septembre 2024
Catherine Dorthe (REPER)
Comment parler du cannabis aux jeunes ? Comment intéresser à ce thème tant les consommatrices et consommateurs que celles et ceux qui ne consomment pas ? Et comment les impliquer dans la société de demain ? Le projet Joint the game (le jeu de mot est voulu !) répond en partie à ces questions.
Afin de comprendre ce projet, il faut d’abord revenir à la source de ce dernier. En fin d’année 2020, dans le secteur Information & Projets de REPER, association de promotion de la santé et de prévention du canton de Fribourg, nous faisions le constat que de nombreux publics ne connaissaient que très peu l’actualité du cannabis. Or, ces dernières années, le cannabis a beaucoup fait parler de lui : arrivée du CBD, arrêts du Tribunal fédéral concernant la possession de moins de 10 grammes, cannabinoïdes de synthèse, régulations dans le monde, essais pilotes en Suisse, nouveaux cannabinoïdes tels que le HHC, etc. En tant que chargé·e·s de prévention, nous sensibilisons et formons des publics très divers à nos thématiques : enseignant·e·s, éducatrices et éducateurs sociaux, coachs de sport, organisatrices et organisateurs de fêtes, soignant·e·s, parents ainsi que jeunes. Ces moments passés auprès de tous ces publics nous ont montré que cette actualité était très peu connue. Si la Suisse devait légaliser le cannabis demain, nous aurions un long travail de rattrapage à faire afin que la transition se passe au mieux. Ainsi, il nous a semblé opportun de remettre le cannabis au centre des préoccupations de la population. Au vu des ressources limitées pour ce projet, il était important de faire le choix d’un public et nous nous sommes arrêté·e·s sur les jeunes en foyer ou autres structures spécialisées.
Les jeunes vivant en foyer ou autre structure spécialisée (comme les écoles spécialisées, les centres de formation professionnelle spécialisés, les mesures pour soutenir des jeunes qui rencontre des difficultés durant ou après leur scolarité comme les classes relais ou les préformations professionnelles, semestres de motivation, etc.) n’ont pas le même profil que celles et ceux qui suivent un parcours habituel. Elles ou ils font souvent partie d’une population particulièrement vulnérable vis-à-vis de leur histoire de vie (difficultés familiales, scolaires, de comportement, etc.). Outre leur situation de vulnérabilité, ces jeunes n’ont pas forcément accès aux mesures de prévention mises sur pied dans le cursus habituel.
De plus, la prise de distance avec la sphère familiale et l’adaptation à un nouvel environnement lors d’un placement dans ces structures augmente la probabilité de consommation de substances. Loin de leurs parents, pour certain·e·s pour la première fois, les jeunes sont en permanence confronté·e·s à leurs pair·e·s. Elles et ils doivent sans cesse trouver leur place au sein du groupe, ce qui les rend plus vulnérables à la consommation. La responsable d’un centre de formation professionnelle spécialisé, interrogée lors d’une formation donnée par REPER en 2020, relatait à ce propos qu’elle constatait que « les premières consommations se font régulièrement au sein des groupes du centre ».
De leur côté, les professionnel·le·s qui travaillent dans des structures socio-éducatives ont un rythme de travail soutenu. Elles et ils doivent faire face à des situations de plus en plus complexes et liées à des problématiques multiples (problèmes comportementaux, familiaux, scolaires, troubles psychiques débutants, consommation de substances, etc.). Au niveau du travail de prévention, ce sont les écrans qui sont à l’origine de la majorité de leurs demandes ces dernières années. En effet, nous constatons que la demande écrasante autour de la thématique des écrans fait parfois oublier les situations dormantes de consommation d’alcool et/ou de cannabis, alors que ces dernières posent de gros problèmes dans ces structures. Lors d’une formation sur le cannabis en 2020, la responsable de l’une de ces structures exprimait : « Les situations liées à la consommation de cannabis ne sont pas très fréquentes, mais quand elles sont là, elles sont très problématiques et nous prennent beaucoup d’énergie ».
Même si le cannabis est une thématique qui ne date pas d’aujourd’hui, notre travail sur le terrain montre que les professionnel·le·s de première ligne (enseignant·e·s, par exemple) et les parents en parlent peu. L’illégalité de cette substance ne rend pas la tâche facile ; elle est moins connue que l’alcool et le sujet reste un peu tabou. Le cannabis passe également pour certain·e·s comme une « vieille thématique » en comparaison au crack ou à la kétamine. Pour ces raisons, le cannabis est très peu abordé auprès des jeunes. Pour soutenir les professionnel·le·s dans leur intervention sur cette thématique, des outils qui peuvent médiatiser la discussion sont très aidants. A notre connaissance, il n’existe pas ou très peu d’outils pour aborder ce thème de manière préventive. Les seuls outils connus ont été créés pour des personnes déjà consommatrices. C’est pour toutes ces raisons qu’a été créé le projet « Et si on parlait cannabis ? », dont Joint the game est issu.
Le projet « Et si on parlait cannabis ? » a voulu outiller les professionnel·le·s sur le thème du cannabis afin qu’il puisse être abordé auprès des jeunes. Des outils ont été créés à différents niveaux : pour les jeunes, pour les professionnel·le·s, pour les parents et pour les structures elles-mêmes. Pour les jeunes, c’est le projet Joint the game, détaillé plus loin dans cet article, qui a été conçu. Pour les professionnel·le·s et les parents, différents outils ont été réalisés : du module de formation à la soirée de parents, en passant par un guide pour se préparer à parler du thème du cannabis avec des jeunes. Pour les structures, une méthode d’accompagnement a été imaginée, afin d’élaborer un ou plusieurs documents communs face à cette substance, qu’il s’agisse d’un règlement, d’une charte ou d’un modèle d’intervention. Le module de formation et la méthode d’accompagnement ont été testés par 4 structures et ont été très appréciés.
