septembre 2008
Francine Teylouni et Gilles Thorel (Service de probation et d'insertion de Genève)
Que l’on connaisse des problèmes d’addictions ou non, il existe quatre manières de sortir de prison:
Libération de détention avant jugement lorsque les conditions ne justifient plus une incarcération (mise en liberté provisoire)
Libération de détention avant jugement lors d’une condamnation à une peine privative de liberté avec sursis
Libération conditionnelle au deux tiers de la peine ou en fin de peine en cas de refus, par l’autorité compétente, d’octroyer la libération conditionnelle.
Évasion
Dans le contexte général du régime de l’exécution des peines en Suisse, l’assistance de probation est la dernière mesure avant que le condamné ne soit complètement sorti de son affaire pénale. Cela ne signifie pas automatiquement que les personnes libérées conditionnellement au deux tiers de leurs peines sont soumises à cette mesure, mais c’est généralement le cas (art. 87 al.2 CPS), en particulier pour les personnes dépendantes. Une assistance de probation peut également être prononcée en cas de peine avec sursis, au moment du jugement au fond.
Le code pénal définit à son article 93 l’assistance de probation et, partant, la mission des services de probation:
Art. 93
L’assistance de probation doit préserver les personnes prises en charge de la commission de nouvelles infractions, et favoriser leur intégration sociale. L’autorité chargée de l’assistance de probation apporte l’aide nécessaire directement ou en collaboration avec d’autres spécialistes.
Les collaborateurs des services d’assistance de probation doivent garder le secret sur leurs constatations. Ils ne peuvent communiquer à des tiers des renseignements sur la situation personnelle de la personne prise en charge qu’avec le consentement écrit de celle-ci ou de l’autorité chargée de l’assistance de probation.
Les autorités de l’administration pénale peuvent demander à l’autorité chargée de l’assistance de probation un rapport sur la personne prise en charge.
L’assistance de probation prononcée 1 est obligatoire pour le condamné qui doit «faire ses preuves», et l’inobservation de cette mesure peut, tout comme la récidive, avoir pour conséquence la réintégration du condamné en prison pour le solde de sa peine ou la révocation du sursis.
Les services de probation sont donc mandatés pour aider les détenus libérés ou en sursis à faire leurs preuves tout en jouant le rôle de garants de cette attitude vis-à-vis des autorités pénales.
A Genève, le Service de probation et d’insertion s’occupe également des personnes majeures qui s’adressent à lui moins d’un an après avoir été l’objet d’une condamnation à une peine ou une mesure de sûreté. Ainsi, il est potentiellement amené à intervenir dans trois des quatre façons de sortir de prison mentionnées plus haut. Enfin, le service est aussi en charge du travail social et éducatif avec les détenus de la prison de Champ-Dollon.
Les personnes dépendantes qui sortent de prison, comme tous les détenus, sont souvent plus démunies encore que lorsqu’elles y sont entrées. Il faut (re)trouver un logement, remettre en marche les droits sociaux, etc. Plus que cela, pour les personnes souffrant d’addiction, les premiers jours peuvent s’avérer particulièrement dangereux en cas de reprise d’une consommation stoppée ou à tout le moins freinée en milieu carcéral.
Par ailleurs, si la consommation n’est pas un délit justifiant une peine de prison, elle est, comme on le sait, le moteur principal de la délinquance associée 2 qui, elle, peut aboutir à des peines fermes ou au constat de la récidive.
Le prévenu pourra être condamné à effectuer une peine privative de liberté, laquelle se déroulera dans un pénitencier, le cas échéant hors du Canton de Genève. Il peut également se retrouver condamné à une peine pécuniaire ou à effectuer un TIG avec ou sans sursis, ou encore, conformément à l’article 60 du nouveau code pénal, entré en vigueur au 1er janvier 2007, à devoir traiter son addiction.
Dans ce contexte, le Service de probation et d’insertion genevois s’est donné les objectifs suivants, s’agissant des personnes dépendantes sortant de prison:
Le fait qu’il n’y ait pas d’objectif directement en lien avec les problèmes d’addiction peut surprendre. Il s’agit d’une conséquence d’effets croisés.
Le Service de probation et d’insertion n’a en effet pas pour mission première de traiter des problèmes d’addictions, comme on le constate à la lecture de l’article 93 CPS (voir plus haut). De plus, sa mission ne se limite pas aux personnes dépendantes 3. A l’inverse, toutes les personnes dépendantes ne commettent pas des délits. Et, enfin, les mandats d’assistance de probation sont limités dans le temps, et le plus souvent courts – une année – pour les personnes dépendantes.
