mai 2004
Roger Liggenstorfer, membre fondateur et membre actif de l'association Eve&Rave
Eve&Rave (Suisse) est une association dont le siège est à Lucerne. Elle a été créée en 1996, en référence à l’initiative du sociologue Helmut Ahrens, qui avait créé Eve&Rave Berlin. Cette création était liée à une politisation de certains amateurs de techno disposant d’une expérience des drogues. Les membres et les collaborateurs/trices d’Eve&Rave sont principalement des ravers qui participent à des soirées techno, sont conscients des problèmes qui s’y posent et souhaitent s’organiser en conséquence. Eve&Rave entretient des liens étroits avec d’autres organisations suisses et étrangères poursuivant des buts analogues.
L’association organise des activités de prévention. Pour ce faire, elle
L’association Eve&Rave déploie notamment ses activités dans des lieux où les institutions officielles ont les mains liées du fait de l’interdiction des drogues et où se manifestent les effets négatifs de cette interdiction. Dans le domaine de la prévention, les expériences ont montré que les interventions conçues par des «spécialistes» qui vivent à l’écart de la scène atteignent rarement leur but.
Eve&Rave a donc aussi pour objectif de faire prendre conscience à chacun-e de sa responsabilité personnelle et d’organiser au cœur même de la scène des cadres de vie offrant le soutien nécessaire pour éviter le développement d’une dépendance sans renoncer pour autant à la qualité de vie et de l’expérience.
Les tenants d’une politique prohibitionniste pure et dure exigent de grands sacrifices au nom de leur illusion d’une société sans drogues. Car on sait par expérience que l’interdiction frappant les drogues a un effet incitatif sur les jeunes en particulier, empêche de faire passer des informations objectives et favorise des comportements à risque; les mises en garde politiquement correctes («just say no») témoignent d’une double morale et ne sont généralement pas prises au sérieux. «Les drogues procurent du plaisir et comportent des risques» – c’est dans cet ordre que de nombreux jeunes qui outrepassent l’interdit font leurs expériences en matière de drogues. Mais comment peuvent-ils apprendre à en faire un usage responsable et avisé?
En adoptant une attitude acceptante et le slogan «just say know», l’organisation Eve&Rave travaille au cœur même de cette contradiction sociale. Les drogues ne sont ainsi pas considérées de façon isolée, mais en rapport avec la disposition et la personnalité des consommateurs/trices (set) et avec le contexte et les conditions extérieures (setting).
Le travail d’Eve&Rave consiste à tester qualitativement et quantitativement les pilules en circulation sur la scène techno (drug checking) dans des laboratoires à l’extérieur et à en publier les résultats. D’autre part, Eve&Rave dispose de son propre site Internet, où l’on trouve des résultats d’analyses de pilules, des récits d’usagères et d’usagers et des mises en garde contre la présence sur le marché de substances particulièrement dangereuses et contre les risques qu’il y a à mélanger différentes substances.
Eve&Rave met aussi au point (parfois en coopération avec d’autres organismes) des documents d’information et de prévention adaptés à la scène techno et assure une présence dans de nombreuses soirées en y proposant des stands d’information et des services de premiers secours (parfois avec des samaritains). En outre, elle encourage la planification et la mise en œuvre de mesures en collaboration avec des clubs, organise des sessions de formation continue et participe à des congrès internationaux.
L’organisation d’Eve&Rave est constamment en changement pour s’adapter aux besoins des ravers et des autres consommateurs de drogues évoluant dans la culture techno. Elle travaille également en dehors de cette scène avec des institutions intéressées et veille aux relations publiques. Du fait de ses activités, l’organisation jouit d’une grande confiance dans le milieu techno tout en étant reconnue par les spécialistes et les autorités.
Le but du testing de drogues est d’informer les amateurs de techno sur les substances légales et illégales qui circulent dans les soirées, afin de les sensibiliser à un usage prudent des drogues. Santé et plaisir vont de pair. En se fondant sur les analyses de drogues récréatives réalisées en laboratoire, Eve&Rave les informe sur les substances et leur dosage, leur composition et les additifs qu’elles contiennent.
En mettant en garde officiellement contre de nouvelles substances inconnues, des mélanges préjudiciables pour la santé et certains additifs, Eve&Rave travaille à la réduction des risques face aux conséquences désastreuses du marché noir, qui échappe à tout contrôle. S’en abstenir complètement reste cependant la seule façon d’échapper vraiment à tout risque lié aux drogues récréatives.
En 2002, Eve&Rave a été très active à divers égards. Nous avons tenu des stands d’information dans de nombreuses soirées, tout en y assurant un service de premiers secours. Grâce à une à deux présences par mois durant la saison des soirées, nous avons fait beaucoup d’expériences, notre participation nous permettant aussi d’approfondir notre connaissance des tendances actuelles sur la scène techno. Notre programme de testing de drogues s’en est trouvé renforcé et nous avons non seulement eu l’occasion de tester les «habituelles» pilules de MDMA, mais également de détecter la présence de substances particulièrement dangereuses comme la PMA (paraméthoxyamphétamine).
Ces résultats ont alors alerté quelques médias et l’OFSP qui ont publié des mises en garde. On voit ainsi qu’il est urgent de mettre en place un testing des drogues récréatives au niveau national.
