mars 2018
La nouvelle Stratégie addiction met l’individu au centre. « Elle part du principe que l’individu est responsable de ses choix de vie et de son comportement individuel, y compris en matière de santé ». Son discours inclusif contente à la fois les activistes des droits humains, favorables à davantage de prise en compte des usagers, et à la fois les milieux les plus libéraux dans notre pays, qui y voient un retrait bienvenu de l’Etat. Ce nouveau discours, que l’on retrouve également dans la déclaration
d’Ascona, fait progressivement son chemin et nous emmène vers des terres nouvelles, bien loin de la verticalité qui caractérisait nos systèmes de santé des décennies précédentes. A la « prise en charge » succède « l’empowerment » ; au retrait de l’Etat providence, qui garantit par le haut le bien-être des membres de la communauté, une société plus horizontale, où les individus et les groupes doivent s’approprier leur destinée, et assumer les conséquences de leurs comportements.
Concrètement, cela veut dire que la société n’a plus à s’immiscer dans les choix des individus, même si ceux-ci nuisent à leur propre santé, voire à leur vie. Nous avons donc dorénavant le droit de nous détruire, voire de choisir notre propre mort. La question du choix reste cependant délicate. Sommes-nous tous égaux face au « choix » ? Quelles sont les conditions qui garantissent un choix éclairé, non conditionné par des conditions-cadres défavorables ? La Stratégie addiction n’oublie pas cet aspect de la question, et rappelle qu’une vision libérale des conduites addictives ne saurait perdre un accent de promotion sociale. « C’est pourquoi le renforcement des ressources et des capacités individuelles en matière de santé revêt une importance stratégique. » Et pourtant, peut-on se contenter ce cette déclaration d’intention, au moment où tous les budgets consacrés à cette belle logique de promotion de la santé sont sabrés sans ménagements ?
Cette tension caractérisera probablement le domaine des addictions dans les années à venir. En sortant progressivement du paternalisme qui a caractérisé notre domaine tout au long du XXème siècle, et dont la politique des 4 piliers en fut le dernier avatar, le réseau professionnel doit trouver de nouveaux équilibres face à ces questions. Restauration de la responsabilité, de la citoyenneté et de la dignité, mais aussi baisse de la protection de la société et des prestations sociales. La solidarité, ébranlée par ce tournant, doit, elle aussi, trouver de nouvelles voies d’expression, probablement loin des dispositifs (au sens foucaldien), mais plus proche des mouvements communautaires, issues de partenariats novateurs entre les acteurs concernés, en commençant par les consommateurs. De nouveaux chemins sont possibles, dans une logique de « restauration de la capacité d’agir ». Mais jusqu’où faut-il aller trop loin ? Dépendances pousse ici la logique jusqu’au bout et aborde, entre autres, la question la plus importante la plus emblématique de toutes : la vie et la mort. Les droits, jusqu’au bout ?
Jean-Félix Savary (GREA)