septembre 2007
Nicolas Dietrich, Franziska Eckmann et Ueli Simmel, Infodrog, Berne
Les risques que nous avions exposés dans cette même revue en décembre 2004 sous le titre «Quels avenir pour les thérapies résidentielles?» se sont entre-temps confirmés et certains d’entre eux constituent de véritables tendances. Nous constatons aujourd’hui plusieurs entraves structurelles ayant des conséquences directes sur l’accès aux thérapies résidentielles et concourrant au cercle vicieux suivant: baisse des placements – baisse du taux d’occupation – hausse des prix journaliers – baisse des placements.
Cinquante fermetures d’institutions depuis 1999 soit près du 30% des institutions résidentielles en Suisse. 1 Il existe aujourd’hui encore environ 90 institutions résidentielles qui offrent un total d’un peu plus de 1300 places de thérapie. Ces fermetures d’institutions ont entraîné une suppression d’environ 500 places de thérapie depuis 1999, soit près d’un tiers des places à disposition. Ne serait-ce qu’en 2007 les six fermetures représentent une suppression de 81 places. Dans un contexte où il y a environ 17000 traitements de substitution à la méthadone et 1300 traitements avec prescription d’héroïne en Suisse, ces fermetures démontrent la place de plus en plus réduite des thérapies résidentielles dans le pilier thérapie de la politique suisse dans le domaine des addictions.
Les placements intercantonaux ont diminué depuis 2001, où le taux de placements effectués dans des institutions à l’extérieur du canton de domicile du/de la client-e était encore de 43% pour n’être que de 31% en 2006 (voir schéma page 22).
20% d’institutions résidentielles ont un taux d’occupation inférieur à 75% en 2006. 2 Bien que le taux d’occupation moyen en Suisse soit en 2006 de 87%, la situation par institution démontre une situation beaucoup plus nuancée. Parmi les 75 institutions participant à notre statistique en 2006, 16 ont eu un taux d’occupation inférieur à 75%. Sachant que les fermetures d’institutions ont plutôt permis de renforcer les institutions restantes, ces taux sont d’autant plus significatifs. Si cette situation devait perdurer, ces institutions seront confrontées à des problèmes financiers et de nouvelles fermetures ne sont pas à exclure.
Si les thérapies résidentielles doivent bien entendu faire en sorte de correspondre aux besoins actuels des client-e-s et adapter leurs offres en conséquence, on observe que l’origine de ces difficultés se trouve aussi dans les éléments structurels, c’est-à-dire dans l’organisation de l’offre, des placements et leur financement. Durant les dernières années, nous avons constaté un certain nombre d’obstacles structurels jouant à nos yeux un rôle non négligeable sur les placements et l’accès aux thérapies résidentielles des addictions.
Le coût en temps et en efforts pour effectuer un placement est actuellement élevé car les raisons d’un tel placement doivent être de plus en plus justifiées. Par conséquent, le temps d’attente peut être long et les services placeurs ont parfois développé des stratégies d’évitement tant il est pénible d’effectuer ces démarches. On constate parfois qu’un placement n’est purement et simplement plus envisagé car trop astreignant.
Certains services placeurs ont choisi d’octroyer des garanties financières individuelles de plus courte durée, non pas qu’une thérapie à long terme (12-18 mois) ne soit pas adaptée aux besoins de certains client-e-s mais pour des raisons avant tout financières. D’autres ont aussi décidé de ne plus renouveler la garantie financière ou de n’en octroyer qu’un nombre limité pour chaque cas. Si bien que certains clients n’ont aujourd’hui plus accès du tout à ce type de thérapie. Si les cantons jouent un rôle très important, les communes peuvent aussi jouer un rôle déterminant dans les décisions de financement des mesures individuelles de prise en charge 3. Une étude récente de l’Institut de recherche sur la santé publique et les addictions ISGF 4 a évalué les fins de thérapie et montre clairement que les personnes qui achèvent la thérapie en respectant les durées prévues ont un pronostic bon ou très bon quant à d’éventuels futurs problèmes liés à des drogues et signifient une meilleure intégration et stabilité à la sortie. A contrario, les personnes qui interrompent prématurément leur thérapie ont un pronostic et une intégration moins favorables. Ces résultats sont d’autant plus intéressants que les deux groupes ont des situations très semblables à l’entrée en thérapie. On ne peut donc pas dire que les client-e-s qui quittent prématurément l’institution ont des situations personnelles plus lourdes que celles et ceux qui vont jusqu’au bout, mais plutôt que les résultats de la thérapie sont meilleurs si le programme est accompli jusqu’à son terme.