Le site Internet a été enrichi et un forum y a été mis à disposition. Celui-ci a accueilli jusqu’à présent plus de 600 visiteurs, qui y ont apporté plus de 9000 contributions en peu de temps (état à fin avril 2003). En toute modestie, cela atteste d’un grand succès et confirme l’existence d’un besoin énorme d’échanger des informations dans ce domaine.
Le 23 octobre 2002 a eu lieu le colloque «Tanzkultur – Drogenkultur: usage et abus de drogues récréatives» à la Maison du peuple de Zurich. Ce colloque de qualité a présenté une multiplicité de points de vue. Près de 200 spécialistes travaillant dans tous les secteurs de la prévention et de l’information en matière de drogues venant d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse y ont participé. Une vidéo de ce colloque et des activités d’Eve&Rave en général est en préparation (voir encadré).
En 2003, la formation continue n’a pas consisté seulement en cours organisés pour l’extérieur, mais aussi en cours internes et en soirées consacrées à l’échange d’informations et de méthodes d’intervention. A la fin de l’année, nous avons encore organisé une soirée à but lucratif à la Rote Fabrik. Elle a connu un franc succès et a permis de financer quelque temps notre programme de testing de drogues.
Depuis sa création en 1996, Eve&Rave a bénéficié d’une grande attention tant auprès de la scène techno que des autorités. Après une période plutôt calme au tournant du siècle, l’adhésion massive de nouveaux membres a permis de reprendre beaucoup d’activités et d’en lancer de nouvelles. Durant cette phase de transition, nous nous sommes réunis chaque mois en assemblées plénières, qui, compte tenu de l’afflux de nouveau membres, ont fini par s’avérer lourdes à gérer.
Nous avons donc organisé, début 2003, une retraite dans les Flumser-bergen pour réfléchir à la structure et au fonctionnement de l’organisation compte tenu de l’augmentation incessante de ses membres.
Un comité récemment élu se réunit maintenant régulièrement (en principe chaque mois) avec des représentant-es des différents groupes de travail; l’assemblée générale de tous les membres actifs ne se réunit plus qu’une fois par trimestre. Le forum sur Internet offre cependant une possibilité de discuter et d’échanger sur les sujets à l’ordre du jour des séances, ce qui permet à tous les membres de se tenir au courant des activités de l’association et de faire valoir leurs propres idées.
Une petite soirée de promotion a été organisée début avril dans un club de Zurich. Nous y avons tenté de nous adresser à d’autres scènes et la réussite de cette soirée fut une preuve de l’ouverture et de la capacité de changement d’Eve&Rave.
Du fait que toutes nos activités sont financées par des dons, les cotisations des membres et le bénéfice de manifestations – et que nous assumons en conséquence beaucoup de travail bénévole -, nos possibilités de réaliser des testings coûteux et davantage d’interventions dans les soirées restent malheureusement assez limitées. Ce qui ne nous empêche pas de faire savoir ce qu’il faudrait faire, où et comment. Nous entendons par ailleurs continuer à promouvoir la responsabilité personnelle non seulement des usagères et des usagers, mais encore des propriétaires de clubs et organisateurs/trices de soirées et – last but not least -celle des dealers. Cela peut évidemment paraître un peu provocateur. Mais c’est la seule façon de sortir du dilemme lié à l’abus permanent de substances, car il est bien connu que la plupart des dégâts constatés ne sont pas dus aux drogues elles-mêmes, mais au contexte prohibitionniste. Renoncer à la prohibition permettrait de diminuer ou, dans le meilleur des cas, d’éliminer le surmenage des spécialistes chargés de la prévention, non seulement chez nous, mais encore dans les nombreuses institutions sociales. Que cela ne puisse pas devenir réalité du jour au lendemain, nous en sommes bien conscients. Mais nous devrions tous en faire le but à long terme de notre travail et nous engager politiquement dans ce sens!
Faute de ressources financières et personnelles, Eve&Rave ne peut pas réaliser elle-même toutes les étapes décrites et en tout cas pas à grande échelle. Mais nous indiquons ce qu’il faudrait faire et sommes prêts à coopérer avec des institutions et des autorités existantes.
Malheureusement, les services officiels et les institutions pratiquant le testing des drogues ont trop souvent tendance à nous contacter uniquement pour profiter de l’expérience et des ressources d’Eve&Rave. S’il en est ainsi, c’est probablement justement parce qu’Eve&Rave se montre toujours coopérative, partage son savoir et souhaite travailler en réseau.
Des découvertes comme celle des pilules mortelles de PMA légitiment notre travail et en particulier le programme de testing de drogues. Connaissant les dangers que cela représente, nous ne pouvons pas nous contenter de regarder comment des pilules dangereuses sont mises en circulation. Nous sommes trop proches de la scène pour détourner notre regard et il nous incombe de faire quelque chose. C’est dans ce sens que nous tenons bon, même si cela ne plaît pas toujours à tout le monde. Il faut parfois du temps pour que de bonnes idées soient reconnues comme telles. Ainsi, la Suisse réussit à imposer durablement et contre la volonté de nombreux autres pays certaines de ses positions en matière de politique de la drogue. Mais, dans le cas du testing des drogues, elle est dépassée par l’UE, qui approuve de tels programmes dans un document officiel. Des pays tels que l’Autriche, les Pays-Bas et même la France sont déjà plus avancés dans ce domaine. La Suisse ferait bien de ne pas faire bande à part.