décembre 2004
Ambros Uchtenhagen
Pour donner à un traitement le maximum de chances de succès, il ne faut pas seulement de bons thérapeutes aux connaissances nécessaires et une infrastructure suffisante. Chaque cas individuel nécessite aussi une clarification dépassant la simple pose d’un diagnostic, clarification dont les points principaux sont la situation de vie du patient, ses problématiques, sa biographie antérieure, son potentiel personnel, ses besoins en conseil et en traitement, son aptitude à changer quelque chose et à prendre sur soi. Ignorer des éléments importants – tels qu’une polytoxicomanie, une comorbidité, une pathologie relationnelle, une situation spécifique de surmenage ou une situation conflictuelle à l’arrière-plan du comportement dépendant – réduit les chances de succès.
Il faut de plus une bonne connaissance des différentes thérapies disponibles et de leurs indications respectives ainsi que des institutions spécialisées de la région et de leur efficience pour pouvoir évaluer où le traitement a le plus de chances d’aboutir dans tel ou tel cas.
Poser une indication suppose d’effectuer concrètement ce processus de clarification dans chaque cas. Cela sert à optimaliser les chances de succès du plan thérapeutique choisi et permet de procurer aux personnes concernées un traitement approprié à chacun.
Fournir un traitement ciblé n’est pas une idée nouvelle et fait l’objet d’une longue tradition dans le domaine de la thérapie des dépendances (McLellan 1983, Finney & Moos 1986). De multiples et nouvelles recherches dans ce domaine ont permis d’identifier toute une série de facteurs susceptibles de jouer un rôle important dans ce Matching, facteurs présentés ci-après.
Certains besoins spéciaux – en particulier ceux liés à des troubles psychiques tels que dépressions, états anxieux, troubles de la personnalité, troubles cérébraux et psychoses -doivent être pris en considération si l’on veut optimaliser la pérennité et le succès d’une thérapie. Plus on parvient à tenir compte des humeurs, des vulnérabilités et des besoins thérapeutiques du patient, meilleur sera le pronostic (UNODC 2002).
Les toxicomanes atteints de troubles psychiques nécessitent en général des programmes thérapeutiques plus structurés (p. ex. Gottheil et al 2002, Moggi et al 1999).
L’indication joue déjà un rôle important au moment de décider des objectifs thérapeutiques. Quel changement faut-il poursuivre? En premier? Sur quels axes faut-il travailler à moyen et long terme? Seront déterminants à cet égard d’une part les besoins et objectifs de la personne concernée mais aussi l’expérience du thérapeute: des ambitions irréalistes portent en elles le germe de l’échec. Dernièrement, le choix entre consommation contrôlée d’alcool d’une part et consommation nulle (abstinence) d’autre part a gagné en importance, avant tout depuis l’introduction d’interventions précoces et brèves ayant pour but de substituer à une consommation nocive des modes de consommation mieux contrôlés (Heather & Robertson 1983, Heather 1995).
Une bonne intégration sociale et l’absence d’une psychopathologie marquée sont tenues pour être la condition d’une consommation contrôlée; à défaut, il est recommandé de viser l’abstinence (Nordström & Berglund 1987).
L’éventail des méthodes et procédures à disposition est vaste, que ce soit dans le domaine des interventions psychosociales ou dans celui de la pharmacothérapie et d’autres thérapies biologiques. Le choix du traitement approprié peut certes s’appuyer en partie sur les résultats de la recherche, mais doit aussi tenir compte de ce qui est disponible.
Dans le domaine des interventions psychosociales, il convient de peser les avantages de l’aide professionnelle d’une part et de l’entraide organisée d’autre part. Les procédures empathiques, renforçant l’estime de soi et sa propre efficacité, sont opposées aux méthodes confrontatives, auxquelles s’ajoute l’aide offerte par diverses écoles psychothérapeutiques. La pose de l’indication a dès lors pour tâche de trouver dans quelle mesure une aide professionnelle est indispensable, si une approche confrontative peut tout simplement être supportée (ce qui n’est pas le cas pour de nombreux troubles psychiques), ou si une approche comportementaliste ou plutôt de résolution des conflits est indiquée. A l’heure actuelle, les procédures cognitivo-comportementalistes (UNODC 2002), sont considérées comme applicables tant aux personnes dépendantes que lors d’interventions précoces contre une consommation nocive.
