche, interventions de terrain, etc.).
Il a été particulièrement difficile de trouver des informations précises concernant ce sujet dans la panoplie des rapports officiels européens. Ceci s’explique avant tout par le fait que de nombreuses activités de réduction des risques en milieu festif sont menées à l’échelle locale par des associations d’usagers et qu’elles sont parfois en marge des politiques nationales. Ces associations ont souvent été ou sont encore les précurseurs de la prévention et de la réduction des risques en milieu festif. Elles développent leurs actions selon le modèle de la prévention par les pairs. D’autres organismes professionnels non gouvernementaux se sont également impliqués dans ce domaine, à l’image de Médecins du Monde en France.
Il est à noter que ce n’est que très tardivement que certains gouvernements membres de l’UE ont pris conscience de la nécessité de définir une politique gouvernementale dans ce domaine et parfois de soutenir financièrement les actions menées par ces précurseurs.
Concrètement, et parmi les stratégies d’intervention adoptées au sein de l’UE, la distribution d’informations sur les drogues et les problèmes sanitaires, juridiques et émotionnels liés aux drogues est celle qui recueille la préférence. Cette information est parfois dispensée à travers des interventions personnalisées, dans les discothèques ou les soirées rave, notamment par les pairs. Ces interventions sont généralement bien accueillies, car le groupe-cible considère que les intervenants sont bien informés et socialement acceptables.
L’analyse chimique des comprimés (le testing) dans le cadre des événements représente également une stratégie soutenue par certains pays européens (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, France, Espagne, Royaume-Uni). Cette stratégie intéresse en premier lieu les consommateurs et consommatrices potentiels qui souhaitent être mieux informés sur la composition des substances qu’ils projettent de consommer. Pour les professionnels, outre le fait de pouvoir donner une information objective sur la composition des produits et sur les dangerosités qui peuvent en résulter (surdosage, présence de produits suspects, etc.), elle constitue également une occasion de discussion intensive avec les clients et permet ainsi d’adapter le discours de réduction des risques en fonction de chaque personne et/ou groupe de consommateurs.
Plus récemment, le Royaume-Uni a édicté des règles de base simples pour la sécurité dans les soirées festives. L’objectif est de réduire au minimum les risques les plus fréquents pour la santé en proposant entre autres de l’eau fraîche et des zones de récupération. Ces directives recommandent également de former du personnel pour les premiers soins, le contrôle des substances (testing) et la détection précoce des problèmes et de faciliter le travail des équipes de prévention et de réduction des risques. Cette stratégie a été reconnue comme la manière la plus directe de prévenir les méfaits de la consommation de drogues. Plusieurs pays européens ont également adopté des directives comparables, mais leur mise en œuvre par les propriétaires de clubs et les autorités locales reste très inégale.
Force est de constater que la Suisse n’a pas, à ce jour, de politique nationale de réduction des risques en milieu festif. Cependant, le canton de Berne ainsi que la Ville de Zurich ont mis ou remis en place, récemment, une politique de réduction des risques en milieu festif. Cette politique se concrétise sur le terrain par le Streetwork Zurich et par le Streetwork Bienne de la Fondation Contact-Netz (Berne).
Il est à signaler le travail de pionnier réalisé depuis 1996 par l’Association Eve&Rave, association de pairs, dans la scène techno en Suisse alémanique. Cette association a également été l’instigatrice de la brochure «DRUGS – l’info sur les ‘party drugs’ ! », réalisée en collaboration avec Eve&Rave Berlin, le Bureau Suisse pour la réduction des risques liés aux drogues (BRR), l’Association Prevtech, Radix Tessin et le Streetwork Zurich. Cette brochure a été financée par l’OFSP par le biais du fonds d’impulsion du BRR.
En Suisse romande, seule l’Association Prevtech, association de pairs, développe une activité régulière de prévention et de réduction des risques en milieu festif par le biais de stands d’information dans les clubs, discothèques et autres manifestations techno et ce, principalement dans le canton de Vaud. Dans les autres cantons romands, il n’existe aucune structure spécialisée dans ce domaine. Toutefois, différentes actions ponctuelles en soirées festives sont réalisées par des structures «traditionnelles» de prévention et d’aide aux personnes dépendantes. Par actions ponctuelles, il faut entendre ici des actions qui viennent en complément de leurs activités ordinaires dans le domaine des dépendances. Nous citerons ici l’Association Release à Fribourg, la Fondation trans-AT dans le Jura et la Fondation Contact dans le Jura bernois.
Ces structures, auxquelles il faut ajouter l’ISPA et le Streetwork de Bienne, se réunissent régulièrement au sein d’un groupe de travail du GREAT, la coordination «night life», dans le but d’échanger sur leurs expériences respectives et de développer du matériel d’information commun. Ce groupe a également pour objectif de sensibiliser les autorités politiques ainsi que les propriétaires de clubs et de discothèques aux problèmes posés par la consommation de psychostimulants lors des soirées festives.
Dans cette optique, ce groupe de travail a rédigé une «charte à l’intention des organisateurs de soirées festives». Cette charte s’adresse à tous les organisateurs-trices, professionnel-le-s ou bénévoles, désireux-ses d’organiser des soirées et des événements techno selon un code déontologique prônant le respect des personnes concernées et souhaitant mettre en place des moyens de prévention et de réduction des risques. Cette charte et les textes qui l’accompagnent leur donnent des informations sur la culture techno, sur les concepts de prévention et de réduction des risques dans ce milieu ainsi que sur les conditions optimales d’organisation de manifestations de soirées par le biais d’une check-list.
Pour terminer ce petit tour d’horizon, nous relevons encore l’existence d’un groupe de travail au niveau national, la coordination night life CH, réunissant des représentants du groupe romand, différentes structures suisses alémaniques, l’ISPA, le BRR et une représentante de l’OFSP. Ce groupe poursuit des objectifs similaires à ceux du groupe romand.