septembre 2008
Stefan Enggist (OFSP)
Pour faciliter la lecture, les deux sexes sont désignés par le masculin dans ce texte.
Jusqu’à la fin des années 90, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a soutenu dans plusieurs établissements pénitentiaires suisses des expériences pilote de réduction des risques auprès des détenus consommant des drogues par voie intraveineuse. Ces programmes incluaient la distribution de matériel d’injection et de seringues propres. Dans le cadre du programme national contre le sida 2004-2008, la Confédération est à nouveau active dans la lutte contre les maladies infectieuses en milieu carcéral, qui va de pair avec la mise en place de mesures thérapeutiques pour les détenus toxicodépendants. Le projet «Lutte contre les maladies infectieuses en milieu carcéral» devrait être mené à bien d’ici à fin 2010.
Les établissements pénitentiaires sont connus pour favoriser la propagation de maladies infectieuses telles que le sida, l’hépatite ou la tuberculose. Les recherches conduites en Suisse et à l’étranger ont démontré que les personnes soumises à une peine de privation de liberté contractaient plus souvent ces maladies que la population en général. On peut dire inversement qu’en prison, le risque d’être infecté est par principe plus élevé qu’en liberté. Ce qui est vrai pour les détenus l’est aussi pour le personnel d’encadrement. Les conditions propres à la détention représentent un facteur de risque (le libre choix du médecin n’existe pas et les détenus ne peuvent pas accéder de leur propre chef aux mesures de prévention et aux produits thérapeutiques) – risque que vient accroître la composition de la population carcérale (personnes toxicodépendantes, migrants en provenance de pays où la prévalence de certaines maladies infectieuses est plus élevée, établissements exclusivement destinés aux personnes du même sexe).
Sur la base de la loi sur les épidémies et dans le cadre du programme national contre le sida, l’OFSP a réitéré son engagement dans le combat contre les maladies infectieuses en formulant les objectifs stratégiques suivants:
Réduction des risques de transmission au sein des établissements pénitentiaires
Réduction des risques de transmission du milieu carcéral vers l’extérieur, et inversement
Pour les maladies infectieuses, offre équivalente à celle de l’extérieur en matière de dépistage, de prévention, de conseil, de thérapie et de soins
Pour la toxicodépendance, offre équivalente à celle de l’extérieur en matière de thérapie
Garantie de durabilité des mesures et instruments mis en place
Dans cette perspective, l’OFSP a mandaté l’Université de Fribourg pour dresser un état des lieux sur une base scientifique. L’Université de Berne a également été sollicitée pour un avis de droit. Ces deux expertises constituent une part importante du corpus d’évidence à la base du projet «Lutte contre les maladies infectieuses en milieu carcéral» 1.
Dans leur étude « Maladies infectieuses et drogues dans les établissements de détention» (2007), Ueli Hostettler et Christine Achermann de l’Université de Fribourg ont éclairé les pratiques sanitaires en vigueur dans les prisons pour ce qui est des maladies infectieuses. Ils se sont également penchés sur l’offre thérapeutique à destination des détenus toxicodépendants. Ils soulignent la nécessité d’agir dans les domaines suivants:
Dans l’ensemble, on possède peu de données relatives à la propagation des maladies infectieuses et à la consommation de drogues en milieu carcéral. Les informations recueillies par les professionnels du terrain n’ont pas été systématisées et sont donc difficiles à utiliser dans le cadre d’un travail scientifique. La compréhension de la situation des maladies infectieuses telle qu’elle se présente dans les prisons suisses demeure de ce fait largement incomplète.
Ce manque d’information concerne à plus forte raison les collaborateurs des établissements pénitentiaires.
Les mesures relevant de l’exécution des peines ne doivent pas empiéter sur le domaine de la santé, ce qui implique une stricte observance du secret médical. Cette séparation n’est cependant pas toujours bien comprise par le personnel d’encadrement, qui lui oppose des motifs sécuritaires.
Les prestations en matière de prévention, dépistage et traitement peuvent grandement varier d’un établissement à l’autre, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif.
Une plate-forme réunissant les diverses instituions serait souhaitable pour favoriser l’échange et la collaboration à l’extérieur des structures.
Dans l’avis de droit commandé par l’OFSP à l’Université de Berne, (Droits des détenus en matière de santé dans le domaine de la protection contre les maladies infectieuses et compétences de la Confédération quant à leur application, 2007) Alberto Achermann et Jörg Künzli livrent les conclusions suivantes:
En vertu de la Constitution fédérale et du droit international, l’Etat est responsable d’assurer à chaque détenu des conditions de vie qui ne mettent pas sa santé en jeu. Il doit donc le protéger contre des dangers qui viendraient aussi bien de son entourage que des conduites à risque du détenu lui-même.
Lorsque des mesures de répression ne sont pas à même d’assurer une protection suffisante contre les maladies infectieuses, l’Etat est tenu d’intervenir de manière préventive. La preuve étant faite que des substances psychotropes illégales et du matériel d’injection circulent dans les prisons, l’Etat doit mettre en place une stratégie de réduction des risques.
Bien que l’exécution des peines soit en règle générale du ressort des cantons, la Constitution et la législation permettent à la Confédération d’intervenir sur les questions sanitaires concernant le milieu carcéral. L’article 387-1-c du nouveau code pénal lui confère explicitement la compétence de réglementer en la matière: «Après consultation des cantons, le Conseil fédéral peut édicter des dispositions concernant: […] l’exécution des peines et des mesures prononcées à l’encontre de personnes malades, infirmes ou âgées […]» Par ailleurs, la nécessité de légiférer sur l’exécution des peines et des mesures prononcées à l’encontre de malades se fait particulièrement sentir, avant tout en ce qui concerne les personnes séropositives et les toxicomanes. Il devrait être possible de prévoir une réglementation uniforme au niveau fédéral notamment pour la mise en œuvre de programmes de prévention du sida et de distribution de drogue. Il convient en outre de garantir le suivi de l’assistance médicale ou du traitement médical dont bénéficiait une personne avant son arrestation 2.
