mars 2018
Shirin Hatam(Pro Mente Sana), Yasser Khazaal(Université de Genève)
Les directives anticipées, qui doivent revêtir la forme écrite (art. 371 CC), permettent à une personne d’anticiper la perte de discernement induite par une maladie en déterminant les traitements médicaux auxquels elle consent. Depuis 2013 (introduction du droit de la protection de l’adulte), ces directives sont exclusivement médicales, c’est-à-dire que leur champ s’est rétréci à ne plus pouvoir se déterminer que sur ce qui pourrait apparaître dans un plan de traitement (art. 377 et 433 CC) établi à l’hôpital. Désormais, la personne qui souhaite une assistance personnelle non strictement médicale dans le but d’enrayer le processus de crise, ou une prise en charge de ses affaires patrimoniales, doit procéder par mandat pour cause d’inaptitude (art. 360 à 369 CC), lequel exige la forme olographe ou authentique ainsi que la rémunération du mandataire.
Le médecin doit respecter les directives anticipées (art. 372 CC) lorsqu’il établit un plan de traitement pour une personne incapable de discernement (art. 377 CC). Toutefois, le strict respect des directives anticipées souffre une exception en cas de traitement des troubles psychiques durant un placement à des fins d’assistance (ci-après PAFA) : afin de garantir la possibilité d’un traitement sans consentement (art. 434 CC) voulue par le législateur, la loi a prévu que, en cas de PAFA et en cas de PAFA seulement, les directives anticipées doivent être prises en considération mais non pas respectées.
Cette exception au respect de la volonté du patient doit être interprétée de façon étroite. D’une part, elle consacre une violation de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (ci-après CDPH – RS 0.109) ratifiée par la Suisse après l’entrée en vigueur de l’article 434 du Code civil, qui légalise le traitement non conforme aux directives anticipées. Puisque la CDPH garantit le droit des personnes handicapées au respect de leur intégrité mentale sur la base de l’égalité avec les autres, le traitement psychotrope forcé (qui porte une atteinte, même momentanée, à l’intégrité psychique) viole le principe d’égalité contenu par la CDPH, du fait qu’il est réservé aux seules personnes souffrant de troubles psychiques. À cela s’ajoute que l’article 12 CDPH exige que les mesures relatives à la capacité juridique des personnes handicapées respectent leur volonté et leurs préférences, de sorte que le non-respect des directives anticipées heurte cette disposition. D’autre part, le Code civil suisse justifie le PAFA par la nécessité de porter assistance à la personne concernée. Or, ne pas respecter les directives anticipées dans le but d’instaurer un traitement que la personne a refusé contredit clairement la notion d’assistance qui fonde le PAFA. Il s’ensuit que pour être aussi respectueux que possible du droit supérieur, le traitement médical non conforme à la volonté du patient devrait être le seul moyen de lui porter une assistance vitale. De plus, le traitement sans consentement ainsi prescrit devrait être fidèle, sinon à la volonté, en tout cas aux préférences exprimées par le patient dans ses directives anticipées.
Le patient qui rédige des directives anticipées court plusieurs risques : celui de les exprimer si maladroitement qu’elles en soient inapplicables, celui d’être si vivement influencé par la personne ou l’institution qui l’aide à les rédiger qu’elles ne correspondraient pas à sa volonté, enfin, last but not least, le risque que ses directives ne soient pas respectées durant un PAFA en application de l’article 434 du Code civil. Il y a diverses manières d’éviter ces écueils.
