juillet 2009
Vincent Artison, travailleur social hors murs (TSHM) à Yverdon, coordinateur de la plate-forme romande des TSHM
Une grande partie des jeunes rencontrés dans la rue ou leur milieu de vie passent à travers les mailles du filet prévu pour protéger la jeunesse. Ils s’organisent notamment bien face aux restrictions respectivement aux interdictions concernant la vente d’alcool, de tabac ou de cannabis, quitte à prendre des risques parfois démesurés pour se procurer le produit. Sans compter qu’il y a toujours une personne qui voit dans ces mesures un moyen de «faire son beurre» en vendant la marchandise interdite au marché noir, exposant ainsi l’acheteur potentiel à la découverte d’autres produits.
Parallèlement, il y a une fâcheuse tendance à ne plus tolérer le moindre regroupement de jeunes dans l’espace public, voire de poser des «couvre-feux», à nouveau pour protéger. Les interventions des services de sécurité (qui ne voient pas nécessairement le sens à donner à leur action) augmentent, laissant supposer alors que la mesure est fondée.
En réaction, si certains jeunes y voient un moyen de s’affirmer dans la confrontation avec les forces de l’ordre, la plupart d’entre eux se cachent, s’isolent pour consommer et sautent sur la première occasion de «squatter» un appartement dans lequel l’attitude collective peut laisser à désirer. Le travailleur de rue s’adapte en conséquence et peut y être présent lorsqu’il est invité ou a repéré l’événement, mais il arrive aussi que des jeunes avec lesquels il est en lien se mettent dans des situations très problématiques de dépendance sans qu’il puisse s’en rendre compte rapidement.
Ces diverses mesures peuvent alors devenir une entrave au travail de proximité et charger davantage le-a travailleur-se de rue. Aussi, avec ces interdictions au nom de la protection de la jeunesse, la société pose la barre d’exigence de plus en plus haut en matière de contrôle social mais se dote de moyens apportant peu de réponses pertinentes à l’insécurité socio-économique et affective dans laquelle vivent les populations jeunes les plus précarisées et les plus sujettes à la maltraitance.
L’interdit est souvent perçu par la population, et par les jeunes occupant la rue en particulier, comme une incitation à transgresser une limite, un moyen de se distinguer et de dire «j’existe» ou «nous existons». Il s’agit alors d’aller à la rencontre du chaos qui mobilise cette revendication existentielle. C’est probablement là une des principales missions d’un-e travailleur-se social-e hors murs (TSHM).
Généralement, quand l’espace public est peuplé, tous âges et toutes classes sociales confondus, il est plus sûr. Le TSHM peut s’y fondre plus facilement, repérer, créer du lien, écouter, faciliter, valoriser et redonner petit à petit la capacité d’agir aux citoyens.