août 2023
Franziska Eckmann (Infodrog)
Dans les années 1970, le traitement stationnaire des personnes consommant des substances illégales relevait de la compétence des services de psychiatrie sociale. Même s’ils prétendaient tenir compte des aspects sociaux, ils ne réussissaient pas à atteindre les personnes dépendantes aux opioïdes. Celles-ci, de plus en plus nombreuses et très affectées sur le plan sanitaire et social, passaient au travers de tous les filets de protection sociale. C’est dans ce contexte que, durant les années 1980 et 1990, plusieurs mesures ont été prises, notamment la création d’offres de sevrage et de réhabilitation pour les personnes dépendantes aux substances illégales. De plus, les villes où se situaient des scènes ouvertes de la drogue ont renvoyé dans leur commune d’origine les personnes concernées, exerçant une pression supplémentaire sur les cantons afin qu’ils proposent des offres d’aide (résidentielles) adaptées à leurs habitant·e·s. Un grand nombre de communautés thérapeutiques résidentielles de taille variable a alors vu le jour dans des zones rurales. Placées à une certaine distance des scènes ouvertes de la drogue, elles ont pour la plupart été mises en place par des organisations privées comme des associations et des fondations. Des particuliers suisses ont également fondé de telles institutions à l’étranger. À leur création, les communautés résidentielles s’apparentaient davantage à des communautés de vie. Loin de se revendiquer professionnelles, elles adoptaient une position paternaliste avec leur clientèle. Leur objectif : permettre l’abstinence et la réintégration sociale par le développement de compétences destinées à la vie en communauté, au travail et à l’organisation du temps libre.
En 1989, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) dénombrait 503 places de réhabilitation résidentielles en Suisse. Le nombre le plus élevé jamais atteint a été enregistré en 1996, avec 1750 places. Autrement dit, en sept ans, 1200 places de thérapie stationnaires pour les personnes dépendantes aux substances psychoactives avaient été créées 1.
Le développement de la réduction des risques ainsi que des traitements par agonistes opioïdes de substitution (TAO ; p.ex. méthadone et buprénorphine) ou avec prescription de diacétylmorphine (héroïne) ont permis de sortir du paradigme absolu de l’abstinence, ce qui a entraîné une baisse de la demande de places pour les traitements résidentiels. En 2021, on ne comptait plus que 1195 places de thérapie stationnaire pour les addictions. La même année, 16 000 personnes avaient suivi un TAO et 1600 personnes un traitement avec prescription de diacétylmorphine 2.
L’accroissement des exigences de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) sur le financement des institutions offrant des prestations sociothérapeutiques stationnaires a mené à la création du système de gestion de la qualité QuaTheDA en 2001. Celui-ci a permis l’introduction de standards de qualité uniformes à l’échelle nationale dans le domaine des addictions, d’abord pour les traitements stationnaires, puis ambulatoires. Ces standards ont été développés par l’OFSP, en étroite collaboration avec les professionnel·le·s. Encore aujourd’hui, une grande partie des structures de thérapie résidentielle pour les addictions disposent de la certification QuaTheDA 3; elle est généralement requise en vue de l’octroi de l’autorisation d’exploitation, notamment en Suisse alémanique.
Créée en 1995 par l’OFSP, la Centrale de coordination nationale de l’offre de thérapies résidentielles pour les problèmes de drogues (COSTE), aujourd’hui Infodrog, a quant à elle soutenu financièrement la conception des offres stationnaires et leur développement sur le plan professionnel et de la qualité, grâce à un fonds dédié.
Toutes les institutions n’ont pas surmonté le passage à la professionnalisation et au développement de la qualité. Entre 1999 et 2017, 70 institutions résidentielles ont fermé leurs portes 4. Les raisons étaient diverses : nombre insuffisant de places ou de client·e·s adressé·e·s à l’institution (en raison de la cantonalisation progressive), fonctionnement trop rigide ou lacunes dans la gestion, pour n’en citer que quelques-unes.
Actuellement, les offres en milieu résidentiel représentent environ 28% des offres inscrites dans la base de données www.indexaddictions.ch, qui compte un total de 994 offres d’aide dans le domaine des addictions. Cela représente 275 institutions (dont 71 en Suisse romande et 10 au Tessin). La catégorie des centres thérapeutiques résidentiels regroupe 79 institutions, dont 21 en Suisse romande. Pour 25 d’entre elles, les caisses-maladie participent aux frais. Le sevrage résidentiel pour toutes les substances et tous les modes de comportement est possible dans 74 cliniques et hôpitaux suisses, dont 46 cliniques qui se spécialisent dans les problèmes liés à alcool et/ou aux substances illégales. Enfin, on trouve 144 institutions résidentielles dans la catégorie « logement », classées comme « logement accompagné », « placement familial », « foyer longue durée », « housing first » et « hébergement d’urgence ». Ces offres accueillent les personnes souffrant d’addiction, mais pas exclusivement.
