décembre 2018
Richard Cloutier (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec)
Le contexte mondial de la consommation de drogues se caractérise, depuis quelques années, par l’émergence de nouvelles drogues, souvent plus toxiques, et par l’usage accru d’opioïdes, à des fins thérapeutiques ou non. Dans plusieurs Etats américains et certaines des provinces canadiennes, une augmentation importante des décès par surdose d’opioïdes (intoxication aigüe) a été observée, laquelle a appelé la mise en œuvre d’actions exceptionnelles par les autorités de santé.
Selon la Commission globale de politique en matière de drogues (2017), « l’Amérique du Nord est confrontée à une épidémie d’addiction aux opioïdes et à une mortalité sans précédent due aux surdoses. Cette crise puise ses origines dans la forte progression de l’utilisation médicale des opioïdes, amorcée dans les années 1990 dans le souci légitime de pallier le sous-traitement de la douleur et dont les compagnies pharmaceutiques ont rapidement tiré profit pour augmenter leurs revenus. L’offre croissante de médicaments a alimenté des canaux de détournement de l’usage à des fins non médicale au sein d’une population économiquement éprouvée et fragilisée 1 ».
Toujours selon la Commission (2017), au Canada, « l’augmentation du nombre de surdoses fatales, dans des quartiers où l’incidence de la consommation d’héroïne était déjà relativement élevée, est principalement attribuable à la puissance des substances ou au mélange avec d’autres drogues. Les premières réactions ont consisté à restreindre les prescriptions et à introduire des produits sur prescription plus difficiles à manipuler. Malheureusement, la réduction de l’offre d’opioïdes prescrits par des médecins a poussé une importante minorité de personnes dépendantes à se rabattre sur l’héroïne de rue, moins chère et plus facile à se procurer. […] Des opioïdes surpuissants et bon marché, tels que le fentanyl et ses dérivés, ont progressivement envahi le marché de la drogue. Cela a eu pour conséquence d’accélérer la hausse du taux de surdoses fatales 2 ».
Comparativement aux Etats-Unis et aux provinces de l’ouest du Canada, le Québec demeure, à ce jour, relativement épargné par la crise résultant des décès associés aux surdoses d’opioïdes. Le nombre de décès apparemment liés à la consommation d’opioïdes au Canada est évalué à 3 671 cas pour l’année 2017, le taux de mortalité se situant à 10 décès par 100 000 habitants (ministère de la Santé du Canada, 2018) 3. Pour cette même période, le Québec figure au dernier rang des douze provinces et territoires présentant des résultats, avec un taux de 2,2 décès par 100 000 habitants. À titre de comparaison, le taux atteint 29 décès par 100 000 habitants en Colombie-Britannique.
La consommation d’opioïdes est moins élevée au Québec qu’ailleurs au Canada. On constate en effet :
L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a produit en 2018 une étude concernant l’usage des opioïdes obtenus sur ordonnance, de 2006 à 2016, chez les personnes couvertes par le régime public d’assurance médicaments du Québec 7. On y rapporte que le nombre annuel d’utilisateurs d’opioïdes couverts en continu par ce régime a augmenté progressivement de 279 512 à 338 335 8. La proportion des utilisateurs d’opioïdes parmi les personnes couvertes par le régime public d’assurance médicaments du Québec est toutefois demeurée plutôt stable au cours des onze années sur lesquelles porte l’étude, se situant à 10,5 % en 2006 et à 10,3 % en 2016 2.
L’Institut national de santé publique du Québec dresse depuis plusieurs années un état des lieux de l’usage de drogues par injection au Québec. En 2018, il a constaté une nette progression de l’usage d’opioïdes médicamenteux passant entre 2003 et 2015, de 27,4 % des drogues injectées à 50,7 %, particulièrement le Dilaudid. Les jeunes de moins de 24 ans sont plus enclins à consommer des opioïdes médicamenteux que leurs aînés 9.
Dans ce contexte, le Québec n’est aucunement à l’abri d’une éventuelle poussée sur son territoire du nombre de surdoses d’opioïdes et de décès par surdose d’opioïdes.
