septembre 2024
Le cannabis est de loin la première substance illégale consommée en Suisse et dans le monde. On estime ainsi qu’un tiers de la population suisse en a déjà consommé et qu’environ 5% en consomme chaque mois. Au niveau européen, l’Agence de l’Union européenne sur les drogues (l’EUDA, auparavant EMCDDA) indique dans son Rapport européen sur les drogues 2024 que 8% de la population du continent consomme du cannabis chaque année.
La consommation de cannabis reste donc élevée malgré des décennies de prohibition au niveau mondial, dont on ne connait que trop bien les conséquences négatives sur la santé, la criminalité et les droits humains. Bien loin de diminuer la prévalence de la consommation, la répression la mure au contraire dans un tabou qui empêche le déploiement de mesures efficaces de prévention, d’accompagnement et de réduction des risques. Laissé dans les mains d’organisations criminelles sans scrupules et toujours plus efficaces, le marché du cannabis fournit à une clientèle toujours plus nombreuse des produits dont on ignore la qualité. Ce marché noir sans règle aucune répond aux logiques classiques de l’économie capitaliste et ne cherche rien d’autre que le profit. L’apparition des THC synthétiques, plus forts et dangereux, témoigne de stratégies prédatrices où la santé des consommateurs et consommatrices n’a aucune espèce d’importance. Ce sont ainsi des sommes colossales de bénéfices qui sont engrangés chaque année par les mafias dans le monde, alors que les gouvernements investissent quant à eux de très importantes ressources dans la « guerre à la drogue » et la répression. Non seulement cela n’a aucun sens, mais cette guerre entre mafias et gouvernements conduit à des situations de violence insoutenables (environ 30’000 personnes sont assassinées chaque année au Mexique), génère de la corruption et criminalise des milliers de personnes, souvent précaires et racisées.
La régulation du cannabis et la récupération de son commerce dans un marché légal et contrôlé s’impose comme la solution évidente depuis des décennies pour les expert·e·s et professionnel·le·s des addictions. Après un demi-siècle de guerre à la drogue dévastatrice, cette solution tend à s’imposer maintenant dans de plus en plus de pays occidentaux, dans la population comme chez les décideuses et décideurs politiques. De nombreux pays se sont ainsi engagés sur la voie de la régulation.
En Suisse, les réflexions autour de la régulation du cannabis ont démarré il y a déjà plus de vingt ans. Comme toujours dans notre système politique, le chemin est long et les avancées politiques se font à coups de « petits pas ». Pour autant, nous entrons maintenant dans la phase décisive de la légalisation du cannabis : une sous-commission du Conseil national rédige en ce moment-même un projet de loi, dont le contenu devrait être connu dans moins d’une année. Si de nombreux formats de régulation sont testés dans le monde, avec des modèles orientés commerce et promotion du cannabis comme dans certains États des Etats-Unis, la Suisse s’oriente vers un modèle qui promeut la santé publique avant les profits. En prenant le temps de construire un projet qui puisse obtenir le soutien de la majorité de la population – dans le cas d’un référendum – et basé sur des évidences scientifiques, la Suisse peut jouer un rôle de leader dans la régulation du cannabis.
À nous, professionnel·le·s du domaine des addictions, de nous mobiliser pendant ces prochains mois cruciaux pour argumenter, apporter notre expertise et convaincre de la nécessité d’un projet qui promeut la santé, la prévention, l’égalité et les libertés individuelles. C’est notamment ce à quoi ce numéro de Dépendances entend contribuer.
Camille Robert