Jusqu’à 2017, l’occupation moyenne des institutions de thérapie résidentielle dans les addictions était stable et atteignait 87% ou plus 5. Depuis lors, on enregistre une baisse continue de l’occupation, qui a chuté à 80% en 2021. Il existe de grandes différences entre les cantons, avec des taux d’occupation variant de 53% à 96%.
On observe la tendance inverse en ce qui concerne les habitats protégés ou les appartements supervisés. En 2021, ils étaient presque totalement occupés (93,2%) 6. Des facteurs, tels que le marché local du logement, ont une incidence sur cette demande, tout comme le souhait d’habiter seul·e (ne pas partager son logement) manifesté par les personnes concernées, dans toutes les tranches d’âge et dans toute la Suisse. Les solutions d’encadrement pour le logement ou les soins destinées à la clientèle âgée touchée par une problématique d’addiction sont elles aussi demandées, dans la mesure où une thérapie résidentielle avec des objectifs de réhabilitation classiques n’est souvent plus envisageable pour cette population.
L’entrecroisement de différentes sources de financement (assurance-invalidité, assurance-maladie, aide sociale, cantons et communes) et la pression exercée sur les cantons en vue de la réduction des coûts pour ces supports ont entraîné une baisse de la durée des traitements ainsi qu’un renforcement de la médicalisation dans le domaine de l’aide liée aux addictions. L’introduction du principe « l’ambulatoire avant le stationnaire » dans la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal) a contribué à l’élargissement de l’offre ambulatoire des cliniques offrant des traitements pour l’addiction. En Suisse alémanique, le déplacement dans la LAMal a aussi eu lieu sur le plan institutionnel : les structures qui proposaient initialement des prestations sociothérapeutiques se trouvent aujourd’hui dans la liste des hôpitaux et sont dirigées par des médecins. Cette évolution reflète également le besoin de sevrages partiels, limités à certaines substances, et de séjours thérapeutiques de courte durée.
La thérapie résidentielle ne peut être efficace que si l’offre est adaptée aux besoins des personnes souffrant d’addiction et à la diversité de celles-ci. Actuellement, on observe des lacunes dans l’offre destinée à deux groupes cibles : les adolescent·e·s 7 et les personnes âgées. Toutefois, ce sont justement les institutions résidentielles dont les traitements s’adressaient à un seul groupe cible qui, par le passé, n’ont pas perduré. Par exemple, il ne reste aujourd’hui plus que deux des 25 institutions réservées aux femmes 8 jadis existantes. Pour des raisons économiques et liées à de nouveaux phénomènes, comme les nouvelles addictions comportementales, les offres qui se concentraient sur un public cible spécifique et certaines substances ont été remplacées par des formules complètes, flexibles et diversifiées encourageant l’intégration sociale. Par ailleurs, le passage au numérique a fait naître de nouvelles approches. À l’avenir, le suivi pourra avoir lieu indépendamment de la localisation des patient·e·s, grâce à la consultation mixte, et être combiné avec des outils de soutien thérapeutique et de prévention des rechutes sécurisés 9.
L’amélioration des settings de traitement pour répondre aux besoins des différents groupes cibles constitue un défi ainsi qu’un travail continuel. Les modèles de coopération interinstitutionnelle entre l’aide dans les addictions et les structures de soins et d’accompagnement dans les domaines du social, de la jeunesse, de la vieillesse, de l’invalidité, de l’immigration, etc. gagneront en importance dans le futur.
Le pilotage des institutions résidentielles est assuré par les cantons, bien qu’ils ne disposent pas tous de leur propre offre d’aide dans les addictions. La Convention intercantonale relative aux institutions sociales (CIIS) permet l’accès intercantonal aux offres résidentielles et régit les modalités de financement. Toutefois, lorsque le nombre de places disponibles le permet, les placements ont en général lieu dans le canton même. En Suisse romande, ces placements sont dans certains cas effectués par les services d’indication cantonaux, sur la base de critères spécifiques, afin de faire en sorte que les prestations de l’offre soient en adéquation avec les besoins des personnes.
Paru en 1994, le rapport « Reha 2000 », portant sur la situation des thérapies résidentielles pour les substances psychoactives et la nécessité d’agir en la matière, a été élaboré comme un fondement pour le développement des offres résidentielles dans toute la Suisse 10. Près de 30 ans plus tard, les cantons ont, par le biais de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), commandé un rapport commun visant à servir de base au pilotage (inter)cantonal de l’aide aux personnes dépendantes 11). Grâce à cette vue d’ensemble actuelle, il sera possible d’appuyer le pilotage intercantonal de ces offres sur des données factuelles.
La mise en place d’une synergie entre les cantons et d’une collaboration avec les institutions est indispensable pour développer une offre de thérapies résidentielles diversifiée dans le domaine des addictions. Néanmoins, ce sont les organismes responsables des institutions résidentielles, ayant pour la plupart encore la forme d’associations et de fondations, qui décident in fine du positionnement et de l’adaptation de l’offre.