L’enquête de Statistique Canada 10 montre qu’un peu plus des trois quarts (77 %) des Canadiens et Canadiennes de 18 ans et plus ont déclaré être « très ou plus ou moins au courant » du problème des opioïdes, mais le pourcentage varie d’une province à l’autre. Ainsi, le plus haut degré de sensibilisation a été observé en Colombie-Britannique (86 %) et le plus faible, au Québec (67 %), où le tiers (33 %) des répondants ont dit n’être « pas du tout au courant » du problème relatif à l’usage d’opioïdes au Canada. Cette méconnaissance de la problématique au Québec est probablement due au fait du nombre, somme toute limité, de décès causés par des surdoses qui y ont été recensés.
Dans la même enquête, un peu plus de la moitié des Québécois et Québécoises (53 %) ont déclaré être « très au courant » du fait que les drogues obtenues illégalement pourraient contenir du fentanyl. Il s’agit là du niveau le plus bas au Canada, alors que 71 % des Canadiens ont fait cette même déclaration. Le niveau de connaissances des Québécois sur la question est probablement lui aussi lié au fait que le nombre de décès apparemment attribuables à la consommation d’opioïdes associés au fentanyl illégal le plus bas au Canada, à ce jour, s’observe au Québec.
En outre, par comparaison aux 79 % des Canadiens de 18 ans et plus, les deux tiers des Québécois du même âge (67 %) ont indiqué être « très au courant » du fait qu’une utilisation problématique des opioïdes peut entraîner une surdose ou la mort. Dans le même ordre d’idées, seulement 65 % des Québécois, contre 72 % des Canadiens, ont déclaré être « très au courant » des risques associés au fait de mélanger les opioïdes avec l’alcool. Aussi, 61 % des Québécois étaient « très au courant » des risques associés au fait de mélanger les opioïdes avec d’autres médicaments, comparativement à 72 % des Canadiens.
Tout comme les autres Canadiens, la plupart des Québécois de 18 ans et plus ont déclaré qu’ils appelleraient le 9-1-1 s’ils soupçonnaient une surdose d’opioïdes. Plus du quart (26 %) ont déclaré qu’ils reconnaîtraient les signes d’une surdose d’opioïdes et 16 % sauraient comment obtenir de la naloxone, tandis que seulement 7 % sauraient comment l’administrer et 6 %, à la fois comment l’obtenir et l’administrer.
Si 38 % des Québécois de 18 ans et plus ont indiqué ne pas souhaiter que leur famille ou leurs amis soient mis au courant de leur éventuelle consommation d’opioïdes sans ordonnance, la proportion chute à 16 % pour ceux qui consommaient des opioïdes avec ordonnance. Ces résultats sont comparables à ceux des autres Canadiens.
Une étude effectuée par le Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal montre que la couverture média de la crise des opioïdes donne une très mauvaise image des personnes qui prennent des opioïdes pour contrer leur douleur chronique 11. Elle montre aussi que la couverture médiatique aurait des répercussions sur l’accès aux opioïdes, lesquelles peuvent se traduire notamment par une diminution des doses prescrites par les médecins, et ce, sans l’accord du patient. Les opioïdes sont des médicaments efficaces et indispensables pour le bien-être de certains patients souffrant de douleur chronique. Bien que l’on sache que ces médicaments doivent être utilisés avec circonspection et en combinaison avec d’autres modalités thérapeutiques, beaucoup de préjugés persistent à leur égard, ce qui contribue à ce que certaines personnes jugent de façon indue celles qui souffrent de douleurs chroniques.
Malgré leur nombre somme toute limité, les décès liés aux surdoses d’opioïdes sont en hausse au Québec. Chaque décès en est un de trop. Le contexte actuel est suffisamment préoccupant pour se mobiliser et préparer une réponse adéquate pour les éviter et sauver des vies lorsque ces surdoses surviennent. C’est ainsi qu’en 2018, le Gouvernement du Québec a mis en place la Stratégie nationale 2018-2020 pour prévenir les surdoses d’opioïdes et y répondre 12. Les mesures principales sont associées à sept champs d’action :