décembre 2017
Fred Bladou (Aides)
La scission historique entre sexe et drogues devenait parfaitement obsolète, puisque les risques de transmission sexuels et liés aux consommations étaient potentiellement équivalents et particulièrement difficiles à attribuer à une pratique ou une autre dans ce contexte de consommation nouveau. Il nous fallait donc apporter des réponses spécifiques aux comportements, nouvelles consommations, dont l’injection à visée sexuelle par des publics profanes.
Ainsi, le paradigme nouveau, construit à partir des spécificités des chemsexeurs est bien celui d’une offre de prévention sexuelle et de réduction des risques drogues combinées.
Au départ, nous aurions pu considérer que la mise en place d’outils adaptés aux besoins des usagers allait permettre de réduire les mauvaises pratiques liées à la consommation, les contaminations à VIH et Hépatites, les IST. Toutefois, nous avons observé que pour bien des sexeurs, l’entrée dans le produit psychoactif se faisait par le biais du chemsex sans connaissance préalable des produits psychoactifs ou de la réduction des risques. Ce constat montrait d’abord une maîtrise partielle des outils de réduction des risques par ces mêmes consommateurs.
Différentes caractéristiques sont spécifiques au chemsex : la polyconsommation, les nouveaux produits associés aux pratiques, la gamme de produits consommés très large et surtout les modes de consommation multiples, comme l’inhalation (crystal meth), la snif (cathinones, cocaïne, kétamine, MDMA), l’injection (crystal meth, cocaïne, cathinones, kétamine) et l’ingestion (parachutes, GHB/ GBL). Ceci explique que ces groupes soient particulièrement vulnérables aux VIH et hépatites. Nos militants ont donc dû accompagner, informer, éduquer les nouveaux consommateurs en déployant d’autres outils innovants en plus de la palette existante.
L’usage de produits par injection, pouvant entraîner une modification du désir et des comportements plus désinhibés, est un facteur aggravant de prise de risque et de contamination, d’autant plus si l’on considère que la consommation de substances entraîne une modification ou une diminution du comportement préventif. Ainsi, l’offre d’accompagnement à l’injection s’est imposée comme une priorité pour réduire les effets délétères des mauvais usages (notamment sur le réseau veineux).
Les gays chemsexeurs sont un groupe particulièrement vulnérable aux VIH et VHC dans une communauté à forte prévalence, une grande majorité des chemsexeurs multiplie les partenaires sexuels et les sessions longues. Ces derniers ont aussi des pratiques à haut potentiel de risques de transmission telles que la pénétration anale et les pratiques dites « hard ».
La prévention comportementale, basée sur l’usage du préservatif masculin, ne saurait être le seul discours pouvant permettre la baisse du nombre de nouvelles contaminations. Nous avons donc dû adapter les outils de réduction des risques : matériel d’injection stérile, kit sniff à usage unique, matériel d’inhalation, kit plug anal… à partir de l’analyse des pratiques et des besoins exprimés par les chemsexeurs. Nous avons déployé l’analyse de produits par chromatographie sur couche mince (CCM) 1 afin de proposer un outil performant pour évaluer le nombre de produits en circulation, les effets souhaités ou indésirables pour chaque produit, les quantités à consommer…
Enfin, nos militants sont aussi formés aux techniques de dépistages rapides communautaires, à l’entretien ciblé de RDR/RDR sexuelle combinées à l’accompagnement PrEP 2, à promouvoir le TASP 3.
Les chemsexeurs peuvent exprimer de grandes difficultés à parler de leurs pratiques par peur du jugement des professionnels de santé, des gays non usagers ou de leur environnement professionnel. L’exclusion est une donnée négative à intégrer de manière prioritaire. Par ailleurs, même si l’on parle de sexualité en groupe, de communautés d’usagers, un sentiment de solitude et d’isolement est majoritairement ressenti par les personnes.