Premièrement, il est possible de chercher de l’aide à la rédaction en dehors des institutions médicales afin de contrer leur tendance naturelle à orienter les directives vers le traitement qu’elles souhaitent proposer/imposer. La volonté du patient s’élaborera une fois la crise passée avec l’aide de personnes de confiance (médecin traitant, infirmier indépendant, proche, pair, etc.) pour être ensuite soumises à l’hôpital sous forme de document dûment pensé. Un certain recul est d’autant plus avantageux que les directives anticipées n’ont pas à envisager d’emblée tous les cas de figure, et que le patient n’a pas à donner ses instructions pour toutes les hypothèses de soin. Les doutes et les hésitations qui jalonnent le chemin du rétablissement ont leur place dans les premières directives anticipées qu’un patient décide de rédiger : il s’y racontera, exprimera ses valeurs et dira ce qu’il faut pour guider le médecin dans le choix d’un traitement respectueux. C’est seulement au cours des épisodes de soin suivants que ses directives s’affineront des préférences vers les volontés, et qu’elles iront jusqu’à embrasser toutes les éventualités.
Deuxièmement, pour que les patients puissent librement s’approprier les directives anticipées comme une thérapeutique salutaire de longue haleine, il faut que les institutions les reçoivent comme l’expression d’une volonté mature et respectable. Du fait que la loi leur permet de passer outre lorsque les conditions légales sont remplies, il est essentiel qu’elles s’engagent activement à appliquer scrupuleusement les directives comme le meilleur moyen de porter assistance. Si l’institution devait juger les directives inapplicables, elle devrait expliquer franchement pour quelles raisons, et dans quelles circonstances, elle ne pourrait pas s’y plier. Seule une information transparente permet à un patient rassuré d’aborder sereinement le chantier de sa volonté intime pour la construire sur un terrain solidement aménagé.
Il faut faire le constat que cet outil d’« empowerment », est peu utilisé spontanément par les personnes confrontées aux troubles mentaux, aux addictions et au risque de traitements sous contrainte 1. C’est d’autant plus intrigant que les épisodes de crise se reproduisent selon des patterns communs de répétition des prodromes de rechutes jusqu’aux réponses médicales, environnementales et institutionnelles. Les patterns de rechute et de réponses aux crises étant connus, il devrait être possible d’établir des directives anticipées précises, puisque la loi exige que la situation en cours corresponde à celle que décrit la directive. En théorie, la situation idéale serait d’avoir déjà vécu une crise pour pouvoir bien l’anticiper.
Plusieurs facteurs contribuent à la rareté des directives anticipées de personnes confrontées aux troubles mentaux et aux addictions 2, notamment la crainte du non-respect de celles-ci, ainsi que des difficultés de conceptualisation et de rédaction.
En effet, les périodes de crise vécues de manière traumatique sont souvent suivies de phases d’évitement. Les personnes concernées évitent de penser en détail aux événements (même préoccupées ou envahies par ceux-ci) ou esquivent certains aspects des soins. Elles éviteront, en particulier, de penser de manière précise à ce qui a été douloureux, culpabilisant, honteux, injuste ou humiliant. C’est peut-être là, ce qui explique le peu de directives anticipées spontanées.
C’est là que les soignants, d’autres intervenants, des associations proches de patients, peuvent jouer un rôle important en facilitant la directive anticipée. Cette facilitation est bien acceptée par les patients, fréquemment ouverts à une assistance 3. Les facilitations peuvent provenir de différentes personnes et intervenir à différents moments. En effet, elles peuvent être menées par les soignants (qu’ils soient intervenus aux moments les plus aigus, durant l’exercice de la contrainte à l’hôpital, ou en ambulatoire), ou par d’autres facilitateurs (pairs praticiens, avocats, associations,etc.) 4.
Le facilitateur devrait être clairement accepté dans ce rôle par le patient et très scrupuleux dans sa démarche, consistant à aider le patient à se déterminer sans le faire à sa place. Malheureusement, la crainte des soignants, quant à de tels outils d’expression de la volonté des patients 5, pourrait être une barrière à la facilitation. Un questionnement empathique et transparent sur les risques vécus, les risques potentiels et les manières de les gérer, dans le respect des valeurs du patient, est un fondement majeur du travail de facilitation des directives anticipées. Notons encore que la facilitation des directives anticipées par l’exploration détaillée des périodes de crise, par le soutien à l’autodétermination des personnes et par l’intégration transparente, positive et créative des risques est un élément essentiel au processus de rétablissement 6 et une réponse possible à la contrainte 7.