Joint the game a été réfléchi pour susciter l’intérêt des jeunes pour le thème du cannabis. Comment ? D’abord, en utilisant l’actualité. A partir de 12 ans, un grand chamboulement survient dans le cerveau de l’adolescent·e. Petit à petit, elle ou il va se détacher de ses parents et se rapprocher de ses pair·e·s. Elle et il va également avoir besoin de trouver sa place dans le monde. La régulation du cannabis est un changement important pour la société. Nous avons donc trouvé intéressant de partir de cette actualité pour que les jeunes nous donnent leur avis sur la question. Et chacun·e a une opinion à ce sujet, qu’il ou elle soit consommatrice ou consommateur, ou pas.
La 2ème stratégie visait à réduire la difficulté d’un·e jeune à se positionner face à un thème qui la ou le concerne. Souvent, les jeunes connaissent les risques, mais elles ou ils ne se sentent pas concerné·e·s. C’est pourquoi, nous avons demandé aux jeunes de se positionner sur la régulation du cannabis, non pas vis-à-vis d’eux-mêmes, mais en regard des personnes qui seront adolescent·e·s au moment où cela se produira. En procédant ainsi, la possible barrière qui peut émerger lorsqu’on doit se positionner sur un thème qui nous concerne peut tomber.
Une brève présentation permet de démarrer le projet. Elle explique que la Suisse va peut-être bientôt légaliser le cannabis et que REPER a besoin des avis des jeunes à ce sujet, notamment pour protéger la jeunesse. Une table de ping-pong toute particulière est installée dans la structure qui met en place ce projet. Annotée de questions sur le cannabis, elle est accompagnée de 4 raquettes représentant les 4 « sortes » de cannabis : récréatif, thérapeutique, CBD et cannabinoïdes de synthèse, et elle représente un totem pour le projet. On demande ensuite aux jeunes de s’informer sur le cannabis avant de se positionner concrètement. L’information se fait via 2 supports : une plateforme de quiz en ligne et une série de courtes vidéos. Enfin, les jeunes peuvent se positionner sur la légalisation du cannabis en Suisse à travers un dépliant (ou sa version en ligne) contenant des questions très concrètes (produits autorisés, taux de THC, prix, publicité, lieux, etc.). Ce questionnaire propose des réponses à choix multiples, afin de simplifier le positionnement des participant·e·s.
Avant de découvrir concrètement ce que les jeunes participant·e·s ont répondu, voyons déjà comment l’expérience a été vécue. Les outils de ce projet ont été travaillés avec un centre de formation professionnelle spécialisé. Ils ont été testés auprès des jeunes et bonifiés, avant d’être rendus publics. Ce projet a été expérimenté d’une manière ou d’une autre par 4 structures différentes du canton de Fribourg : un accueil libre de jeunes, des classes relais (lieux où les jeunes du cycle 3 sont placés de manière intermédiaire à la suite de difficultés diverses), un foyer résidentiel pour personnes dépendantes cherchant à faire un arrêt avec les substances et le centre de formation professionnelle spécialisé qui avait participé à la création des outils.
Les professionnel·le·s ont souvent été surpris·es de l’intérêt et des réponses des jeunes vis-à-vis de cette démarche. Il semble que ces derniers prennent un pas de recul en remplissant ce type de questionnaire, car, pour une fois, on ne leur parle pas de leur propre consommation. Les professionnel·le·s ont pu également découvrir que ce n’est pas parce qu’on consomme du cannabis qu’on est pour la légalisation ou qu’on veut légaliser de manière très libérale. Les dynamiques autour de ce projet ont été vécues très positivement.
78 questionnaires ont été remplis sur l’année 2023. Les jeunes qui les ont complétés étaient âgé·e·s de 15 à 30 ans, avec un âge moyen de 20,5 ans. Quelques tendances émergent de leurs réponses :
Les autres questions, liées quant à elles au taux de THC ainsi qu’à la publicité, n’ont pas révélé de réponses particulièrement communes chez les jeunes. En fin de questionnaire, les jeunes pouvaient encore répondre à 2 questions par un texte court, sur le thème de la prévention et pour transmettre d’autres idées. Ces questions-là n’ont pas non plus engendré de réponses semblables.
Les questionnaires continuent d’être remplis sur le canton de Fribourg. Les nouvelles réponses des jeunes vont être ajoutées aux premières au fur et à mesure. Ces questionnaires, même s’ils ne sont pas issus d’une véritable recherche, montrent déjà certains éléments intéressants pour la future légalisation.
Parallèlement, les outils du projet Joint the game sont désormais à disposition de toutes les structures intéressées. Ceux-ci permettent de transmettre des médias de discussion aux professionnel·le·s qui désirent aborder le thème du cannabis auprès de jeunes.
Ressources:
Les résultats des questionnaires dans le détail : https://www.canva.com/design/DAF212RKTQE/VhCOXXyFRkkY9zVlZLqZew/view?utm_content=DAF212RKTQE&utm_campaign=designshare&utm_medium=link&utm_source=editor
La plateforme de quiz en ligne : www.quiz-addict.ch