juillet 2009
Jean-Christophe Schwaab, secrétaire central de l'USS, député au grand conseil vaudois, membre de la Commission fédérale de l'enfance et la jeunesse
Revue dépendances: On parle souvent de protection de la jeunesse. Mais est-ce bien la jeunesse que l’on protège ou une certaine conception de l’espace public?
Jean-Christophe Schwaab: Il est vrai que de nombreuses mesures de «protection de la jeunesse», je pense aux couvre-feux pour les moins de 16 ans, par exemple, ont surtout pour objectif de préserver la tranquillité (ou en tout cas une certaine idée de la tranquillité) des moins jeunes plutôt que les jeunes eux-mêmes. Par ailleurs, certaines mesures, p. ex. l’interdiction des beuveries de type botellon passent sous l’appellation de «protection de la jeunesse» parce que ce sont surtout des jeunes qui sont concernés.
Dans d’autres cas, la protection de la jeunesse est malheureusement passée par pertes et profits, par exemple lors de l’abaissement de l’âge de protection des jeunes dans la loi sur le travail (LTr) de 20 à 18 ans, pour permettre plus d’exceptions à l’interdiction du travail de nuit et du dimanche. Même si leur santé était touchée et avait besoin d’être clairement mieux protégée, cet argument n’a joué aucun rôle. Ce qui m’amène à la conclusion que la «protection de la jeunesse», comme malheureusement n’importe quel argument, n’est utilisée que lorsqu’elle peut servir d’autres desseins. Et oubliée lorsqu’elle leur est contraire!
La jeunesse a-t-elle aujourd’hui plus besoin d’être protégée qu’il y a vingt ans? Comment expliquer la popularité du terme chez les politiciens?
JCS: Elle a besoin d’être protégée différemment, car les «dangers» qui requièrent une protection ont évolué. Voici quelques exemples d’évolutions technologiques, légales ou au niveau de la société entraînant à mon avis un besoin accru de protection:
Pourquoi aujourd’hui cet intérêt renouvelé pour les jeunes?
JCS: Les jeunes sont malheureusement très concernés par des thèmes qui font la «une» de nombreux médias: chômage, violence, craintes face à l’avenir, rapports entre les générations. Quiconque s’intéresse à ces problèmes finit tôt ou tard par devoir s’intéresser aux jeunes. Malheureusement, ce genre de réflexion conduit trop rarement à une approche globale des problèmes que rencontrent les jeunes.
En outre, les jeunes peuvent être facilement «pris en otage» par certains politiques, qui voient en eux des arguments porteurs pour certaines thèses, par exemple en les accusant d’être responsables de la montée de la violence (alors qu’ils en sont aussi les victimes) ou en se servant d’eux comme justification de la baisse des prestations destinées aux retraités (alors que c’est en fait aux futures rentes des jeunes d’aujourd’hui que l’on s’attaque…).
Quelle évolution observez-vous dans les comportements chez les jeunes Suisses romands?
JCS: Beaucoup d’inquiétudes face à leur avenir. La génération de leurs parents ne se posait pas de questions, était sûre de trouver un emploi dès la fin de la formation et de pouvoir en changer du jour au lendemain, ce qui n’est de loin plus le cas aujourd’hui. Mais ils ne sont pas seulement inquiets: ils sont aussi beaucoup plus concernés par leur avenir et motivés à le prendre en main qu’on ne le dit.
L’étude COCON 1) publiée en 2006 par l’Université de Zürich montre qu’ils sont en outre prêts à s’engager pour la société, par exemple comme bénévoles. L’incroyable richesse des associations de jeunesse et leur dynamisme – que j’ai pu voir à l’œuvre de près lorsque j’étais membre du comité directeur du CSAJ tendent à confirmer cette tendance.
Cependant, les jeunes, sans perdre leur énergie ou leur motivation, ont tendance à privilégier de plus en plus les collaborations ponctuelles informelles, hors des associations établies. S’il faut continuer à soutenir les associations de jeunesse, il faut aussi développer le travail de jeunesse en milieu ouvert.
Existe-t-il une évolution dans le regard que nous portons sur le comportement des jeunes?
