décembre 2004
Jean-Daniel Barman (LVT)
La Ligue valaisanne contre les toxicomanies (LVT), qui fête cette année ses 50 ans d’activités, s’est vue confier par le Département de la santé publique, début 1997, un mandat de prestation pour réaliser les objectifs généraux de prévention globale des toxicomanies dans le canton. Cette convention de collaboration découle de l’Ordonnance sur les toxicomanies de 1996, elle-même issue de la Loi sur la santé du 9 février 1996. Le Valais est ainsi l’un des seuls cantons suisses à disposer d’une association faîtière appelée à gérer les problèmes liés aussi bien à l’alcool qu’aux drogues illégales, aux trois niveaux de la prévention, avec des prestations dans les champs ambulatoires et résidentiels.
Le décloisonnement drogue – alcool est effectif depuis plus de dix ans. La LVT offre également des réponses aux questions posées par les nouvelles formes d’addictions dont le jeu pathologique. Les Centres ambulatoires d’aide et de prévention (CAP) sont présents à Monthey, Martigny, Sion, Sierre et Brigue. Ils collaborent étroitement avec les Foyers Villa Flora, Via Gampel, Rives du Rhône et François-Xavier Bagnoud constituant le secteur résidentiel de la LVT.
Les différents services de la LVT accompagnent quelque 1600 personnes par année. Dans les services ambulatoires, le réseau médical psychiatrique a participé à 10,5% des nouvelles admissions, respectivement 7,5% par les Hôpitaux (Malévoz et PZO) et environ 3% par les médecins psychiatres privés et les services ambulatoires des Institutions psychiatriques du Valais romand (IPVR). Dans les institutions résidentielles, la psychiatrie est à l’origine de 13,2% des admissions, soit 5,3% par les Hôpitaux et 7,9% par les médecins psychiatres.
Dans les services ambulatoires, 15,2% des personnes admises indiquent être suivies par un médecin psychiatre. Elles représentent 19,3% lors d’admission dans les institutions résidentielles. En 2003, 214 personnes évaluées au moyen de l’Indice de Gravité d’une Toxicomanie (IGT) dans un centre ambulatoire et 96 à l’entrée dans un foyer résidentiel de la LVT ont fourni des informations sur leur expérience de traitement pour des troubles psychologiques ou émotionnels. En ambulatoire, 59,8% des personnes ont indiqué avoir été traitées pour de tels problèmes contre 61,1% dans les institutions résidentielles. Cela montre clairement la présence de nombreux doubles diagnostics parmi les personnes toxicodépendantes.
Autre illustration significative de cette tendance, la répartition des diagnostics principaux, pour les Hôpitaux de Malévoz et du PZO, de 2000 à 2002, révèle un taux moyen proche de 18% de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives. La forte représentation de cette population en milieu psychiatrique et l’augmentation des problèmes de comorbidité parmi la clientèle LVT ont, entre autres, motivé la direction de l’Hôpital de Malévoz et des CAP à signer, en octobre 2001, une convention actualisée régissant leur collaboration.
Le seul Hôpital de Malévoz a signalé pas moins de 218 situations (deux tiers alcool et un tiers drogues) d’octobre 2002 à octobre 2003. 56% d’entre elles concernaient des personnes déjà connues de la LVT, souvent associée aux démarches précédant la demande d’hospitalisation. Le nombre de signalements est en constante augmentation depuis cinq ans ce qui a incité les CAP a tenir une permanence hebdomadaire au sein de l’Hôpital psychiatrique. Le référent assure un rôle de liaison entre Malévoz et la LVT. Le lien étroit entre ambulatoire et résidentiel LVT facilite ensuite l’orientation de la personne signalée vers un secteur plutôt qu’un autre sans multiplier les interlocuteurs.
Les objectifs prioritaires de la convention de collaboration visent à permettre une vision bio-psycho-sociale du patient hospitalisé en favorisant la prise en compte simultanée des dimensions psychiatriques et addictives; proposer des approches thérapeutiques adaptées au patient et à son environnement; assurer un suivi cohérent du patient en favorisant une coordination et une continuité de l’intervention après l’hospitalisation.
Un objectif de grande valeur, bien que perçu comme secondaire, tend à promouvoir la formation et la sensibilisation réciproque des intervenants médico-sociaux aux problématiques psychiatriques et addictives. Dans le secteur résidentiel, la collaboration avec les IPVR par l’intervention régulière et soutenue d’un psychiatre d’un de ses services de consultation est particulièrement efficiente à Villa Flora. Elle est également fructueuse entre le PZO (Psychiatrie Zentrum Oberwallis) et le Via Gampel. La présence de psychiatres de liaison dans les Hôpitaux de soins généraux facilite grandement l’indispensable communication entre les différents acteurs du réseau.
Pour une majorité de situations, le cadre défini conjointement ne pose aucun problème. Il optimise la collaboration entre les deux partenaires. Le patient devrait être le principal bénéficiaire de cette amélioration. La convention n’a pourtant pas solutionné tous les problèmes. Tant s’en faut.
Bien des patients manifestant des troubles mentaux et du comportement liés à la consommation de substances psychoactives sont hospitalisés en urgence. Une fois leur état clinique stabilisé, ils devraient pouvoir être orientés vers des centres résidentiels spécialisés.
