octobre 2003
Camille Carron (la Thune Sàrl) ; Yves Ecoeur (OSEO Valais et la Thune)
La première réflexion qui nous est venue à l’esprit lors de l’évocation du thème de ce numéro de dépendances est la suivante: peut-on parler de rétablissement ou de guérison comme un but quand on a pour mission principale la réinsertion socioprofessionnelle de personnes au chômage ou bénéficiant de l’aide sociale? Évidemment non, car se retrouver sans emploi n’est pas une maladie en soi, cela peut être tout au plus un accident de parcours. Immédiatement se pose la question de l’individualisation d’un fait social. Immédiatement se pose la question du macro-économique ou macro-sociologique versus individu. Immédiatement se pose la question de la détermination versus liberté individuelle.
Le but de cet article n’est pas de trancher dans ce débat, ce qui est impossible à faire de façon définitive. Nous allons simplement, donc de façon très empirique, donner des exemples de best practice et mentionner des éléments qui permettent à des individus de se réinsérer socialement ou professionnellement.
Pour comprendre d’où nous parlons, un détour sur nos institutions et les publics qui les fréquentent est indispensable.
L’OSEO est active en Valais depuis bientôt 10 ans. Nous y organisons des Emplois temporaires subventionnés avec formation spécifique, des programmes pour personnes en fin de droits, un Semestre de motivation pour les jeunes en rupture de formation ou à la recherche d’une place d’apprentissage, et deux modules spécifiques d’intégration pour les personnes migrantes, dont l’un spécifique pour les femmes.
Les publics cibles de ces projets sont les demandeurs d’emplois (DE), les jeunes au chômage et les migrants (soit DE, soit réfugiés statutaires). Les objectifs sont différenciés par projet, mais, globalement, nous pouvons dire qu’il s’agit de donner des outils pour améliorer l’aptitude au placement des individus qui viennent chez nous. Un autre objectif est de fournir des outils d’intégration tels que la connaissance du français, des infrastructures locales par exemple. Globalement, il y a à l’OSEO Valais des DE de toutes catégories, des personnes avec un haut niveau de formation, d’autres peu formées voire pas du tout. Cependant, notre approche se concentre davantage vers les publics les plus en difficulté, ceci en relation avec les handicaps dus au statut d’étranger, de femme, ou de personne peu ou pas qualifiée. En 2002, 350 personnes ont suivi une mesure à l’OSEO Valais et l’équipe d’encadrement est composée actuellement de 23 professionnels, dont la grande majorité à temps partiel.
La Thune Sàrl, fondée en 2000, est une entreprise sociale plus récente qui travaille avec des personnes au bénéfice de mesures liées à la LIAS (loi sur l’intégration et l’aide sociale) ou totalement hors du circuit social traditionnel. Les travailleurs de la Thune sont souvent éloignés du marché du travail depuis longtemps et nombre d’entre eux ont de graves difficultés dues à leur toxico-dépendance.
Paradoxalement, il est demandé à ces personnes d’accomplir un véritable travail qui sera vendu à des privés ou à des collectivités. Une productivité (adaptée) est donc indispensable à la Thune Sàrl pour survivre économiquement. Le «vrai travail», selon l’expression utilisée par les employés, par opposition à l’activité proposée dans certains programmes d’occupation, est l’outil d’intégration choisi pour répondre aux besoins de reconnaissance professionnelle et sociale de personnes vivant en marge depuis des années.
En 2002, 22 personnes ont travaillé à la Thune et l’encadrement était composé de trois personnes à temps partiel.
Nos deux structures ont plusieurs points communs: d’abord un travail d’insertion socioprofessionnelle et un travail avec des individus considérés comme défavorisés; ensuite, la plupart du temps, une approche qui se fait à trois: le participant ou le travailleur, un mandant (l’ORP ou l’assistant social) et le professionnel de l’OSEO ou de La Thune; et enfin la nécessité d’accomplir un travail avec un participant afin de l’amener d’un point x à un point y, sachant qu’il fait lui le trajet.
