septembre 2011
Interview de Vinciane Frund par Jean-Félix Savary, GREA
Vous représentez les intérêts des médecins de famille au niveau fédéral. Quels sont pour vous les enjeux principaux aujourd’hui?
– On constate une inflation des spécialisations thérapeutiques, avec des technologies de pointes et des infrastructures impliquant des formations ad hoc toujours plus spécifiques. Les soins de premiers recours sont, quant à eux, encore insuffisamment valorisés, alors qu’ils représentent le grand défi des prochaines années: accompagner le vieillissement de la population et la recrudescence des maladies chroniques.
Les médecins de famille se sont fortement engagés autour de l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille». Pourquoi cette mobilisation?
– Il s’agissait de provoquer une prise de conscience rapide sur la pénurie de médecins de famille (moyenne d’âge: 57 ans), et sur les effets des décisions maladroites, voire méprisantes, émanant des autorités politiques ces dernières années. Deux cent mille signatures furent récoltées en moins de six mois, plaçant ainsi le débat politique à la hauteur des valeurs défendues: consolider le rôle des soins de base et faire évoluer le système pour en pérenniser l’accès à l’entier de la population.
Comment les addictions sont-elles vues au sein de l’association des Médecins de famille? S’agit-il d’une préoccupation marginale? En augmentation?
– En première ligne, le médecin de famille fait face à l’entier des problèmes de santé de la population; son action se veut «holistique» et il travaille en réseau, pour être à même de solliciter les ressources de spécialistes, y compris dans le domaine des dépendances. Les dépendances étant un motif de consultation, cette préoccupation est constante et favorise l’interdisciplinarité.
Le rapport «Défi addictions» propose une vision globale des addictions. Les médecins de famille soutiennent-ils une telle approche?
– Une perspective de santé publique qui vise à couvrir l’ensemble des déterminants de la santé correspond à la réalité quotidienne du médecin de famille.
Le décloisonnement des approches doit être salué.
Le rapport «Défi addictions» demande un cadre global pour les produits psychotropes. Parmi ceux-ci, on trouve notamment les médicaments comme les benzodiazépines, souvent prescrits en cabinet. Seriez-vous favorable à promouvoir un débat sur ce sujet?
– Il faut comprendre le problème dans sa globalité, et les échanges interdisciplinaires sur cette délicate question seront porteurs. Le développement récent de la recherche en médecine générale (portée par les instituts universitaires de médecine générale (en allemand «de famille»), rejoint ces préoccupations.
La différence entre statut légal et illégal des produits psychotropes ne fait pas de sens d’un point de vue médical.
Par contre, c’est une réalité incontournable des consommateurs, notamment au niveau de l’intervention précoce.
– Il est clair que le médecin de famille est appelé à accompagner son patient dans le rapport qu’il entretient avec l’objet de sa dépendance et à l’aider à s’en distancer. La question de l’illégalité est toutefois l’un des éléments qui influencent la vie du dépendant et, très souvent, son état de santé.
Le réseau addiction a parfois beaucoup d’attentes envers la médecine de famille, notamment dans une logique d’intervention précoce. Pensez-vous que cette interface puisse être améliorée?
– Cette piste doit être explorée afin de clarifier à la fois les attentes des uns et des autres, mais également le spectre de leurs interventions et leur nécessaire articulation.
La diminution progressive des médecins de famille qui acceptent des patients sous traitement de substitution à la méthadone préoccupe beaucoup de spécialistes. À quoi attribuez-vous cette baisse?
– Le politique a d’abord entravé l’installation des médecins, provoquant ainsi leur sur-spécialisation hospitalière. Les cabinets de médecins de famille trouvent difficilement repreneur et leur nombre chute. Il a fallu attendre fin 2007 pour que s’ouvre un Institut de médecine générale à Lausanne! Les médecins de famille sont dès lors sur-sollicités et c’est avant tout au niveau de la formation des jeunes professionnels que nous devons maintenant investir. Soyons clairs, la médecine de famille ne fait en aucun cas l’impasse sur les questions d’addiction.
La médecine de famille met en avant des valeurs de proximité et de solidarité. Elle insiste notamment sur la composante relationnelle indispensable à tout traitement. Y a-t-il danger?
– La médecine de famille est une «espèce» menacée de disparition, tandis que la médecine hospitalière de pointe s’est extraordinairement développée. La spécialisation et la technicité ne favorisent pas l’approche globale et humaniste; la tendance devrait être inversée.
Sur le fond, les médecins de famille partagent évidemment le positionnement éthique des spécialistes des dépendances, fait d’une posture de respect et d’écoute envers les personnes en souffrance.
Voyez-vous des alliances possibles entre la médecine de premier recours et le domaine des dépendances?
– Il est probable que sur les sujets centraux qui sont actuellement traités au niveau fédéral, nous aurions intérêt à nous coordonner. Sur le maintien d’une offre de proximité, comme sur l’universalité des prestations de santé, nous pourrions envisager des alliances.
Vous vous présentez au Conseil national dans le canton de Vaud sur une liste Verte. Quel sens donnez-vous à cet engagement au niveau national?
– Le parti que je représente tient à préserver un système de santé de haute qualité et accessible à tout le monde. La politique de santé doit développer une approche plus globale, impliquant une réflexion sur les enjeux sociodémographiques posés par les personnes fragilisées. Son volet préventif doit être renforcé: il ne s’agit pas seulement de traiter les malades, mais aussi de promouvoir la santé auprès de l’ensemble de la population. Comme indiqué plus haut, les premiers déterminants de santé résident dans la qualité des conditions de vie et de l’environnement.
Les décisions sur ces questions se prennent à l’échelle fédérale, contexte dans lequel j’évolue quotidiennement. Un engagement politique pour une conviction issue de la réalité du terrain!