avril 2007
Dominique Conant, délégué à la prévention de l'alcoolisme, CENEA, Neuchâtel
Alcochoix est un programme de prévention de la consommation problématique d’alcool. Il s’inscrit dans la tendance de plus en plus exprimée chez les professionnels de l’alcoologie à considérer la consommation contrôlée comme une réponse possible aux besoins de certaines personnes entretenant une relation problématique avec l’alcool et souhaitant adopter et maintenir une consommation modérée. Alors que la problématique alcool était envisagée dans un passé pas si lointain de manière dichotomique (alcoolo-dépendance ou pas), on considère, maintenant, un continuum allant de l’abus épisodique à la dépendance sévère. Si l’on estime que les prises en charge classiques s’adressent essentiellement aux personnes dépendantes, on peut supposer qu’en Suisse les personnes qui consomment de façon problématique sont peu touchées par ces traitements; elles devraient donc pouvoir bénéficier de programmes plus spécifiques. Ainsi, le programme Alcochoix, ayant pour objectif la consommation contrôlée, représente une prise en charge alternative intéressante pour ce type de consommateurs à problème mais non alcoolo-dépendants.
En 1993, le Capital Health Autority’ Edmonton en Alberta et Alberta Addictions & Drug Abuse Commission AADAC recevait de Santé Canada le mandat de concevoir un programme de prévention de la consommation problématique d’alcool. Ce devait être un programme à court terme, simple à appliquer avec des résultats faciles à évaluer. C’est ainsi que «Drinking decisions» a été développé.
Ce programme, francisé, a été implanté au Québec il y a une dizaine d’années sous le nom d’Alcochoix, puis dans le nord de la France par l’Institut Pasteur dès 2004. Le Centre neuchâtelois d’alcoologie (CENEA) a introduit Alcochoix dans le canton de Neuchâtel en janvier 2007 après l’avoir adapté à la situation de la Suisse.
Le programme Alcochoix souhaite redonner aux personnes la possibilité d’adopter et de maintenir une consommation contrôlée, c’est-à-dire pouvoir choisir où, quand, avec qui et quelle quantité d’alcool ils consomment.
Alcochoix est un programme de prévention secondaire qui utilise trois types d’interventions, le plus souvent combinées: l’intervention motivationnelle, la prévention de la rechute et l’entraînement à l’auto-contrôle comportemental.
L’intervention motivationnelle, au-delà des outils qu’elle propose, est un style d’interaction avec l’usager qui adhère parfaitement à la philosophie du programme Alcochoix. Les conseillers adoptent une attitude empathique et de soutien qui favorisent les conditions du changement. Les usagers ne reçoivent plus passivement le traitement mais déterminent leurs objectifs en partenariat avec leur conseiller; ils sont partie prenante du processus.
La prévention de la rechute, habituellement utilisée dans un contexte de post-cure pour conserver une abstinence récemment acquise, peut être aussi appliquée au maintien d’une consommation modérée. Cependant, dans ce contexte, la définition d’objectif de consommation précis est primordiale afin de pouvoir déterminer les seuils de «dérapage» et de rechute. Dans le programme Alcochoix, l’objectif fixé peut varier d’un usager à l’autre. Pour la plupart des usagers, l’objectif de consommation comprend trois principes: la définition d’une limite de consommation journalière, la définition d’une limite de consommation hebdomadaire et la détermination d’un nombre de jour(s) d’abstinence par semaine.
Le programme est toujours proposé à la demande de la personne, ce doit être un acte volontaire. Alcochoix a été conçu pour des consommateurs excessifs inquiets de leur consommation et de ses conséquences. Dans les évaluations canadiennes, les raisons d’entrer dans le programme les plus souvent citées par les usagers sont les suivantes: ils commençaient à s’inquiéter pour leur santé, ils ne faisaient pas tout ce qu’ils auraient pu faire dans la vie, boire leur coûtait cher, ils avaient des disputes avec leur entourage, ils prenaient de mauvaises décisions, ils s’inquiétaient de l’exemple qu’il donnaient à leurs enfants ou à leurs petits-enfants, ils trouvaient qu’ils ne contrôlaient plus leur poids, ils avaient peur de devenir alcoolo-dépendants, ils manquaient d’énergie ou voulaient retrouver un contrôle sur leur vie…
Ce programme n’a pas été conçu pour les personnes dont la vie est très sérieusement perturbée par l’alcool, il ne convient donc ni aux personnes alcoolo-dépendantes, ni aux personnes prenant plus de 35 consommations par semaine. De plus, il n’est pas recommandé aux femmes enceintes pour qui l’absence de consommation est préférable à une consommation même modérée.