Partant, le service n’est pas outillé pour focaliser son intervention sur le problème d’addiction en tant que tel. Son intervention s’apparente à celle d’un service social, mais doté d’outils particuliers et de compétences assez pointues s’agissant des addictions, en comparaison avec les services sociaux «tous publics».
Concrètement, le service, doté de 39,45 postes au budget de l’Etat de Genève, compte 47 collaborateurs et collaboratrices répartis en cinq secteurs, qui lui permettent un assez large éventail de prestations aux services des objectifs précédemment énoncés.
Les assistants sociaux et les formateurs pour adultes du secteur socioéducatif du service intervenant à la prison préventive de Champ-Dollon ont pour mission de parer le choc de l’incarcération, de maintenir le lien avec l’extérieur et de préparer la sortie des détenus ainsi que de les former.
La préparation de la sortie prend toute sa mesure lorsqu’il s’agit de délinquants présentant une problématique d’addiction. Le travail social et d’orientation est toutefois à géométrie variable dans la mesure où la condamnation n’est pas encore connue lors du premier contact entre le prévenu et l’assistant social du service.
Concrètement, la question du délit est d’emblée abordée avec le prévenu, puisque un axe principal de la mission du Service est de préserver les auteurs de la commission de nouvelles infractions.
Donc, dans le domaine des addictions corrélées à la commission d’infraction, nous devons avant tout traiter l’addiction, dans toute la mesure du possible.
L’incarcération a pour effet de mettre le détenu dans de très bonnes dispositions et motivations quant à ses engagements pour un changement et la prise en charge rigoureuse de ses difficultés. Alors qu’il est en détention avant jugement, il est légitime d’espérer une mise en liberté provisoire et par la suite une condamnation la plus clémente possible.
C’est également un moment très contraignant et angoissant, parfois propice à la prise de conscience et aux «déclics».
Dans la majorité des cas, ces personnes n’ont pas de revenus et bénéficient des prestations financières découlant de la LASI (loi cantonale sur l’aide sociale individuelle), lesquelles sont suspendues pendant l’incarcération.
Si le détenu toxicodépendant se sent prêt à entreprendre une démarche institutionnelle, l’assistant social du service doit, dès le début de la prise en charge, intervenir en réseau, soit avec ARGOS ou le Levant par exemple et l’Hospice général dans tous les cas. Parfois, un médecin traitant est également à consulter.
Si ce n’est pas le cas, la prise en charge d’un détenu présentant des problèmes de dépendance commence par une pratique de réseau interne. En effet, les collaborateurs du service travaillant «intra muros» proposent au détenu l’aide que peuvent apporter leurs collègues du secteur postcarcéral du service, sis à la Jonction.
La cohérence de la prise en charge et l’essentiel du travail avec le réseau extérieur au service font partie de la mission du secteur postcarcéral. Chaque usager du secteur post-carcéral a un assistant social référent, qui joue en quelque sorte le rôle de case-manager.
Les assistants sociaux du secteur postcarcéral du Service suivent 350 situations. 40% d’entre elles concernent des personnes présentant une addiction. Comme tous les pro- tagonistes, nous constatons, dans la plupart des cas, une polytoxicomanie.
Le service dispose de lieux d’hébergement et d’un atelier d’animation.
Un appartement d’urgence – quatre lits – permet aux détenus fraîchement libérés de ne pas se retrouver à la «rue», et donne un peu de temps pour se retourner, soit un mois maximum. Cette solution est particulièrement importante pour la prise en charge des personnes dépendantes. Elle leur permet si elles le souhaitent de ne pas retrouver la «zone» à peine sorties. Ce d’autant que le risque de récidive est particulièrement fort dans les 48 heures suivant la sortie, comme l’ont démontré plusieurs études criminologiques européennes. Le SPI oblige les pensionnaires de ces chambres à prendre le petit-déjeuner à l’atelier d’animation qui jouxte l’appartement d’urgence. Ils peuvent également y prendre le repas de midi pour cinq francs. Cette proximité et ce lien quotidien obligatoire permettent à une éducatrice d’assurer un état sanitaire correct dans l’appartement, et d’évaluer quotidiennement l’état des personnes hébergées. Les disponibilités RH ne permettent toutefois pas cela les week-ends, et il n’y a pas de cuisine dans l’appartement.