JCS: Malheureusement pas. C’est une constante de l’histoire de l’humanité que les jeunes soient regardés avec méfiance (et peut-être aussi un peu d’envie). Dès l’Egypte ancienne, on trouve des proverbes disant, en gros, que «les jeunes ne sont pas motivés et que lorsqu’ils devront prendre des responsabilités, ce sera une catastrophe, que l’avenir ne réserve rien de bon, etc.» Au VIIIe avant J.C., Hésiode disait dans «Les Travaux et les Jours»: «Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible… Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin.» Entre temps, la fin du monde n’est pas venue…
Ces proverbes ressemblent beaucoup aux commentaires actuels comme quoi les jeunes d’aujourd’hui ne seraient «pas motivés, pas flexibles, violents et bons à rien». Le magnat de l’immobilier vaudois Bernard Nicod a par exemple osé dire dans la presse il y a quelques années: «les jeunes sont nuls et paresseux». C’est dire si ces a priori sont profondément ancrés!
Les politiques mises en place pour les jeunes (couvre-feu et autres mesures restrictives pour lutter contre l’abus d’alcool et la violence par exemple) annoncent-elles des changements pour les autres classes d’age?
JCS: Les jeunes sont une classe d’âge qui se défend moins bien que d’autres, vont moins voter, s’engagent moins dans les partis, syndicats ou groupes de pressions. Peut-être que certaines mesures prises à l’encontre des jeunes ne pourraient être étendues au reste de la société, car la résistance serait beaucoup plus forte.
Mais elles peuvent aussi constituer un ballon d’essai, un précédent. Quelques années plus tard, il y a des risques que l’on dise: «ça a fonctionné pour les jeunes, étendons la mesure à tout le monde.»
Y a-t-il un lien entre politique pour les jeunes et le reste de la population?
JCS: Bien sûr. La politique de la jeunesse devrait préparer les grandes évolutions à venir. Mais sans oublier que les jeunes, c’est certes l’avenir, mais c’est aussi le présent!
Dans certains cantons, on discute de l’abaissement de l’âge pour le droit de vote à 16 ans. A quel âge un jeune est-il autonome et responsable? N’est-ce pas en contradiction avec la difficulté pour de nombreux jeunes aujourd’hui d’entrer dans le monde du travail et ainsi accéder à l’autonomie?
JCS: La plupart des transitions ne se font plus de manière linéaire. Le cliché du jeune homme ou de la jeune femmes qui termine l’école à 15 ans pour entrer aussitôt en apprentissage, le termine à 18 ans et fonde une famille (après un passage à l’école de recrue pour les hommes) a vécu. De nombreux jeunes sont intéressés à la vie publique bien avant 18 ans. Et, quand on voit l’énergie qu’ils mettent dans la recherche d’un emploi ou d’une formation ou l’engagement qu’ils montrent dans les associations de jeunesse, on ne peut qu’être convaincu qu’ils sont capables d’assumer une responsabilité telle que le droit de vote.
Il ne faut pas oublier que les jeunes seront les principaux concernés par tout ce qui est soumis au vote et qu’il faut tout faire pour les faire participer à ces décisions qui les concernent. Mais le droit de vote à 16 ans ne suffit pas: il faut aussi améliorer l’instruction civique à l’école, mais aussi dans les gymnases et écoles professionnelles, afin de leur donner les armes pour comprendre les enjeux. Ces améliorations constituent d’ailleurs des «mesures d’accompagnement» indispensables à tout abaissement de la majorité civique!
En matière de responsabilités: n’assiste-t-on pas à un glissement dans les discours de la responsabilité collective – étatique – à la responsabilité individuelle?
JCS: Oui, malheureusement. Pourtant, à l’aube d’une crise sans précédent, la solidarité et les solutions définies et appliquées en commun sont plus que jamais nécessaires.
Cela dit, l’Etat ne doit pas brimer la responsabilité individuelle, au contraire. Cependant, les structures qui permettent aux individus de s’affirmer et de se construire sont à mon avis en général des structures collectives. Il en va de même pour les solutions aux problèmes des individus, qui sont plus efficaces lorsqu’elles sont collectives, je le constate tous les jours dans mon activité de syndicaliste.
Enfin, par action collective, il ne faut pas entendre uniquement l’Etat. En tant que syndicaliste, je crois notamment à la force du partenariat social, solution collective à laquelle l’Etat ne se mêle pas ou peu. Et mon expérience des associations de jeunesse montre que c’est aussi un moyen efficace d’intégration et de résolution des problèmes et conflits.