L’objectif du programme est d’adopter et de maintenir un consommation modérée, c’est-à-dire pour Alcochoix: pas plus de 12 consommations par semaine pour les femmes, pas plus de 18 consommations par semaine pour les hommes; se limiter à 2 consommations par jour pour les femmes et à 3 consommations par jour pour les hommes et enfin prévoir 1 à 2 jour(s) d’abstinence par semaine.
Avant de commencer, un entretien d’admissibilité est programmé qui peut se dérouler lors d’une rencontre avec le conseiller ou par entretien téléphonique d’une durée d’environ 40 minutes. Il permet de déterminer si le programme est adapté à l’usager ou de l’orienter vers d’autres prises en charge s’il le souhaite.
Lors de son admission dans le programme, la personne est informée du déroulement du programme et invitée à choisir une des trois formules de participation à Alcochoix suivantes:
La formule autonome: suite à l’entretien d’admissibilité, l’usager suit le programme seul avec l’aide du guide Alcochoix (cf. encadré). Il progresse à son rythme sur une période de six à huit semaines.
La formule guidée: en plus du guide, l’usager rencontre son conseiller Alcochoix à deux ou trois reprises au cours du programme. Il dispose ainsi d’un appui pour le soutenir dans sa démarche.
La formule de groupe: l’usager assiste à six rencontres de groupe de 90 minutes chacune. Un conseiller Alcochoix présente en détail le programme et les contenus du guide remis à chaque participant; chaque usager bénéficie de l’apport du groupe (progrès effectués, stratégies mise en place, obstacles rencontrés, etc.).
Alcochoix est un programme d’intervention brève qui se déroule sur six semaines. Deux semaines pour se préparer: faire le bilan et planifier une stratégie. Deux semaines pour diminuer: fixer un objectif intermédiaire de diminution puis l’objectif final. Deux semaines pour atteindre le but: maîtriser sa consommation et garder le contrôle dans le temps.
1. Deux semaines pour se préparer
1ère semaine: faire le bilan
• Apprendre à mesurer ce que l’on boit.
• Noter toutes les consommations dans un «carnet de bord».
• Choisir quelqu’un à qui confier ses progrès.
• S’engager à suivre le programme.
• Connaître les effets de l’alcool sur la santé.
2ème semaine: planifier sa stratégie
• Etudier ses tendances à boire grâce au «carnet de bord».
• Mieux comprendre ses impulsions et les déclencheurs.
• Choisir les solutions qui conviennent à son comportement.
• Considérer la possibilité d’une semaine d’abstinence.
2. Deux semaines pour diminuer
3ème semaine: un premier objectif de diminution
• Continuer à faire le relevé de ses consommations.
• Se fixer un objectif pour la première phase de diminution.
• Apprendre des astuces pour mieux planifier les consommations.
• Elaborer des stratégies alternatives.
4ème semaine: un deuxième objectif de diminution
• Se fixer un nouvel objectif (se rapprocher de 12 consommations par semaine pour une femme et 18 pour un homme et 1 ou 2 jour(s) sans consommation par semaine).
• Analyser certaines impulsions que l’on peut éprouver.
• Réfléchir à l’influence de son environnement sur l’envie de boire.
• Se préparer à se faire plaisir autrement qu’en buvant.
3. Deux semaines pour atteindre le but
5ème semaine: contrôler sa consommation
• Mieux voir tout le chemin parcouru et mieux peser l’importance de cette étape.
• Planifier quand on va s’en tenir à 12 consommations par semaine (femme) ou 18 (homme).
• Se préparer à assumer la consommation contrôlée.
6ème semaine: garder le contrôle (buveur «contrôlé»)
Cette phase permet de:
• se sentir bien, prendre conscience du changement de comportement face à la consommation de boissons alcoolisées;
• continuer à planifier sa consommation;
• participer, si on le désire, à une réunion de suivi;
• apprendre à ne pas rechuter ou à se remettre d’une rechute;
• savourer sa victoire.