Concernant les méthodes pharmacothérapeutiques, on parle avant tout des thérapies médicamenteuses des rechutes ainsi que des traitements de substitution en cas de dépendance aux opiacés et au tabac.
L’indication pour la prescription d’Acamprosat et de Naltrexone en tant que médication contre le craving ne faisant pour le moment pas l’objet de règles unanimes, il est simplement recommandé de les prescrire en cas de fort craving.
Les thérapies de substitution pour la dépendance aux opiacés se sont grandement diversifiées. Le choix du substitut adéquat (méthadone, buprénorphine, morphine, LAAM) dépend donc du spectre de leurs effets, de leurs effets secondaires, de leur disponibilité et de leur prix (Johnson et al. 2000, Kosten 2003, Krausz 2003).
Le traitement des dépendances ne se limite généralement pas à des mesures isolées. Les thérapies pharmacologiques peuvent voir leur efficacité accrue par des mesures d’accompagnement psychosociales, comme les psychothérapies peuvent bénéficier du soutien de médicaments, pour autant qu’ils soient indiqués. Poser une indication a donc aussi pour but de peser le pour et le contre des diverses mesures à disposition.
Les traitements ambulatoires présentent certains avantages par rapport aux thérapies résidentielles, coûts moindres, meilleure acceptation de la part des intéressés, plus grande flexibilité pour personnaliser le traitement. Aussi est-il important de savoir quand une thérapie résidentielle est tout de même préférable, les conditions suivantes constituant des indications largement acceptées (d’après Wetterling 1997):
On tentera néanmoins tout de même une thérapie ambulatoire – même en présence de conditions plutôt défavorables à sa réussite – quand il n’est pas possible d’obtenir une adhésion à un séjour résidentiel, qu’un poste de travail important est en jeu ou que le financement dudit séjour pose problème. On admet aujourd’hui de privilégier un traitement ambulatoire en présence de ressources personnelles et sociales suffisantes, et en l’absence de complications médicales qui rendraient nécessaire une thérapie résidentielle (UNODC 2002).
Les institutions et programmes thérapeutiques aussi posent des exigences à celles et ceux qui entendent recourir à leur aide. En font partie la capacité de participer activement au programme thérapeutique ainsi que la compliance à l’égard du cadre thérapeutique imposé. Quiconque ne remplit pas ces exigences ou refuse de souscrire à ces conditions-cadre ne sera pas admis.
Si des affections physiques ou psychiques concomitantes sont souvent causes de non-admission, un risque latent de suicide constitue généralement un motif d’exclusion, et cela d’abord pour protéger l’institution.
Il faut également tenir compte, en posant l’indication, de ce que la prise de décision peut être grandement influencée par des facteurs institutionnels tels que durée d’attente, accessibilité, possibilité de personnaliser le programme, discrétion d’accès, modes de financement. Si un délai d’attente de plusieurs semaines peut réduire à néant la motivation pour un traitement, d’autres facteurs peuvent constituer des obstacles pratiques importants ou paraître inacceptables aux intéressés. Dès lors, la réalisation de ce qui est souhaitable peut s’en trouver compliquée, voire même rendue impossible.
Les coûts croissants de la santé ont pour effet que la thérapie des dépendances doit aussi consentir à des économies, ce qui peut conduire à privilégier des traitements meilleur marché, indépendamment de leurs résultats. Une politique plus sensée consisterait pourtant à préférer – parmi des traitements obtenant les mêmes bons résultats – ceux qui sont le plus avantageux, tout en gardant à l’esprit que la même thérapie et la même intensité thérapeutique n’est pas indiquée pour tous.
Cela signifie que l’indication doit également prendre en considération, en plus des considérations professionnelles et institutionnelles, des aspects économiques. Cela étant, les données sur les coûts effectifs des différents types de traitements ne sont cependant pas encore suffisantes pour constituer une véritable aide à la décision, bien que cela soit indispensable pour convaincre les services payeurs de la valeur d’un traitement.
Le souci d’identifier et d’appliquer, pour chaque cas, le meilleur traitement possible se heurte à des obstacles d’importance.
