septembre 2007
Interview de Monique Helfer, responsable de communication chez Swissmedic, Berne
Quels moyens Swissmedic met-il en œuvre pour prévenir l’apparition d’une addiction lors de la consommation de médicaments?
La protection de la santé de l’être humain et de l’animal est au centre des préoccupations de Swissmedic. Afin que les médicaments soient utilisés conformément à leur destination et avec modération, le droit des médicaments prévoit diverses mesures. En fait partie l’information destinée aux professionnels et aux patients que doit approuver Swissmedic ainsi que le conseil professionnel accompagnant la remise de médicaments.
Lors de l’autorisation de mise sur le marché, Swissmedic détermine la catégorie de remise de chaque médicament. Par principe, toute autorisation de délivrer doit être fondée sur une formation adéquate. Pour des raisons de sécurité, la remise d’un médicament comportant un nouveau principe actif est toujours d’abord soumise à ordonnance. Une fois suffisamment expérimenté, il pourra être délivré sans ordonnance, et ce pour autant qu’il se prête à l’automédication. Le rapport risque/utilité favorable d’un médicament dépend dans une large mesure d’un usage correct.
Swissmedic examine, sur la base de standards internationaux et des prescriptions légales, si sa classification dans telle ou telle catégorie de remise se justifie.
Les médicaments des catégories de remise A et B ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale. Ceux des catégories C à E ne sont pas soumis à ordonnance, les préparations de la catégorie C ne pouvant cependant être remises qu’assorties d’un conseil spécialisé par une personne exerçant une formation médicale, soit dans une pharmacie. Le ou la patient-e a aussi une certaine responsabilité, les indications des professionnels ainsi que celles de la notice d’emballage (information au patient) devant absolument être observées.
Ajoutons que globalement, le droit sur les produits thérapeutiques est axé sur la protection de la santé et donc sur une utilisation sûre des médicaments. Pour remplir ce mandat, Swissmedic intervient sur le marché. Concernant les médicaments, les mesures possibles sont l’adaptation, soit la limitation de leur domaine d’application, l’adoption de nouvelles mises en garde, la modification de la catégorie de remise, voire le retrait d’un médicament du marché.
Constatez-vous des divergences de vue entre Swissmedic et l’industrie pharmaceutique?
En tant qu’autorité d’exécution du droit des médicaments, Swissmedic doit s’en tenir aux dispositions légales. La Loi sur les produits thérapeutiques a explicitement pour but (art. 1) que les médicaments mis sur le marché sont utilisés «conformément à leur destination et avec modération». Et les branches pharmaceutiques concernées doivent aussi respecter les dispositions légales.
Que peuvent faire, selon vous, les acteurs du réseau de prévention des addictions par rapport à la problématique de l’abus de médicaments?
Outre les efforts de sensibilisation générale, il nous faut notamment relever que le médecin traitant a un rôle déterminant, concernant les substances soumises à ordonnance, dans la prévention d’une dépendance aux médicaments. D’un point de vue de santé publique, des mesures ciblées à même de renforcer les compétences du corps médical sont donc recommandées. Ainsi, certaines observations sur l’influence de stratégies spécifiques de traitement aux benzodiazépines montrent que des interventions préventives sous forme de directives concrètes en matière de prescription aux médecins et pharmacien-ne-s peuvent se révéler tout à fait efficaces 1.
Des mesures restrictives en matière de prescription de benzodiazépines (comme une obligation renforcée de prescription ou des ordonnances usant de formulaires spéciaux) ont montré une efficacité certaine dans plusieurs États nord-américains ainsi que dans d’autres pays et dans le canton de Zurich (transfert du Rohypnol® de la liste B à la liste A) 2.
Des mesures analogues existent depuis longtemps pour les médicaments à fort potentiel de dépendance et sont considérées comme allant de soi.
