décembre 2011
Henri-Jean Aubin (Hôpital universitaire Paul-Brousse, Villejuif, France)
Référence: Aubin HJ. Préparez-vous à entrer dans la cinquième dimension ! Alcoologie et Addictologie 2011 ; 33 (1): 3-4
Le DSM 1 nouveau, cinquième génération, est annoncé pour mai 2013. Si le DSM-III avait été qualifié de révolutionnaire en son temps, le DSM-5 devrait, quant à lui, bouleverser notre discipline addictologique, et plus particulièrement alcoologique, avec la disparition des catégories diagnostiques d’abus et de dépendance. La distinction entre abus et dépendance est d’abord apparue en 1980 dans le DSM-III, dans lequel la dépendance était définie comme l’adjonction à l’abus de signes de tolérance ou de sevrage. La conception biaxiale de l’alcoolisme est apparue en 1987 dans le DSM-III-R, dans lequel l’abus et la dépendance mesuraient deux dimensions différentes du problème d’alcool, mais dans lequel également était paradoxalement conservée une gradation entre abus et dépendance.
Le DSM-I (1952), puis le DSM-II (1968) proposaient jusque-là l’unique diagnostic d’alcoolisme, sous la bannière des troubles de la personnalité, homosexualité et névroses. La CIM-10 de l’OMS a suivi cette conception biaxiale avec la distinction usage nocif/ dépendance. Autant la validité du diagnostic d’abus du DSM-IV a été régulièrement mise en cause, autant le diagnostic de dépendance, qui a connu peu de changements depuis la description clinique initiale d’Edwards et Gross 2, était peu discuté jusqu’à récemment.
L’élaboration du DSM-5 est toujours en cours, et son état d’avancement est annoncé sur le site dédié de l’American Psychiatric Association 3. D’une façon générale, les points d’évolution majeurs sont le remaniement de la constitution multiaxiale, l’évolution des diagnostics catégoriels vers une approche dimensionnelle, et une tentative de déstigmatisation de la pathologie mentale. Les modifications proposées dans le chapitre sur les Troubles liés aux substances semblent pour l’essentiel fixées. Ce chapitre, dont l’intitulé pourrait devenir Addictions et troubles associés, inclura des troubles liés à l’utilisation de substances et des addictions sans substances, essentiellement le jeu pathologique; l’inclusion d’autres conduites addictives comme l’addiction à internet est en discussion, mais nécessite d’abord l’accumulation de données complémentaires. Le terme “dépendance” est maintenant limité à la dépendance physiologique, caractérisée par le syndrome de sevrage et/ou la tolérance.
Mais l’évolution majeure est la disparition de la distinction entre abus (diagnostic qui requérait la présence d’au moins une manifestation parmi quatre dans le DSM-IV-TR) et dépendance (qui requérait au moins trois manifestations parmi sept dans le DSM-IV-TR). Les recherches de terrain et les analyses des grandes bases épidémiologiques comme la National comorbidity survey (NCS) de la National epidemiological survey on alcohol and related conditions (NESARC) ont montré que le diagnostic d’abus a une faible validité et n’est pas le prodrome de la dépendance, puisque ses manifestations peuvent aussi bien apparaître après celles de la dépendance, ou ne pas apparaître du tout 4. Les analyses factorielles, de classes latentes et de la théorie de réponse aux items ont parfois retrouvé deux dimensions, pouvant correspondre à l’abus et la dépendance, mais n’ont le plus souvent retrouvé qu’une seule dimension, présentant des niveaux de sévérité en fonction du nombre de manifestations 5.
Le nouveau diagnostic Trouble lié à l’utilisation d’une substance va donc essentiellement rassembler les manifestations des anciens diagnostics d’abus et de dépendance, en retirant la deuxième manifestation de l’abus, Utilisation répétée de la substance dans des situations où cela peut être physiquement dangereux, qui était essentiellement liée à la conduite de véhicule en état d’alcoolisation 6. Bien que sa performance en tant que critère soit discutée 78, le craving sera rajouté comme onzième manifestation 9. Elle n’était jusque-là prise en considération que dans la CIM-10. La description du trouble lié à l’utilisation d’une substance totalisera ainsi 11 manifestations, et il faudra que le sujet en satisfasse deux pour autoriser le diagnostic. On distinguera deux niveaux de sévérité du trouble: modéré pour deux ou trois critères, et sévère au-delà de trois critères. L’un des avantages de cette nouvelle classification est d’éviter les diagnostics orphelins, notamment les cas où seulement deux manifestations de dépendance étaient rencontrées, sans manifestation d’abus associée 10. Enfin, notons une dernière modification substantielle: l’apparition du diagnostic de syndrome de sevrage au cannabis, grand absent du DSM-IV.
L’OMS devrait bientôt débuter ses travaux pour préparer les révisions du chapitre sur les troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives de sa Classification internationale des maladies pour sa onzième édition (CIM-11), prévue en 2014. Le rapprochement entre DSM et CIM est plus que jamais à l’ordre du jour, des experts non américains de l’OMS ayant été invités à participer aux travaux sur la révision du DSM. Il est probable que la CIM adoptera les mêmes changements que ceux adoptés dans le DSM-5. Je pense que ce changement, bon ou mauvais, va bouleverser notre discipline. Après des années passées à nous débarrasser du terme d’alcoolisme au profit de celui de dépendance alcoolique, voilà qu’il va falloir à nouveau nous défaire de celui de dépendance au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Le nouveau diagnostic, dont on peut s’attendre à ce que la terminologie s’apparente finalement à conduite addictive, aura un seuil très bas, avec seulement deux manifestations parmi 11, mais nécessitera toutefois également une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative.
Les termes véhiculent des concepts. Clairement, la conception de l’abstinence comme unique voie de sortie du trouble ne pourra pas s’appliquer avec un seuil aussi bas. Le spectre du trouble s’élargissant vers des formes modérées, formes dont on sait que l’abstinence n’est pas absolument requise pour obtenir une rémission, les recommandations et stratégies thérapeutiques devront s’adapter aux cas particuliers; nous quittons le catégoriel pour le dimensionnel. On ne pourra plus proposer une stratégie unique pour un diagnostic donné; il sera nécessaire d’ouvrir les options thérapeutiques pour permettre aux patients de trouver leur voie en fonction de la sévérité de leur trouble. L’analyse de la NESARC a déjà confirmé que, bien qu’étant le mode de rémission le plus stable – et sans aucun doute préférable –, l’abstinence est loin d’être le seul mode de rémission stable sur le long terme chez les sujets ayant développé une dépendance à l’alcool selon le DSM-IV 1112. Avec l’adoption de la notion de dimensionnalité, on peut parier que le débat sur l’acceptation de l’abstinence complète comme préalable à tout progrès thérapeutique significatif va bientôt être derrière nous.
Article paru initialement dans Alcoologie et Addictologie et reproduit avec l’aimable autorisation de la revue.