L’étude de l’Université de Fribourg n’a pas été en mesure d’établir la situation épidémiologique qui prévaut pour les maladies infectieuses dans les établissements pénitentiaires suisses. Des inconnues demeurent également en ce qui concerne la consommation de drogues. Des données existent toutefois pour la Suisse romande, selon lesquelles certaines maladies infectieuses sont nettement plus fréquentes en milieu carcéral que dans le reste de la population 3. Elles indiquent que la consommation de drogues, notamment par voie intraveineuse, y est largement répandue. En tout état de cause, il apparaît clairement que les politiques de la santé en milieu carcéral varient considérablement d’un canton à l’autre. Des directives nationales et internationales exigent certes que les détenus puissent avoir accès aux mêmes soins en prison qu’en liberté, mais ce principe d’équivalence ne semble pas respecté partout ou du moins pas dans une mesure suffisante.
L’OFSP s’est appuyé sur les données recueillies au cours de cette phase préparatoire pour planifier la mise en œuvre du projet «Lutte contre les maladies infectieuses en milieu carcéral» (LuMMic) d’ici à 2010, en étroite collaboration avec l’Office fédéral de la Justice (OFJ). A cette fin, il a consulté de nombreuses institutions et des spécialistes du milieu carcéral. Il a pu bénéficier de l’expertise de l’ancien directeur de l’Office d’exécution des peines du canton de Zurich, Monsieur Andreas Werren, dont la compréhension des structures et modes de fonctionnement propres au milieu carcéral a été très utile pour définir des objectifs réalisables. Le projet devrait pouvoir démarrer au premier semestre 2008. La responsabilité de sa mise en œuvre incombera conjointement à la Conférence des directeurs des départements cantonaux de justice et police et à la Confédération à travers l’OFJ et l’OFSP. Le projet ne nécessitera pas la création de nouvelles structures mais pourra utiliser d’un commun accord celles qui existent déjà, qu’elles relèvent de l’exécution des peines ou des soins médicaux en prison.
Le projet LuMMic se concentrera sur les quatre thématiques suivantes:
Le projet ne vise pas seulement à atteindre les cinq objectifs stratégiques énumérés plus haut, il a également pour but d’amorcer des processus d’apprentissage. Il s’agit à la fois de constituer des savoirs scientifiques à partir des données du terrain, et de contribuer à la diffusion de ces savoirs en créant une plate-forme de dialogue et d’échange entre les acteurs de la santé en prison et ceux du système d’exécution des peines. Il faut repérer les améliorations possibles, dissiper les incertitudes, encourager des changements de comportements.
En tant qu’initiateur du projet, l’OFSP aura essentiellement pour fonction de veiller aux conditions de réalisation des différents volets et de coordonner les apports des uns et des autres. Les thématiques seront traitées au sein de groupes de travail restreints. Au besoin, il sera possible de faire appel à des experts ou à des institutions spécialisées du domaine de la santé ou de l’exécution des peines, qui pourront être mandatés pour certaines tâches spécifiques.
Dans un premier temps (2008), il s’agira de faire apparaître les besoins en fonction des quatre thématiques définies ci-dessus, afin d’évaluer ce qu’il est possible de faire. Les données recueillies au cours de cette phase devraient dans un second temps conduire à l’élaboration de mesures concrètes dès 2009. Dans un troisième temps, à partir de 2010, ces mesures seront appliquées dans les établissements pénitentiaires. Dans la première phase, la détention sera envisagée dans une perspective élargie incluant, outre les différents régimes d’exécution des peines et mesures, d’autres formes de privation de liberté telles que la garde à vue, la détention préventive et les mesures de contrainte. Certaines mesures pourront faire l’objet d’expériences pilotes durant les phases 2 et 3.
Le projet LuMMic se propose de mettre en évidence les lacunes qui subsistent dans le champs de la santé publique dans le but de les combler. Il constitue une occasion unique de réorganiser la prévention et le traitement des maladies infectieuses ainsi que les mesures thérapeutiques pour les personnes toxicodépendantes, en accord avec le principe de droit international qui exige que la palette de soins accessibles aux détenus soit équivalente à celle qu’ils pourraient trouver à l’extérieur. Le projet LuMMic peut enfin apporter une contribution importante à l’épidémiologie du milieu carcéral. Il a cependant aussi ses limites: l’exécution des peines de privation de liberté restant encore largement du ressort des cantons, le paysage institutionnel est très hétérogènes, tout comme les possibilités offertes par les différents établissements en matière de santé. Aucun lobby ne défend actuellement le point de vue de la médecine carcérale. Aussi le projet n’aura-t-il de résultats que là où les instances responsables seront convaincues de sa nécessité et où les ressources en personnel qualifié seront suffisantes pour sa mise en œuvre. Outre les besoins attestés par la recherche, les moyens mis à disposition par la Confédération, le soutien de la Conférence des directeurs des départements cantonaux de justice et police et les exemples de bonne pratique, le projet est porté la réflexion suivante: en milieu carcéral, les personnes vulnérables souffrant de maladies infectieuses et/ou de problèmes de drogue peuvent être plus facilement et plus directement atteintes que dans le monde extérieur. Au projet LuMMic d’utiliser ce potentiel.