Le moment où le travail sur les directives anticipées débute est celui où le patient a sa capacité de discernement quant aux points traités par ses directives. Dans ce moment, parfois appelé, « cool moment », il peut à la fois être relié aux paramètres de la crise et faire ses choix dans une bonne connexion avec sa volonté et ses valeurs propres 8, en considérant de manière précise les risques auxquels il est confronté. La rédaction peut en être plus ou moins rapide selon les questions ciblées par les directives et les difficultés à explorer ces questions pour élaborer des réponses adaptées.
Toute directive anticipée doit prévoir sa propre révision systématique à chaque crise, ou si des changements importants intervenaient entre temps. L’expérience clinique nous montre dans le champ des addictions 9, comme dans celui d’autres troubles mentaux, que ce travail bénéficie habituellement d’améliorations au fil des révisions 3.
Dans le champ des addictions, la question des directives anticipées a été moins étudiée que dans d’autres domaines de la psychiatrie 9. Cependant, l’élaboration de directives anticipées ainsi que l’accès à des voies de facilitation sont de première importance, puisqu’une partie des personnes avec addictions sont confrontées à de fortes comorbidités psychiatriques, à des crises récurrentes, à des patterns de rechute identifiables, à des risques pour elles-mêmes ou autrui lors des rechutes, à des pertes de discernement et à des réponses médicales, sociales et judiciaires contraignantes. Une telle approche est cohérente avec le modèle de l’entretien motivationnel 10, déjà utilisé en addictologie et mettant au centre le point de vue du patient sur le changement. L’expérience clinique nous montre l’acceptabilité de cette approche et son utilité auprès des patients à haut risque de rechute.
Le constat clinique, qu’a permis de faire l’introduction du « Case Management de Transition » 11 pour les patients à haut risque de rechute ou de relais ambulatoire difficile, est que les directives anticipées ont d’autant plus de chances d’être rédigées qu’un case manager intègre la facilitation de ces directives dans ses missions. Dans ces cas, la plupart des patients sortent de l’hôpital avec une forme de directives anticipées. Ceci est probablement rendu possible par la relation et le temps à disposition durant ces interventions initiées à l’hôpital, et prolongé pendant plusieurs semaines après la sortie.
Les directives anticipées peuvent rejoindre, dans leur modèle clinique, d’autres formes de plans de crise anticipées comme les plans de crise conjoints 5. Elles ont cependant une dimension légale différente et s’appuient, en théorie, moins sur un consensus de personnes avec le patient que sur ses choix spécifiques.
Le plus souvent, les directives anticipées, comme les autres formes de plan d’anticipation des crises, tentent de préciser les contours de la crise dès ses prémices. C’est un atout, car la personne peut ainsi demander des interventions particulières, avant même l’acmé de la crise, qui permettent d’en bloquer l’évolution ou d’en modifier les conséquences. Il se peut que, lors des prémices, le patient soit en pleine possession de son discernement. À ce moment précis, en cas de crise, la décision du patient primerait sur sa directive, qui ne serait plus qu’un moyen de rappeler des stratégies prédéfinies. Cet élément est cliniquement particulièrement important à ce moment. Les directives anticipées relèvent d’un droit des personnes à l’autodétermination. Même si elles sont encore peu étudiées en addictologie, elles sont, de par la démarche clinique qu’elles impliquent, aussi une opportunité prometteuse pour le travail. À l’avenir, des études devraient se pencher plus en détail sur les facteurs facilitant cette démarche et son utilité à long terme, non seulement sur la récurrence des crises mais surtout sur des réponses aux crises moins contraignantes, et plus en adéquation avec la volonté des patients.