Les six semaines du programme terminées, l’usager est encouragé à planifier des périodes de vérifications. Durant les six mois qui suivent, il note ses consommations dans un carnet de bord, comme pendant le programme, une semaine par mois, pour s’assurer qu’elles n’augmentent pas sans qu’il le remarque. Plus tard, il lui est conseillé d’espacer les vérifications, une semaine tous les trois mois par exemple et de rester vigilant.
Le succès d’Alcochoix est largement influencé par les capacités des conseillers et leur maîtrise du programme. Pour pouvoir pratiquer, ils doivent suivre une formation spécifique délivrée par des formateurs agréés. De plus, des caractéristiques complémentaires sont recommandées: avoir des croyances compatibles avec les objectifs du programme (efficacité des interventions brèves et des objectifs de modération), des compétences thérapeutiques précises (être capable d’établir un lien thérapeutique, maîtriser les techniques d’entretien motivationnel, reconnaître un usager qui ne répond pas aux critères d’admissibilité, etc.) et maîtriser le domaine de l’alcoologie ainsi que la connaissance du réseau des services spécialisés.
L’évaluation prend en compte 108 usagers (27 fiches de recueil analysées à 12 mois). 60,2% sont des hommes, la moyenne d’âge générale est de 48,8 ans. 57,7% des usagers ont un niveau d’études supérieures, 34% un niveau secondaire et 8% un niveau primaire. A 12 mois, 48% des usagers satisfont au seuil de consommation hebdomadaire, 52% au seuil de consommation journalière et 54% ont au moins 2 jours sans consommation par semaine. Les participants ayant suivi correctement tout le programme ont vu leur consommation divisée par deux. Ils expriment un sentiment de mieux-être à 70,4%; ils l’attribuent pour 44,4% au fait de se sentir mieux face à eux-mêmes et à 22% au fait de se sentir en meilleure santé.
Le programme Alcochoix a débuté à Neuchâtel le 15 janvier 2007, le manque de recul ne permet pas encore de fournir des résultats d’évaluation du programme, par contre des pistes se dessinent en terme de communication et il me paraît intéressant de faire part de quelques observations:
Le concept de consommation contrôlée est peu ou pas connu.
La consommation modérée et la consommation contrôlée sont des notions mal connues, elles doivent être expliquées, d’une part au public-cible qui assimilent toujours problème d’alcool et abstinence, et d’autre part, à certains professionnels de la santé ou du social en contact avec les usagers potentiels du programme car ils sont des relais d’information indispensables.
Le programme Alcochoix doit être clairement différencié des programmes qui prônent l’abstinence.
Alcochoix est une nouvelle manière d’aborder les problèmes d’alcool. Pour rester dans «l’esprit Alcochoix», la communication doit s’ancrer résolument sur le principe de consommation contrôlée avec un discours évoquant la liberté de choix, la responsabilité personnelle, la qualité de vie, etc.
Un soin particulier doit être apporté à la promotion du programme et aux modes de recrutement des participants.
Faire connaître le programme à la population cible est le défi le plus complexe à relever. Les expériences québécoises montrent que le recrutement doit s’orienter dans deux directions: une importante promotion dans les médias locaux et un large repérage par l’intermédiaire des réseaux sociaux et médicaux. L’accès au service doit être facile, rapide et garantir la confidentialité (numéro de téléphone unique et gratuit ouvert pendant de larges plages horaires, répondants formés au programme Alcochoix, etc.).
De plus, selon l’expérience française, il serait préférable d’associer Alcochoix à une institution ne participant pas au réseau alcoologique habituel, trop impliqué dans l’esprit du public dans le traitement de l’alcoolodépendance et son corollaire: l’abstinence. Par exemple, dans le nord de la France, les 108 premiers candidats avaient le choix de s’inscrire au programme par l’Institut Pasteur ou par les centres d’alcoologie, 92% des participants ont choisi de contacter l’Institut Pasteur.
Alcochoix est un programme efficace, utilisé avec succès au Canada depuis près de quinze ans. Il est attractif, capable d’attirer entre autres des personnes qui, bien qu’elles soient en difficulté avec leur consommation d’alcool, ne fréquenteraient pas les réseaux d’alcoologie classiques. En considérant la consommation contrôlée comme un choix possible pour les consommateurs problématiques et peut-être pour certaines formes d’alcoolodépendance, Alcochoix ouvre la voie à une nouvelle pratique dans la prise en charge des personnes rencontrant des difficultés avec leur consommation d’alcool. Ce programme met à disposition de la population une offre spécifique, non médicalisée, proposant une alternative à l’abstinence.