décembre 2017
Tiphaine Lacaze (ANESM) ; Clément Chauvel (ANESM) ; Natalie Castetz (journaliste)
En 2010, l’ANESM consacrait ses premiers travaux à destination des établissements médico-sociaux spécialisés en addictologie, à une thématique centrale de la loi du 2 janvier 2002 1 : la participation des usagers. La mise en œuvre de ce droit a profondément modifié les pratiques et l’organisation des établissements français. Un questionnaire transmis à l’ensemble des établissements concernés 2, révélait alors que :
Cette enquête mettait en exergue la représentation significative des différentes formes de participation au sein de l’ensemble des établissements.
On distingue classiquement quatre niveaux de participation 3 :
Parce que c’est une occasion pour les usagers d’exercer leurs droits. Les usagers du secteur de l’addictologie connaissent inégalement leurs droits et rencontrent des obstacles importants pour les faire valoir. Exercer concrètement un droit d’expression et avoir un lieu pour faire des propositions constituent une expérience positive à travers laquelle les personnes sont considérées comme sujets de droit.
La qualité des prestations s’en trouve accrue et le dialogue qui s’instaure accroit la confiance mutuelle, indispensable au bon déroulement des prestations. Enfin, parce que représenter ses pairs, participer à la mise en place d’actions ou à la formulation de propositions constituent des expériences positives d’affirmation de soi et de renforcement des compétences sociales.
Au sein des établissements, la participation irrigue l’ensemble des pratiques :
Cinq principes fondent la mise en œuvre de la participation :
La participation s’appuie également sur les réseaux d’entraide et mouvements d’auto-support, acteurs incontournables en addictologie, par des espaces d’échanges et de réflexion communs.
La réduction des risques et des dommages, mission obligatoire des CAARUD et des CSAPA, confortée par la loi n°2016-41 de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, porte le principe de participation des personnes usagères de drogue à l’élaboration et à la mise en œuvre des interventions qui leur sont destinées 7. Il s’agit en effet d’un principe central de la réduction des risques et des dommages qui :
Ainsi, la dynamique participative induit un changement profond de positionnement des équipes, des cadres dirigeants, des partenaires, et des usagers eux-mêmes. Mais elle ne se décrète pas. Elle s’enracine dans une culture institutionnelle par un processus continu d’apprentissage et d’expérimentation de l’ensemble des parties prenantes.
Durant quinze ans, la drogue a eu « une place quasi-centrale » dans la vie de Nicolas Chottin. Il a expérimenté produits licites et illicites, a perdu son travail dans une agence de communication normande, a perdu son entourage amical et familial, accumulé les dettes. Puis, après « le déni, la non-acceptation de [son] statut de toxicomane », il a fini par « intégrer le fait d’avoir besoin d’aide [s’il] voulait sortir de sa condition ». Accueilli en 2010 au Centre thérapeutique résidentiel (CTR) du Peyry (Lot, France), en postcure, il y revient plusieurs fois pour des réunions d’échanges où il se sent « assigné à un statut d’ancien ». « Je sentais que ma parole, et la verbalisation de mon vécu avaient une résonance chez moi et chez l’autre. Il me semblait me réapproprier mon existence, je commençais enfin à faire quelque chose de ma vie. »
En mars 2013, Nicolas Chottin commence à co-animer des groupes de travail, au sein du centre de soins : chaque semaine, bénévolement, il fait part de son parcours de soins et de rétablissement. « Tout le monde reconnaissait que les usagers parlaient plus rapidement, en présence d’un pair. Je ne suis pas là pour raconter ma vie, mais pour faire vivre, par un exemple de vie et de parcours. »
Il intervient également en Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues (CAARUD) : il s’agit d’aller, en binôme avec un éducateur de rue, dans les squats et les endroits où les usagers de substances se retrouvent. En parallèle, Nicolas Chottin s’inscrit à une formation qualifiante, celle du Diplôme des hautes études des pratiques sociales (DHEPS), à l’université de Toulouse « pour acquérir les connaissances théoriques à ma pratique ». À la clé, un mémoire de recherche-action intitulé « Représentations sociales des médiateurs de santé pairs chez les usagers et les professionnels de l’association Comité d’études et d’informations pour l’insertion sociale (CEIIS) ».