Le SPI tient également 22 chambres qui peuvent être mises à disposition jusqu’à une année, réparties en quatre lieux disséminés sur le canton. Les locataires sont tenus de se rendre quelques demi-journées par semaine à l’atelier d’animation. De plus, deux éducateurs s’assurent, par des passages réguliers ou lors de repas organisés le soir, de l’état sanitaires des usagers, des chambres et des maisons, et du respect des règles minimales qui s’imposent dans un lieu de vie en commun. Avec 1,6 poste à cet effet, l’aspect éducatif reste limité, et là encore circonscrit à cinq jours sur sept. Toutefois, le lien et la proximité permettent d’assurer un minimum de sécurité sanitaire et, selon les cas, démarches accompagnées de recherches de logements et/ ou d’emploi.
L’atelier d’animation quant à lui, offre un repère souplement ouvert aux usagers libres du service qui peuvent y travailler (menuiserie, bricolages divers, cuisine, poterie, informatique), s’y poser, s’y confier, s’y réchauffer etc. Les injections y sont interdites, et les personnes dépendantes sont priées d’y venir en état de tenir debout. La souplesse est toutefois de rigueur.
Dans ce secteur d’animation et d’hébergement, la problématique addiction est surtout traitée avec pour objectif de maintenir les personnes concernées dans un état sanitaire correct, de les intéresser à la vie sociale et de les amener petit à petit à envisager des projets personnels un peu plus ambitieux. Le cas échéant, il est fait appel aux services des HUG pour pallier les situations qui se dégradent, et les allers-retours à Belle-Idée sont relativement fréquents.
Le service comprend également une entreprise d’insertion par l’économique, qui offre vingt-et-une places de travail, dans le jardinage, le second-œuvre du bâtiment et le tri de déchets. Les salaires y sont de 18,50 ou 22 frs de l’heure, selon l’activité. Les personnes souffrant d’addictions y sont admises, mais leur consommation doit rester sous contrôle de façon à ce qu’elles ne se mettent pas en danger. Conduire des machines diverses ou travailler sur une échelle nécessite un état de conscience minimum.
Les maîtres socioprofessionnels (ci-après MSP) travaillent également les questions d’assiduité et de ponctualité avec les stagiaires, ce qui pose des problèmes assez pointus avec les personnes dépendantes. Les contrats peuvent être suspendus et les stagiaires exclus temporairement. Les exclusions définitives sont rarissimes.
Cette entreprise a fortement développé une activité de placement de stagiaires au sein d’entreprises traditionnelles, avec un suivi hebdomadaire de la situation par le MSP en charge des relations avec les partenaires.
La mesure pénale de l’article 60 du code pénal
Art. 60
Lorsque l’auteur est toxico-dépendant ou qu’il souffre d’une autre addiction, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes:
a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec cette addiction;
b. il est à prévoir que ce traitement le détournera d’autres infractions en relation avec cette addiction.
Le juge tient compte de la demande et de la motivation de l’auteur.
Le traitement s’effectue dans un établissement spécialisé ou, si besoin est, dans un hôpital psychiatrique. Il doit être adapté aux besoins particuliers de l’auteur et à l’évolution de son état.
La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder trois ans. Si les conditions d’une libération conditionnelle ne sont pas réunies après trois ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son addiction, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner une seule fois la prolongation d’un an de la mesure.
La privation de liberté entraînée par la mesure ne peut excéder six ans au total en cas de prolongation et de réintégration à la suite de la libération conditionnelle.
A Genève, il n’y a plus, formellement, d’établissements spécialisés, comme anciennement le Tram.
Avec l’entrée en vigueur de ce nouveau code, la question de l’ouverture d’un établissement spécialisé sera vraisemblablement à reprendre que ce soit sur le plan genevois ou concordataire, soit des cantons romands et du Tessin, même si la disposition prévoyant la mesure de soins des problèmes de dépendances figurait déjà dans l’ancien code (a44 CPS). En effet, une révision de cette importance, conservant la notion des soins à prodiguer lors de la commission d’infractions en lien causal avec l’état de l’auteur, et partant réactualisant le sens et l’importance de l’ancienne mesure dite «44» entraînera certainement les autorités judiciaires à appliquer plus fréquemment cette disposition que par le passé récent.
Dans le contexte économique et social, tant d’économies à réaliser que de tolérance zéro, le législateur aurait très bien pu abandonner cette idée et se concentrer sur la répression.
Dès lors, et pour l’heure, nous pouvons nous réjouir de la décision d’ARGOS d’ouvrir ses portes aux personnes astreintes à la mesure de l’article 60 CPS.