septembre 2024
Barbara Broers (CFANT)
Les projets pilotes de cannabis en Suisse ont démarré en 2023, après une très longue période de préparation. Leur objectif est « d’accroitre les connaissances sur les avantages et inconvénients d’un accès contrôlé au cannabis et d’obtenir une base scientifique approfondie pour d’éventuelles décisions en matière de réglementation du cannabis » 1.
Entretemps, dans plusieurs pays, le cannabis a été régulé selon des modalités différentes. Dans cet article, nous ferons un résumé des évaluations de ces expériences, en se basant surtout sur un rapport préparé en 2022 pour la Commission fédérale des questions liées aux addictions et maladies non-transmissibles (CFANT) 2 puis sur un rapport récent de Santé Cannabis 3, avec une évaluation détaillée de 4 ans d’expérience de régulations de cannabis, par un comité d’expert·e·s.
Même si le cannabis est considéré comme une substance interdite selon les conventions internationales, tout en étant reclassifié comme classe I et pas IV en 2020, des pays peuvent mettre en place des modèles de régulation de cannabis. L’usage médical de la plante de cannabis, ou des médicaments à base de cannabinoïdes, est possible et régulé actuellement dans une cinquantaine de pays, même s’il s’agit souvent d’un accès restreint à un médicament cher et non-remboursé.
À ce jour, neuf pays plus 24 États, 3 territoires et un district des Etats-Unis ont légalisé l’usage non-médical de cannabis, avec des modèles de régulation plutôt axés santé publique (Canada, Uruguay) ou axés commerce (une partie des états américains).
La plus longue expérience vient des États de Colorado et Washington (2012) puis d’Uruguay (2013, mise en route longue). L’Allemagne a rejoint la liste en avril 2024, avec un modèle de vente via des associations de consommateurs (Cannabis social clubs) ; sa mise en pratique est en route et fournira sûrement des enseignements intéressants pour la Suisse.
Le rapport « Apprentissages et bonnes pratiques dans la régulation de cannabis », projet initié par la CFANT et publié fin 2021, se base sur des interviews semi-structurés avec une vingtaine de représentant·e·s du Canada, d’Uruguay et de plusieurs États canadiens et des Etats-Unis. Les recommandations portent sur les trois étapes de la régulation : la conception, la mise en œuvre et le suivi.
Au niveau de la conception de la régulation, les recommandations concernent surtout le développement de stratégies pour diminuer l’encouragement à la consommation de la part des acteurs économiques. Ces stratégies incluent : un modèle de distribution et de vente public, la limitation de la palette des produits de cannabis (fleurs, e-liquides, bonbons, etc.), des contrôles réguliers de ces produits, des interdictions ou restrictions de la publicité et du marketing, des règles pour l’emballage, et des informations sur les effets et risques de la consommation de cannabis, pour jeunes et moins jeunes. Les personnes interviewées ont aussi insisté sur l’importance d’établir précocement des règles et des outils pour éviter l’influence de l’industrie dans le processus de mise en œuvre et d’adaptation de la régulation.
Concernant la mise en œuvre de la régulation, ces expert·e·s ont insisté sur l’importance d’intégrer dès le départ l’ensemble des administrations concernées, nationales et locales, dans le processus, avec des règles et définitions claires pour toutes et tous : acteurs du marché et ceux en charge de leur contrôle.
La devise « start low, go slow » a été recommandée pour la mise en œuvre de la régulation : commencer prudemment, augmenter lentement. Par exemple, il vaudrait mieux commencer avec des lieux fixes de vente, puis si l’évaluation de ce qui existe est positive et que des besoins sont exprimés, rajouter la vente en ligne après un certain temps. Ou alors commencer avec trois ou quatre sortes de produits de cannabis et élargir avec d’autres dans un deuxième temps. Ceci devrait permettre d’évaluer régulièrement les impacts de la régulation et de garder au mieux le contrôle de la situation, car revenir en arrière a été difficile dans plusieurs pays. Un désavantage de cette approche prudente est de ralentir le remplacement du marché noir, mais dans notre contexte, avec des marchés illégaux limités, cela pourrait poser moins de soucis.
Finalement, les expert·e·s ont insisté sur la nécessité d’un bon suivi et évaluation de la mise en œuvre de la régulation. Une récolte de données exhaustives, analysées correctement est nécessaire pour tirer des leçons et permettre une régulation efficace. Ceci implique un besoin important en ressources administratives et financières pour la mise en œuvre de la régulation. Une manière de trouver ces financements est d’attribuer une large partie ou la totalité des taxes liées perçues sur la vente du cannabis au pilotage et à l’évaluation de la régulation, ainsi qu’à la réduction de l’impact socio-sanitaire lié à la consommation de cannabis (prévention, traitement et réduction des méfaits).
Dans le rapport canadien cité plus haut, publié en mars 2024, un groupe de 5 expert·e·s indépendant·e·s évalue, à la demande du Parlement canadien, l’analyse de la Loi sur le cannabis cinq ans après son entrée en vigueur en 2018. Il s’appuie sur des données récoltées par Santé Canada et la consultation de personnes et documents-clés.
Parmi les points positifs, ils retiennent :
Toutefois plusieurs points sont préoccupants et le groupe formule 54 recommandations dans 12 domaines. Une partie concerne le manque d’implication des collectivités des Premières Nations dès le début des changements légaux et les problèmes en résultants.
D’autres points de vigilance sont formulés, dont en résumé :
Sept projets pilotes de vente régulée de cannabis ont démarré ou sont en démarrage, offrant des modèles de vente différents et l’inclusion au total de presque 18’000 participant·e·s. Certains essais vont proposer aussi des produits non-fumables, pour évaluer l’intérêt des consommatrices et consommateurs pour des produits avec moins de risques liés à la fumée.
Les résultats de tous ces projets sur la santé, les avantages et désavantages de certains modèles de vente et les produits vendus, ainsi que (peut-être) sur le marché illicite, seront disponibles dans les années à venir, jusqu’en 2028 probablement. Dans tous les cas, on constate que le recrutement de participant·e·s ne pose pas de problèmes, et on peut se réjouir de mieux connaître la population de consommatrices et consommateurs de cannabis dans notre pays, cachée jusqu’à récemment.
Entretemps, une sous-commission parlementaire avance dans le traitement de l’initiative Siegenthaler (2020) appelée « réguler le marché du cannabis pour mieux protéger la jeunesse et les consommateurs » après une prolongation du délai de traitement le 31 aout 2023. Le résultat de ces travaux est attendu pour le printemps 2025, et on ne peut qu’espérer qu’ils s’inspireront des expériences et observations d’ailleurs et d’ici, et aller vers un modèle de vente non-commerciale qui protège la santé de la jeunesse et de l’ensemble des consommatrices et consommateurs.