octobre 2003
Christine Davidson ; Philippe Maso (Fondation Phénix)
Le rétablissement est défini dans le dictionnaire comme «l’action de se tirer d’affaire adroitement et rapidement». C’est, bien sûr, un idéal que tant la personne dépendante que son entourage souhaitent atteindre. Or, si les outils dont nous disposons actuellement pour le traitement des dépendances permettent de répondre au critère «d’adroitement», ils ne peuvent malheureusement pas assurer la rapidité dont chacun souhaiterait pouvoir disposer. Changer, en effet, demande du temps. De plus, pour que le changement s’opère avec succès, il doit suivre un rythme et une séquence bien définis. Chaque personne a son propre tempo et souvent les échecs sont dus à la méconnaissance de cette donnée et au manque de compétences pour accompagner chacune des étapes de la transformation. A travers cet article, nous allons vous faire part de l’évolution accomplie au cours de 15 années d’expérience du traitement des personnes dépendantes.
Nous le savons, pour changer un comportement, il faut d’abord l’identifier comme problématique, avoir envie de s’en préoccuper, accepter de s’en défaire, trouver les bonnes stratégies pour mener à bien ce changement et le remplacer ou compenser ce qu’il apportait de positif.
Il faut aussi savoir faire face au découragement qui rapidement s’installe, tant chez la personne dépendante que dans son réseau. Passée l’euphorie de début, tout le monde réalise que l’arrêt de consommation de ou des substances qui posaient problème ne suffit la plupart du temps pas en soi à résoudre le mal-être persistant. La reprise de la consommation est alors très fréquente, aboutissant le plus souvent à des ruptures tant relationnelles que thérapeutiques.
Ces vingt dernières années, la palette des approches thérapeutiques pour les dépendances s’est enrichie de nouveaux outils, le modèle cognitivo-comportemental et les nouveaux traitements médicamenteux notamment. Les nouvelles formes de psychothérapies mettent l’accent sur l’apprentissage de stratégies pour faire face aux difficultés classiquement rencontrées, tant dans la préparation à l’abstinence que suite au sevrage de substances.
Etant donné la difficulté, l’hétérogénéité et la gravité de ce type de pathologie, disposer d’un arsenal thérapeutique avec la possibilité d’utiliser plusieurs stratégies de soins différentes est incontestablement un enrichissement. Il serait totalement incompréhensible, aussi bien pour les personnes directement concernées que pour leur entourage, de ne pas offrir tous les outils dont nous disposons actuellement. Les approches cognitivo-comportementales ont, en plus, un autre avantage de taille: elles répondent mieux à la deuxième partie de la définition du rétablissement: la rapidité. En effet, l’intervenant est plus actif, il est plus impliqué dans l’intervention. Il devient un «coach» pour la personne dépendante. Ceci a également pour effet d’améliorer et de consolider la relation et ce lien est un élément primordial pour la durée.
Les différentes modalités d’intervention se complètent et augmentent l’efficacité du traitement. La séquence de leur utilisation doit suivre un ordre logique et adapté à la personne. Le modèle proposé fait part de l’expérience de l’utilisation des différents modes d’intervention et de leurs combinaisons de manière séquentielle en fonction de l’évolution du parcours de la personne. Cette manière de les utiliser et l’articulation entre eux augmente de façon considérable le rétablissement et la qualité de vie des gens souffrant de dépendances. Et, surtout, leur apprentissage et leur utilisation sont à la portée de n’importe quel intervenant de santé. On sort donc du modèle médical classique pour une approche médico-bio-psycho-sociale qui regroupe différents intervenants qui vont constituer le réseau essentiel au rétablissement.
L’approche des addictions a énormément bénéficié du travail motivationnel qui peut être fait en fonction des étapes de résolution de changement que traverse une personne. L’identification et la résolution d’un problème spécifique nous font traverser un certain nombre de phases psychologiques qui ont été décrites par deux canadiens, DiClemente et Prochaska en 1982. Elles sont connues sous le nom de stades de changement et sont au nombre de six: le stade de pré-contemplation, le stade de contemplation, le stade de détermination, le stade d’action, le stade de maintien d’action et le stade de rechute.
Ces différents stades constituent le modèle sur lequel s’appuie l’Entretien Motivationnel élaboré par Miller et Rollnick. Ces auteurs proposent d’adapter un mode d’intervention spécifique à chaque stade de changement. Ce modèle est un des modèles reconnus comme efficaces et de plus en plus utilisés dans le champ des addictions.
Au fil de l’expérience acquise au cours du traitement des problèmes de dépendances, nous en sommes venus à ajouter à l’entretien motivationnel d’autres stratégies thérapeutiques qui nous permettaient d’augmenter l’efficacité de nos interventions. Utilisant les stades de changement comme pierre angulaire de notre programme de soins, ils nous ont paru avoir nombre de similitudes avec les différentes étapes psychologiques qui caractérisent le processus de deuil tel qu’il a été décrit par Elisabeth Kubler-Ross. Le travail de deuil a été intégré au travail motivationnel.
Processus de deuil :
Cette approche a considérablement enrichi notre pratique. Nous étions en effet souvent limités en utilisant le modèle motivationnel seul. Il ne permettait pas assez de prendre en compte la dimension émotionnelle liée au changement et au renoncement. De plus, nous avons remarqué que l’expression et la gestion d’un niveau émotionnel adéquat orientent et prédisposent un changement durable et vécu sereinement. Nous avons donc ajouté à la panoplie d’interventions d’autres stratégies, pour la plupart issues des approches cognitivo-comportementales et pas classiquement utilisées pour les addictions. Ainsi, la gestion des émotions et l’affirmation de soi permettent d’offrir des outils qui, s’ils sont proposés et utilisés au moment opportun, permettent à une personne dépendante d’avoir des possibilités de réponse supplémentaires et ainsi de consolider le rétablissement et la motivation.