L’évaluation de l’introduction de telles interventions régulatrices (élargissement de l’obligation renforcée de prescription pour les dérivés des benzodiazépines avec annonce à un office central) révèle, selon divers rapports, des effets positifs.
Pour ce qui est de l’automédication, les problèmes ont avant tout trait à la prise d’antalgiques et de laxatifs, comme l’indique le travail de Maffli E. & Bahner U. 3.
La littérature spécialisée énumère quantité de mesures possibles:
Sensibilisation et intensification du débat sur l’abus et la dépendance aux médicaments, en priorité dans les milieux professionnels, soit les médecins et pharmacien-ne-s, mais aussi, secondairement, dans la population;
Promotion de mesures en faveur d’une meilleure pratique de prescription de la part des médecins (en particulier concernant les benzodiazépines) par une formation ciblée et de l’information;
Promotion de mesures pour un meilleur conseil aux patients de la part du personnel des pharmacies et drogueries, en particulier concernant les antalgiques et les laxatifs;
Introduction de modalités de publicité plus sévères, surtout pour les échantillons, la publicité dans les vitrines des pharmacies et la vente sur internet de médicaments susceptibles de faire l’objet d’abus;
Renforcement de la réglementation sur la vente de certains médicaments pouvant engendrer une dépendance;
Réduction de la taille des emballages de certains médicaments pouvant engendrer une dépendance;
Nouvelle conception de l’information sur les produits donnée dans les notices d’emballage pour les médicaments pouvant engendrer une dépendance;
Introduction d’un contrôle des ventes de substances psychotropes s’appuyant sur la procédure suisse déjà existante de contrôle de remise de stupéfiants (cf. infra point 3.2);
Récolte de données nationales sur le potentiel d’abus des médicaments, analyse de ces données et établissement d’une liste actualisée des substances pouvant faire l’objet d’abus.
Ces mesures nécessitent en règle générale un discours politique. Étant l’une des autorités d’exécution, Swissmedic met en pratique, finalement, la volonté politique.
Pensez-vous que la population est suffisamment informée des dangers d’addiction que comportent certains médicaments? Et le réseau de soins?
Nous ne disposons actuellement d’aucune étude ou enquête permettant une évaluation fiable en la matière. Dans tous les cas, il est important d’utiliser toute préparation pharmaceutique conformément à l’usage prévu si l’on veut éviter, entre autres, une dépendance. C’est parce que cela est capital qu’il est prévu, lors de la remise de médicaments, le conseil d’un spécialiste qui abordera la question du mode de prise, du dosage, etc.
(…)
Faites-vous une différence, du point de vue du potentiel de dépendance, entre les benzodiazépines et les substances ayant des effets similaires comme le zolpidem (Stilnox®, Dorlotil®, Sedovalin®, Zoldorm®, etc.), le zoplicon (Imovane®) ou le zaleplon (Sonata®)?
Tous les stupéfiants et toutes les substances psychotropes sont nommément cités dans la législation sur les stupéfiants. En fonction de leur potentiel de dépendance, les stupéfiants et autres substances psychotropes sont listés dans divers appendices et sont soumis, selon leur classification, à des dispositifs de contrôle plus ou moins stricts.
Tant les benzodiazépines que le zolpidem (le zoplicon et le zaleplon ne sont pas soumis à la législation sur les stupéfiants) figurent dans le même appendice, l’appendice b de l’Ordonnance de Swissmedic sur les stupéfiants (RS 812.121.2) et sont donc soumis aux mêmes mesures de contrôle.
Swissmedic envisage-t-il de soumettre les benzodiazépines (ou d’autres substances à effet similaire) à des mesures de prescription plus contraignantes ?
Les autorités cantonales compétentes ont exprimé à plusieurs reprises le souhait de voir les benzodiazépines soumises à un contrôle plus strict. Il serait en principe imaginable de soumettre les benzodiazépines à la même obligation de notification que celle existant pour les stupéfiants et les substances psychotropes, sévèrement contrôlées (cf. art. 57, Ordonnance sur les stupéfiants, RS 812.121.1). Cela signifierait que les grossistes devraient dorénavant notifier à Swissmedic toute livraison de benzodiazépines à un médecin ou à une pharmacie. Ces livraisons seraient ensuite introduites dans notre système et mises à disposition des autorités cantonales compétentes.