Dans le domaine des traitements des addictions, les modes de rétribution et les règles de financement sont complexes car elles sont multiples et différentes d’un traitement à l’autre: rémunération à l’acte dans l’ambulatoire (ex: convention tarifaire Tarmed), rémunération au forfait prospectifs liés au sujet (client-e) ou à l’objet (service/institution), rémunération au forfaits rétrospectifs liés au sujet ou à l’objet (ex: forfaits journaliers pour les institutions et certains hôpitaux) ou encore couverture du déficit. En outre, il existe des listes très différentes des prestations couvertes (catalogues de prestations, conventions tarifaires, contrats de prestations) et la rétribution de chacune d’elles peut avoir une grande influence sur l’intervention qui sera choisie. Les mesures ambulatoires avec substitution sont souvent préférées car elles sont supposées coûter moins cher. Cette idée peut actuellement être remise en question si l’on ne considère pas seulement l’acte de prescrire de la méthadone mais l’ensemble des coûts par client durant la période de traitement – durée actuellement de plus en plus longue des traitements à la substitution. Un travail récent montre même que, selon sa durée, le traitement méthadone coûte en fait plus cher et que le capital investi dans les thérapies résidentielles a un meilleur rapport coût-utilité 5.
On constate aujourd’hui que certains services placeurs et financeurs ne recherchent pas les offres ayant le meilleur rapport qualité-prix, mais celles qui leur permettent de faire endosser les coûts de thérapie par d’autres. Concernant les thérapies résidentielles, certains services placeurs cherchent activement et explicitement des offres qui sont financées par les caisses maladie comme les cliniques ou les services ambulatoires offrant un traitement de substitution pour ne pas avoir à financer eux-mêmes les coûts. Autre fait remarquable, certains coûts de séjours en thérapie résidentielle peuvent, dans certaines communes, constituer une dette pour le ou la client-e qui, sachant cela, hésitera à entreprendre une démarche thérapeutique de ce type. On peut le comprendre puisqu’à la sortie de la thérapie, il/elle aura une dette qu’il/elle n’avait pas lors de son entrée…alors que le but de cette thérapie est précisément d’acquérir une meilleure intégration. Bien qu’étant une pratique plutôt alémanique pour l’instant, où l’autonomie des communes y est parfois plus forte, la responsabilité plus élevée que l’individu devrait à l’avenir assumer financièrement est à l’ordre du jour des discussions politiques non seulement au niveau local mais aussi national.
La santé mentale ou d’autres domaines voisins à celui des addictions ont développé des offres qui, sans être forcément spécialisées pour les personnes souffrant d’addictions, leur sont tout de même destinées. Par conséquent, elles entrent en concurrence avec les thérapies résidentielles tout en bénéficiant d’une structure de financement différente, notamment via les caisses maladie.
Des institutions ont parfois tendance à ouvrir leur thérapie à une clientèle de plus en plus large pour tenter de faire face à ces menaces et à offrir des prestations au plus grand nombre possible de client-e-s. Cette stratégie n’est pas sans risque car elle pourrait d’une part provoquer une baisse des résultats thérapeutiques et d’autre part mettre un frein à la spécialisation des prestations offertes. Comme nous l’avons décrit plus haut, l’impact des obstacles structurels, souvent sans rapport avec les besoins des client-e-s, jouent un rôle décisif très concret dans les placements en thérapie résidentielle et par voie de conséquence sur l’offre de celles-ci.
La diversité des offres thérapeutiques est un des principes importants du pilier thérapie de la politique nationale en matière d’addiction et l’équilibre entre les différentes prises en charge fait partie intégrante de cette diversité. Comme la littérature scientifique ne montre pas de supériorité d’un traitement par rapport à un autre, les traitements de substitution et les thérapies résidentielles ne devraient pas s’opposer et jouer les uns contre les autres mais plutôt être sciemment choisis en fonction des besoins, des ressources et des objectifs de la personne souffrant d’addiction.
Le 1er janvier 2008 la Loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides (LIPPI) devrait entrer en vigueur et remplacer l’article 73 de la Loi fédérale sur l’assurance invalidité (LAI). A quelques mois de son entrée en vigueur, il n’est pas encore clair quel sera le statut des thérapies résidentielles dans ou en dehors de ce cadre légal. Lors du 2ème colloque national RPT organisé par la Conférence des directrices et directeurs des affaires sociales (CDAS) le 21 juin 2007 sur la mise en oeuvre RPT dans le domaine social, la proposition suivante a été retenue: chaque canton indiquera explicitement, dans son concept stratégique qu’il devra soumettre au Conseil fédéral d’ici la fin 2010, si oui ou non l’application de la LIPPI concerne les thérapies résidentielles des addictions. C’est un minimum, résultant d’un consensus, qui n’empêche pas chaque canton d’aller plus loin. Dans un cas comme dans un autre, la Convention intercantonale relative aux institutions sociales (CIIS) entrée en vigueur le 1er janvier 2006 représente un autre instrument pouvant aussi contribuer à ce que les conditions d’accès aux institutions soient garanties et que les personnes souffrant d’addiction puissent obtenir le soutien nécessaire en vue d’une meilleure intégration. Intégration qui devrait être notre but commun à tous.