Autre point commun méthodologique de base (mais à rappeler néanmoins): un constat (diagnostic) comme point de départ qui débouche sur un plan d’action; puis de l’action elle-même des résultats à évaluer, puis une nouvelle action. Cette base méthodologique (qui reprend la fameuse roue de Deming: plan+do+check+act) est indispensable si l’on veut favoriser une amélioration de la situation des personnes. C’est dans ce cadre que l’on peut trouver les leviers qui font avancer une personne, et les obstacles qui empêchent une progression.
Notre pratique professionnelle nous démontre qu’il est indispensable que le professionnel de l’action sociale et le participant/travailleur (termes préférés à ceux de clients ou usagers) s’écoutent et s’entendent. Évidence certes, mais à rappeler. Un deuxième obstacle récurrent à une amélioration de la situation peut être le déni de la personne quant à ses difficultés ou quant aux causes de ses difficultés. Troisièmement, le manque de confiance envers le professionnel brouille la relation. Enfin, la certitude d’être «un cas à part» empêche aussi souvent d’avancer vers une solution.
Pour cheminer sur la voie de la guérison, il faut donc que des conditions extérieures à la personne et inhérentes à elle-même soient réunies. Elles conditionnent son adhésion au processus de réinsertion, et par là permettent une réhabilitation ou une insertion. On peut procéder à une analyse SWOT 1) afin de classifier ces éléments, ce que l’on fait ci-dessous.
Les éléments exogènes, ou ne dépendant pas de l’individu, peuvent être classifiés en facilitateurs et en empêcheurs.
Au niveau des facilitateurs (ou opportunités):
Les menaces du contexte, ou les éléments qui empêchent une bonne adhésion au processus, sont les éléments cités ci-dessus, mais en négatif ou absents. On peut citer:
Ces éléments forment la trame externe au participant. Ils forment le terreau sur lequel une adhésion à un processus de changement visant une guérison ou une réhabilitation peut se réaliser. Dans la gestion du personnel, il est impossible de motiver quelqu’un à sa place (tout au plus peut-on mettre en place les conditions de la motivation). De même avec les travailleurs/participants, il faut s’assurer que ces éléments facilitateurs soient présents. Ensuite, d’autres éléments internes à la personne interviennent.
Au niveau des facteurs internes, on peut aussi citer des éléments en positif:
Le listing quelque peu brut des éléments exogènes et endogènes facilitant ou empêchant l’adhésion à un processus de changement ne donne qu’une idée du paysage général dans lequel un individu se trouve. Il ne dit encore rien sur ce qui se passe vraiment, et pourquoi Madame Z arrive à s’en sortir et Monsieur Y pas. S’il existait une réponse simple et univoque sur pourquoi précisément Madame Z y arrive et pas Monsieur Y, c’est que la question était mal posée… En effet, nous devons accepter cette part d’ombre (liberté individuelle, hasard, passé?) qui nous échappe et provoque cette incertitude, qui rend notre petit savoir à d’improbables recettes. Notre pratique nous enseigne que des éléments doivent si possible être présents pour se donner le maximum de chances d’arriver à une insertion que l’on peut assimiler à une guérison. Elle ne nous renseigne guère sur ce qu’il faut entreprendre a priori avec telle ou telle catégorie de participants. Ces best practices méritent d’être rappelées car, le nez dans le guidon, on oublie souvent ces quelques principes de base.
Le processus de réinsertion ne peut finalement pas se résumer à une guérison ou au passage d’un état de maladie à celui d’une santé (re)trouvée. Cela serait trop individualiser un phénomène économique, comme le chômage tel que le connaît notre pays. Comme analystes de la réalité socio-économique nous savons bien que notre économie a perdu des centaines de milliers d’emplois et que les participants de l’OSEO ou que certains travailleurs de la Thune Sàrl sont des victimes d’une économie qui exclut de plus en plus les personnes peu qualifiées, plus âgées ou considérées comme insuffisamment productives. Comme praticiens de la réinsertion cependant, nous ne pouvons que constater que de nombreux individus, considérés comme condamnés sans rémission, ont réussi à trouver un projet personnel qui les motive ou une place de travail donnant indépendance financière et dignité.