Cette possibilité n’étant actuellement pas prévue par la législation sur les stupéfiants, il faudrait d’abord créer une base légale à cet effet, chose qui, à notre connaissance, devrait être envisagée lors de la prochaine révision de la législation sur les stupéfiants.
Quelles sont les obligations de l’industrie pharmaceutique pour sensibiliser les médecins au problème de l’usage abusif de médicaments?
ÀA cet égard, nous vous renvoyons aux prescriptions légales en la matière (voir aussi notre première réponse). Parmi les mesures de sécurité significatives, il faut notamment citer les catégories de remise (p.ex. leur durcissement) ou de nouvelles restrictions à la remise de médicaments (p.ex. «pas de remise aux mineurs»).
Les notifications d’abus potentiels déclenchent, de la part de Swissmedic, des vérifications pouvant aboutir à une adaptation des critères de remise (p.ex. réduction de la taille des emballages, révision des indications ou prescription réservée à certains spécialistes). Et, selon le sujet, nous prévoyons une publication dans des revues spécialisées.
Quels sont les moyens mis en œuvre par Swissmedic pour lutter contre le marché noir, notamment avec les changements induits par le développement d’Internet?
Les médicaments non reconnus par une autorité compétente et d’origine non contrôlée peuvent se révéler très dangereux. Le ou la patient/e ne sait souvent pas si la substance active indiquée est bien présente, si les conditions de stockage étaient conformes et les indications thérapeutiques exactes. Souvent des médicaments présumés purement phyto-thérapeutiques contiennent de fait des principes actifs synthétiques soumis à ordonnance ou des impuretés. Il n’est pas rare non plus que manquent d’indispensables indications sur les risques, les effets secondaires indésirables et le dosage de ces médicaments. Quant aux notices d’emballage, lorsqu’il y en a, elles sont souvent rédigées dans une langue inconnue.
Sont aussi des plus dangereux les médicaments contenant des stupéfiants susceptibles d’engendrer une dépendance – ou les préparations pour le développement musculaire, qui entraînent la pousse des poils de barbe chez les femmes et des seins chez les hommes.
L’importation de médicaments par des personnes privées est souvent le fait de commandes sur Internet. Comme déjà mentionné, ces commandes comportent des dangers pour la santé, que les contrôles douaniers réduisent néanmoins. Swissmedic collabore à cet égard étroitement avec la Direction générale des douanes et les bureaux régionaux de douane. Outre les contrôles de base axés sur le risque, des actions ciblées sont ponctuellement menées lors desquelles les douanes contrôlent plus intensivement certains envois. En 2006, lors de trois de ces actions, des envois massifs du Brésil – certains avec des médicaments contenant des stupéfiants – et de petits envois furent contrôlés 4. Swissmedic actualise constamment son appréciation des risques, mais un contrôle sans faille des frontières étant impossible, Swissmedic mise simultanément sur l’information et la sensibilisation de la population. Il faut de plus mentionner la collaboration internationale. Il s’agit là d’une part d’échanges avec les autorités d’autres pays. Les informations fournies par des autorités étrangères partenaires concernent avant tout un manque de qualité, des contrefaçons ou des ventes illégales. D’autre part, Swissmedic participe depuis quelques années à des commissions internationales sur la contrefaçon de médicaments (Conseil de l’Europe, OMS, etc.). Ces réunions ont, depuis peu, acquis une importance mondiale. Et nous avons très à coeur de suivre activement le débat et les activités concernant spécifiquement l’Europe.
Pour le reste, Swissmedic soutient Stop Piracy, la plate-forme suisse contre la falsification et le piratage 5.