C’est bien là que les groupes d’auto-support pour les gays chemsexeurs animés par des militants de AIDES trouvent un sens. Cette approche communautaire réduit considérablement cette crainte d’être jugé ou incompris sur ses pratiques. AIDES permet, au travers d’une dizaine d’actions dédiées, d’offrir un espace d’écoute sécurisé et bienveillant, de renouer une certaine forme de lien social entre pairs. Ces temps d’échanges sont des espaces de liberté et des sources d’information. Les militants de l’organisation sont en capacité de répondre à toutes les questions relatives aux préventions, à la réduction des risques, aux dépistages rapides communautaires, à l’accompagnement à l’injection. Ils sont sensibilisés aux sexualités, pratiques sexuelles et risques attenants. Parmi nos objectifs de renforcement des compétences, nous développons maintenant des techniques d’entretien construites à partir des pratiques des sexeurs afin de déceler précocement d’éventuelles souffrances exprimées ou ressenties, et de pouvoir les diriger vers un service en santé approprié.
Enfin, même si les groupes d’usagers apportent des réponses pragmatiques à des besoins divers exprimés par leurs pairs, le soutien de militants spécialement formés sur l’ensemble de la prise en charge globale est indispensable. Face aux demandes de suivi, de soutien psychologique d’usagers, il nous a semblé pertinent de considérer de nouveaux partenariats avec des experts identifiés et reconnus pour leur connaissance du chemsex et de ses bonnes pratiques.
Aides aujourd’hui complète son offre innovante d’outils combinés de réduction des risques en intégrant dans les murs des professionnels (médecins, psychologues ou psychiatres, addictologues) lors de groupes collectifs ou en vue de mener des entretiens individuels. C’est une stratégie totalement nouvelle pour l’organisation, qui repose sur une prise en charge complète et la prévention positive.
Aides a développé des actions spécifiques dans une dizaine de villes (Paris, Lyon, Marseille, Annemasse, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Nîmes…). Ces temps dédiés à ces publics permettent d’animer des ateliers d’auto-support, de tester les produits, de parler de réduction des risques et de bonnes pratiques, de recréer du lien, de réaliser des dépistages, de construire avec les usagers des préventions efficaces en accord avec leurs pratiques. Des actions de prévention et de réduction des risques en outreach sont également menées dans des lieux privés de consommation sexuelle.
Nous avons augmenté notre offre en mettant en place le premier dispositif complet d’urgences Chemsex. Ce dispositif, via des médias identifiés comme très utilisés par les sexeurs (What’s app, Facebook, téléphone), propose une écoute sur certains créneaux horaires pour les usagers en difficulté (risques de contamination, questions sur un produits psychoactif, effets délétères, problèmes de santé…). Les militants qui animent ces différents médias sont formés très largement à toutes les techniques évoquées ici.
Face à ces nouvelles pratiques de consommation, aux nouveaux produits, à l’augmentation potentielle du nombre de contaminations à VIH sida et hépatites, il convient d’apporter une réponse stratégique et concertée entre les acteurs de la prévention, de la réduction des risques, les médecins infectiologues et hépatologues, les centres de santé communautaires et enfin, les professionnels de la psychiatrie et de l’addictologie.
Ces groupes plutôt très discrets, évoluant souvent dans des espaces totalement privés et organisant leur sexualité via les sites de rencontres gay sur Internet, souffrent d’une certaine invisibilité. Il leur faut contourner un contexte légal très défavorable, le stigma, le jugement. Une offre communautaire, des échanges peer to peer offrent un moyen de recréer du lien social et des réponses pragmatiques aux besoins.
Le chemsex est une réponse partielle à une société anxiogène, qui exige de groupes minoritaires une certaine performance. La « faiblesse », le sentiment d’infériorité sont des éléments anxiogènes qui peuvent favoriser le recours aux produits psychoactifs. Face au déferlement d’articles ou de réactions sécuritaires contreproductifs, il nous faut nous organiser afin de prévenir les effets les plus délétères d’une consommation non maîtrisée et offrir un cadre sécurisant aux usagers.