novembre 2001
Françoise F., Christian B. (Alcooliques Anonymes de Suisse romande et italienne)
Fr: Dans les premières vingt-quatre heures, et ce durant deux ans au moins, il m’était difficile de le dire car j’avais peur du jugement et du rejet. En revanche, lors de témoignages donnés dans le cadre d’Alcooliques anonymes, il m’était facile d’en faire état puisque je me sentais protégée. Cela m’a permis de comprendre que j’avais peur de reconnaître mon alcoolisme, c’est-à-dire hors AA. Plus la confiance en moi s’est installée, plus j’ai pu en parler aisément. Cependant, lorsque je suis dans le « monde », j’ai aujourd’hui encore certaines réticences à dévoiler mon appartenance au mouvement.
Ch: Pour ma part, je n’ai jamais vraiment éprouvé de difficultés à faire connaître mon appartenance aux AA. Au contraire, je suis plutôt exhibitionniste en ce sens que, au début de mon rétablissement, j’aimais bien parler de mon passé, de mes souffrances. J’étais fier aussi de montrer – plus à moi-même qu’aux autres d’ailleurs – que je m’en étais sorti. Il s’agissait d’une protection en quelque sorte, une manière de me convaincre que j’avais franchi le pas. En outre, j’étais persuadé que de parler de ma vie d’alcoolique pouvait avoir un sens pour mon interlocuteur. Toutefois, je n’en faisais pas état n’importe où. Il s’agissait surtout de personnes qui m’avaient connu dans ma consommation et de qui j’attendais, au fond de moi, de la reconnaissance, si
ce n’est des félicitations.
Fr: Parmi mes amis AA, une personne qui m’entendait un jour évoquer ma crainte de parler de mon appartenance au mouvement AA m’a rappelé que, lorsque je buvais, mon état d’ivresse n’échappait à personne. Dès lors, il me fut progressivement plus facile d’oser le dire et d’affirmer cette appartenance. Dans mon cadre professionnel, j’éprouve toujours des réticences à en faire état car le regard des personnes qui m’entourent est un regard empreint de jugement – par ignorance la plupart du temps – de ce qu’est la maladie de la dépendance. En conséquence, je choisis les personnes auxquelles je parle de mon alcoolisme. Par contre, j’ai pu constater que, lorsque je m’ouvre, il y a un réel intérêt de mon interlocuteur pour le programme de vie que propose AA. C’est une première réaction. La seconde est plus sournoise: elle consiste à vouloir me protéger envers et contre tout. Par exemple, le chef du personnel, à qui j’avais fait part de mon alcoolisme lors de mon engagement, s’est mis en devoir de me servir d’autorité une boisson sans alcool alors qu’il offrait du vin à toute l’assistance. J’ai osé dire que je suis AA mais ce genre de réaction m’a rendue prudente.
Ch: Je connais également ce type de comportement. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de devoir y faire face, sans avoir pour autant à subir la même situation. Une situation que j’aurais ressentie comme une humiliation. Reste que, dans mon emploi précédent, lors de verrées marquant le départ de tel ou tel collègue, le chef de bureau avait le chic pour se placer à côté de moi et, tout en se mettant moult verres de vin derrière la cravate, jetait un œil sur le contenu de mon verre. J’ai été agacé mais, en fin de compte, cette attitude me faisait sourire. D’autres collègues, eux, se montraient plus discrets, mais plus énervants. Je sentais une peur, discrète mais bien présente, que la tentation m’emporte et me fasse sombrer à nouveau. Ils voulaient ériger un rempart autour de moi. Ce qui me vexait passablement. Mais je n’osais rien dire, de peur de les froisser. Ils étaient tellement contents de leur sollicitude. Il faut dire que ces personnes m’avaient vu arriver au travail dans des états innommables et qu’ils avaient en fait la trouille de me voir à nouveau ivre.
Fr: En revanche, je n’ai aucune crainte de parler de ma maladie dans le cadre de ma vie privée. Lorsque je me trouve en compagnie de connaissances ou d’amis, et que la question de ma non-consommation d’alcool est abordée, je me sens à l’aise pour reconnaître mon alcoolisme et évoquer mon parcours au sein du mouvement AA. J’éprouve même beaucoup de plaisir, de joie, voire de fierté, à raconter de quelle façon je me suis détruite dans l’alcool et ensuite reconstruite au sein du mouvement AA. Je peux devenir intarissable si mon interlocuteur manifeste de l’intérêt. Il m’arrive parfois de le convier à assister à une séance ouverte à tous, afin qu’il puisse rencontrer d’autres membres qui ont suivi le même chemin que moi, souvent des amitiés se créent et l’échange spirituel est très enrichissant.
Ch: Pareil pour moi: les amis me posent moins de problèmes, si ce n’est que je dois faire attention de ne pas en rajouter. Je ne suis pas prêt d’oublier l’ami qui, un soir où j’étais particulièrement prolixe, m’a patiemment écouté avant de me dire: « Dans le fond, ça te fascine d’en parler. Moi je trouve cette fascination morbide ». Difficile à encaisser. Il n’empêche que cette simple phrase m’a fait prendre conscience de la quasi-vanité qu’il y a de parler encore et encore de ce passé. Ce qui fait qu’aujourd’hui, dans ce genre de cercle, je n’en fais état que lorsqu’une personne me le demande. Soit qu’elle sait par où je suis passé, soit qu’elle se sent concernée elle-même par le problème.
Fr: Cela me donne-t-il du courage de dire mon appartenance à AA? C’est une question que je ne me suis jamais posée avant d’accepter de rédiger cet article. Je pense que cela peut encourager certaines personnes à dire non et à ne pas succomber à la tentation de boire à nouveau, cela peut également être un très bon garde-fou. Cela n’est pas mon cas, mais je peux comprendre le besoin de recourir à cette protection. Ce dont je suis sûre, c’est que lorsque j’en parle je suis fière d’être membre de cette fraternité, le parcours de chacun de ses membres a quelque chose de miraculeux et a demandé beaucoup de bonne volonté et de courage à tous ceux qui aujourd’hui sont sobres.
Ch: J’abonde dans le sens de Françoise, bien qu’inconsciemment je me sois souvent protégé en le disant. J’ai certainement dû me mettre ce fameux garde-fou (c’est exactement le mot qui convient!) afin de ne pas rechuter. Vous avez dit orgueil? Certainement car, même après dix ans de pratique assidue de ce programme spirituel, l’ego garde une puissance redoutable, bien que je sois éloigné de l’égocentrisme forcené dans lequel je baignais auparavant. Je ne suis cependant pas un homme réalisé et je n’aime donc pas particulièrement perdre la face. Cela dit, cette tendance s’est passablement atténuée au cours des années, si bien qu’aujourd’hui je ne parle plus guère de cette appartenance en dehors des séances AA. Sauf pour permettre à quelqu’un de savoir qu’il existe une solution à l’alcoolisme, que AA a été la méthode qui m’a convenu, que j’étais prêt à la recevoir au moment où elle s’est présentée et que, pour d’autres, elle pourrait également être la bonne.