Or ces derniers se caractérisent fréquemment par un taux d’occupation maximum. L’offre de haut seuil n’est par ailleurs pas toujours adaptée aux réels besoins, voire aux ressources, de la personne. Le manque de motivation du patient constitue également un frein important face à une possibilité de postcure. Aussi, de plus en plus de patients restent-ils à l’Hôpital plus que nécessaire faute d’autre possibilité de placement. Il peut aussi s’en suivre une rupture brutale, aussitôt la situation d’urgence retombée, sans qu’un dispositif de soutien n’ait pu être mis en place ambulatoirement.
C’est le cas, notamment, de patients présentant un double diagnostic en admission non-volontaire, principalement dans les cas de privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA).
L’absence d’établissement approprié au sens du législateur a été maintes fois relevée par les différents acteurs du réseau dont les tuteurs officiels. A défaut d’autres alternatives acceptables, l’Hôpital psychiatrique porte généralement tout le poids des PLAFA. Cette thématique a été traitée par Pro Mente Sana, dans sa lettre trimestrielle de mars 2003. Il y est question de conte et mécomptes de la répression ordinaire.
Vu les nombreuses interpellations enregistrées, le Département de la Santé, des Affaires Sociales et de l’Energie (DSSE) a créé, fin 2001, un groupe de travail interdisciplinaire chargé de se prononcer sur les questions d’interprétation et d’application des dispositions légales en matière de PLAFA. Ce dernier s’est rapidement trouvé confronté à un débat entre juristes, au point que le Conseil d’Etat valaisan sollicite une expertise juridique de la part de deux professeurs d’Université. Sans entrer dans la confidentialité de leur rapport, il est intéressant de noter qu’ils partagent l’avis général du groupe de travail selon lequel une voie concordataire au niveau romand représenterait une issue possible dès lors que cette problématique n’est pas propre au Valais. Il paraîtrait en effet judicieux de favoriser la mise en commun des faibles ressources cantonales pour offrir enfin aux autorités tutélaires une réponse appropriée.
Face aux difficultés rencontrées, le Service de l’action sociale du DSSE a donné suite à une décision de la Commission cantonale consultative de lutte contre les toxicomanies de mandater un groupe de pilotage appelé à évaluer les besoins dans le domaine résidentiel valaisan pour personnes toxicodépendantes.
L’analyse a surtout porté sur les cas difficiles que l’on se renvoie d’une institution à l’autre. Dans ce contexte, il est régulièrement question de PLAFA, de comorbidités lourdes, de comportements violents supposant une surveillance accrue, voire de situations pouvant découler de la problématique associée, consommation de psychotropes et troubles psychiatriques. Selon une première estimation, une quinzaine de cas de ce type se présenterait chaque année. Le groupe de pilotage a rapidement envisagé la création d’un centre d’indication valaisan pour les personnes toxicodépendantes piloté par le service de l’action sociale. Cette proposition a été approuvée par le Chef du DSSE, fin 2003.
Le centre d’indication tient à jour, chaque semaine, l’inventaire des places disponibles dans les institutions spécialisées du canton. Lors de placements ordinaires, les modalités sont réglées directement entre l’institution et le service placeur. Le placement devient problématique lorsque le centre résidentiel retenu ne dispose pas de place ou que la nature et la complexité des problèmes présentés par la personne candidate au placement dépassent les capacités de l’institution. Comme déjà évoqué, le placement en situation d’urgence à caractère social, par exemple au terme d’une hospitalisation, pose souvent de gros problèmes. Peut aussi se présenter la nécessité de transférer une personne d’une institution du réseau à une autre. C’est le cas lorsque le centre d’accueil ne correspond pas ou plus à la problématique dominante du résident; lorsque le résident est en conflit avec le personnel ou les autres pensionnaires ou encore lorsque le résident traverse une période de crise, avec fortes turbulences, qui nécessite une adaptation des prestations et du cadre d’hébergement.
En dehors des placements qualifiés d’ordinaires, de loin les plus nombreux, le secrétariat du centre d’indication peut être interpellé. Il met rapidement en interaction les différentes institutions disposant de places libres. L’échange peut se faire directement par courrier électronique. Au besoin, une rencontre est organisée avec les représentants des institutions et du service placeur. Lorsqu’une solution adéquate est trouvée, le secrétariat du centre d’indication met à jour la base de données et transmet les informations aux membres concernés du réseau.
Force est de reconnaître que le centre d’indication n’a pas eu, pour l’heure, les effets escomptés. Est-il peu sollicité par manque de problèmes complexes? Cela tiendrait du miracle! A-t-il d’entrée révélé les limites du dispositif? C’est plausible. Mais pourrait-il en être autrement au vu de l’offre de qualité très spécialisée des centres résidentiels et de leur taux d’occupation très élevé?
Il manque, c’est certain, des paliers intermédiaires plus faciles d’accès. Pas plus qu’un autre canton, le Valais ne peut envisager d’augmenter son offre résidentielle en créant de nouvelles structures. La conjoncture ne s’y prête guère. Aura-t-il cependant le courage de reconsidérer l’adéquation de ses réponses aux besoins identifiés en matière de thérapies résidentielles des dépendances? A nouvelles exigences, nouveaux défis!