En décembre de la même année, Nicolas Chottin, alors bénéficiaire du Revenu de solidarité active (RSA), signe un Contrat unique d’insertion – Contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) avec le CEIIS, en tant que médiateur de santé pair (MSP). Cette embauche, qui a entraîné le passage d’un statut de patient à celui de collègue, a d’abord suscité « des questionnements, des débats, des résistances, des controverses de la part des équipes », se souvient Nicolas Chottin. Même si les relations avec les équipes sont bonnes.
Sa mission : la prise de contact, l’accompagnement et l’orientation des personnes en difficulté avec une addiction vers les services du CAARUD ou du Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Intégré dans l’équipe interdisciplinaire de la structure médico-sociale spécialisée en addictologie, il résume ses atouts : « Nous avons du recul sur notre parcours de rétablissement, une connaissance de base des problèmes liés à une addiction. » Il co-anime par exemple, avec un travailleur social, des groupes de travail réflexifs : ils ont pour objets l’entraide, le partage d’expériences, l’introspection, la valorisation des personnes dans leur pouvoir d’agir…
Le médiateur de santé pair est aussi sollicité pour des rencontres organisées par l’agence régionale de santé (ARS) ou par la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), la Fédération Addiction…
Par ailleurs, le médiateur de santé pair suit une formation, avec un travailleur social de l’association qui le soutient « dans l’expérience de la médiation et la verbalisation du retour d’expérience, raconte Nicolas Chottin. Cette relation s’inscrit dans une réciprocité de transmission des savoirs ». En septembre 2016, le CAE se transforme en contrat à durée indéterminée (CDI) au CSAPA Le Peyry, sur un poste destiné à « faire vivre la médiation par les pairs ». Sa nouvelle mission : accompagner les nouveaux médiateurs de santé pairs dans leurs actions et les soutenir dans leurs réflexions.
Car depuis janvier 2017, quatre MSP ont été recrutés, en contrat CAE. Chacun est accompagné par un travailleur social de la structure. Et chaque mois, « durant une journée, nous nous rencontrons avec le coordinateur des MSP pour analyser les pratiques et réfléchir sur l’impact des MSP sur les professionnels, sur les personnes accueillies, et sur les MSP eux-mêmes ».
Le rôle de pair de Nicolas Chottin ne se joue plus cette fois-ci avec l’usager mais dans une relation professionnelle avec les nouveaux MSP. S’il utilise à nouveau son expérience, ce n’est plus celle de l’addiction, du soin et du rétablissement, mais celle de son parcours de professionnalisation, pour « communiquer une éthique de l’accompagnement. Cette nouvelle aventure m’amène de nouveau à questionner mon rôle et ma place en tant que médiateur des médiateurs ».
Nouvelle étape, en cours : la préparation d’un master dans les sciences de l’éducation, en Recherches et expertises en éducation et formation (REEF). Objectif de Nicolas Chottin : « Mettre en valeur l’ensemble de ce dispositif de professionnalisation mis en place au sein de la structure, permettant aux nouveaux MSP de se former et de se sentir de plus en plus autonomes dans leur mission. » Le médiateur cherche ainsi à répondre, à terme, à la question du statut et de la formation du MSP : il s’agit de « ne pas gommer les spécificités auxquelles nous croyons : expression des vulnérabilités, des histoires de vie comme compétences professionnelles créatrices de proximité relationnelle… ». Et de rêver qu’un jour, peut-être, cette formation bien spécifique soit inscrite au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
Franca Xena Carducci partage la même expérience, à Montréal. Informer, accompagner, assister, cette ancienne consommatrice de drogues le fait en tant que membre du Comité des usagers du Centre de réadaptation en dépendance de Montréal 9. « Je veux rendre l’aide que j’ai reçue. » Alors elle se fait le porte-parole des usagers qui fréquentent le Centre.
Le comité compte sept membres. Ses missions : renseigner les usagers sur leurs droits et obligations, promouvoir l’amélioration de la qualité des conditions de vie, accompagner et assister les démarches. « Les usagers de drogues sont toujours traités comme des moins que rien dans la société, déplore Franca Xena Carducci. Alors nous les aidons à retrouver confiance en eux, nous partageons notre expérience et montrons par notre exemple qu’il est possible de s’en sortir et que la vie est belle. Nous, ex-usagers, contrairement aux professionnels, nous avons été à leur place alors nous savons d’où ils viennent et ce qu’ils vivent. »