L’articulation entre ces différents instruments est exposée à travers le modèle transformationnel. Il a également l’avantage d’offrir des étapes supplémentaires au stade d’action et de maintien d’action.
Ce modèle permet, à partir de données collectives, de s’adapter à l’individu et c’est ce qui en fait tout l’intérêt. A chacune des étapes du changement et en lien avec l’acceptation nécessaire que ce changement va supposer, correspond un outil thérapeutique spécifique.
Il s’articule selon le schéma suivant:
Il s’agira donc, aussi bien pour l’intervenant que pour la personne dépendante, d’acquérir des outils leur permettant d’adapter leurs stratégies aux situations rencontrées et ainsi améliorer leur efficacité. On peut considérer les thérapies disponibles comme des outils. Ce dont dispose à la fois le patient et le soignant, c’est d’une «caisse à outils» qu’ils remplissent des stratégies utiles. Non seulement il faudra employer l’outil le plus adapté à la problématique rencontrée, mais également en augmenter l’efficacité. En effet, souvent les stratégies disponibles ne sont utilisées qu’à un faible pourcentage de leur potentiel.
De son côté, le soignant pourra acquérir l’expertise et la souplesse nécessaires pour mettre en œuvre ces différentes stratégies. Il les adaptera en fonction de son évaluation, de l’évolution ou du blocage du processus de changement dans lequel se trouve la personne qui demande de l’aide.
Tout ce travail ne peut se faire que si le lien entre la personne qui veut ou doit changer et l’intervenant qui va l’accompagner est bien établi. Il va, en effet, être le fil rouge et la mémoire du travail qui s’accomplit. Il va être le référent vers lequel va spontanément se tourner le patient en cas de besoin. Ce référent ne sera pas nécessairement un médecin. Ce sera tout intervenant que le patient identifiera comme personne-ressource principale.
En adaptant les différentes stratégies au changement, «le modèle de soins transformationnel» (voir tableau) est composé de 4 phases/concepts:
La plupart de ces outils sont connus des intervenants. L’efficacité des stratégies de prévention de rechute sera augmentée si la personne peut se situer et travailler le deuil du produit. Une approche à travers la résilience apportera des possibilités de consolider le changement en généralisant l’utilisation des différentes tactiques.
Alors qu’il commence à y avoir un consensus sur les approches efficaces pour les addictions, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’indication à une approche résidentielle, hospitalière ou ambulatoire. De nombreuses études ont été consacrées à ce sujet. Notre expérience clinique est concordante à ce qu’O’Brien a dit en 1994: «Le facteur-clé d’un traitement achevé avec succès est l’engagement dans un programme ambulatoire long terme, que le traitement soit initié ou pas en hospitalier.» L’hospitalisation ou un séjour résidentiel peut être un des temps du traitement.
Nous sommes également d’avis, comme cela a été proposé par des groupes d’experts, que l’hospitalisation soit indiquée lorsque:
Un traitement résidentiel long terme est, quant à lui, souhaitable quand il y a rechutes après l’hospitalisation ou un déni important de la problématique.
Ces recommandations mettent en lumière le fait qu’un séjour plein-temps n’est indiqué, en général, qu’après essai d’une approche ambulatoire. Il serait aussi souhaitable de bannir du vocabulaire des addictions le terme de «cure» qui conduit souvent la personne concernée et son entourage à penser qu’au terme de ce séjour, elle sera guérie et donc que le suivi ambulatoire est superflu. Il ne peut, de plus, pas donner la dimension de maladie chronique qu’est une dépendance.
Longtemps, seule l’abstinence était prise en compte dans le rétablissement. A nouveau, les recommandations des experts soulignent que l’on ne peut anticiper si un individu pourra retourner ou non à une consommation dite réduite. Avoir alors comme premier objectif l’abstinence constitue une sécurité pour un traitement réussi.
Néanmoins, il arrive souvent que la personne dépendante n’ait pas du tout ce même objectif d’abstinence. Il est important alors de pouvoir travailler sur un projet commun dans lequel les désirs du principal intéressé soient pris en compte. Les stratégies de réduction des risques sont alors des alternatives qui permettent un changement en douceur et préparent souvent la rupture avec le produit. L’abstinence qui est le but principal dans un premier temps doit rapidement devenir un moyen grâce auquel la personne pourra atteindre un objectif de vie en «promouvant le bien-être physique, psychologique et social d’un individu». L’expérience d’une telle offre de soins a montré toute son efficacité dans le rapport collaboratif entre la personne dépendante et son réseau qui est indispensable au traitement réussi de ce type de problème.
En conclusion, nous disposons actuellement de clés d’intervention efficaces, d’une idée plus précise quant à leur séquence d’utilisation pour en optimaliser l’impact, de données scientifiques sur les mécanismes neurobiologiques des addictions et de recommandations qui permettent de mieux orienter les personnes vers des soins hospitaliers, résidentiels ou ambulatoires. Les progrès récents dans les approches médicamenteuses de ces maladies complètent l’arsenal thérapeutique. Nous sommes donc proches de pouvoir répondre à la définition du terme «rétablissement».