Compte tenu du fait que de nombreux traitements aboutissent au résultat désiré et qu’aucun n’est supérieur à tous les autres (pour la thérapie de l’alcoolisme: Babor & Del Boca 2002, pour le traitement des toxicomanies: Gossop et al 2001), l’importance du «bon choix» ne devrait pas être surestimé. Il faut de surcroît reconnaître que les bases scientifiques d’une indication ciblée sont souvent insuffisantes.
A cela s’ajoutent les attentes et préférences subjectives des patients. Non seulement, celles-ci limitent les chances de les orienter vers une thérapie ne correspondant pas à leurs propres représentations, mais font aussi partie de leur motivation à suivre un traitement et constituent donc un facteur thérapeutique à ne pas sous-estimer. On a du reste pu montrer que le résultat thérapeutique est meilleur lorsque le choix du traitement est laissé à l’intéressé (après information approfondie et, cas échéant, certaines restrictions) (Heather 1995: 39).
L’acceptation du placement par l’institution thérapeutique représente un autre problème. Toutes les institutions ne sont pas enclines à reprendre une indication posée par des tiers et se réservent conséquemment de poser leur propre indication, laquelle tiendra aussi compte de leurs besoins et priorités institutionnels.
Enfin, les directives juridiques touchant les patients faisant l’objet de mesures judiciaires constituent encore un tout autre problème. Les tribunaux ont fréquemment leur propre idée du traitement indiqué dans un cas donné.
Comment faire de tout cela un ensemble cohérent? Peut-on poser une indication sur la base d’un schéma fondé sur la seule évidence scientifique? Il y a fort à douter que l’on obtienne ainsi les meilleurs résultats.
L’évidence scientifique et la prise en considération permanente de nouvelles découvertes sont une chose. Le savoir et l’expérience accumulés au contact des patients dépendants et des institutions en sont une autre. Il s’agit finalement toujours de peser – pour chaque cas particulier – tous les aspects et d’avoir l’art d’en tirer un plan thérapeutique consistant et convaincant, prenant en considération tant ce qui est souhaitable que ce qui est possible.
Conformément à la tendance en faveur de la protection des droits du patient et de l’abandon de décisions paternalistes et unilatérales dans le choix d’une thérapie, le processus d’indication se doit de tenir respectueusement compte des attentes subjectives des intéressés et de leur collaboration (Hämmig, sous presse).
Que ressort-il finalement de ce passage en revue des différents facteurs influant sur la pose de l’indication?
Vouloir identifier et offrir à la majorité des personnes concernées un traitement aussi approprié que possible implique de disposer d’offres thérapeutiques adéquates et suffisantes tant en nombre qu’en qualité. En découlent des exigences de qualité à l’égard des diverses institutions mais aussi des réseaux thérapeutiques. En l’absence de complémentarité raisonnable et de collaboration efficace des institutions entre elles, améliorer la pose de l’indication n’a en soi guère de sens.
Enfin, un Monitoring des besoins thérapeutiques existants et émergents fait tout autant partie des conditions de planification de la prise en charge qu’une évaluation du besoin global de soins.
L’indication thérapeutique constitue une partie exigeante du processus de clarification et de motivation qui s’apprend et exige aussi, compte tenu des constantes mutations de ses fondements, une formation ad hoc permanente.
Importance de l’indication
L’indication a autant de valeur que la thérapie sur laquelle on se met d’accord. Plus la motivation des intéressés à suivre un traitement est respectée en tant que facteur thérapeutique et plus sont appliquées des procédures favorisant cette motivation, plus il devient évident que la thérapie – quelle qu’elle soit – doit être considérée comme soutien d’un processus d’autorémission, comme aide à la capacité de s’aider soi-même (Deiters 1990). Cela correspond à la tendance, en matière de prévention des dépendances, d’accorder au moins autant d’importance aux facteurs de protection qu’aux facteurs de risque. C’est aussi la reconnaissance de ce que promouvoir, dans la thérapie, les compétences propres au patient est généralement plus profitable que de vouloir convaincre ou imposer un traitement. S’ensuit une question essentielle pour la pose de l’indication: comment, dans un cas donné, soutenir au mieux une tendance à guérir par soi-même, et comment éviter au mieux une tendance à se nuire à soi-même?
Finalement, il en ressort que la procédure d’indication doit être organisée de façon à satisfaire au mieux à sa mission et au processus décrit dont dépendra aussi le fait qu’une nouvelle réglementation de l’indication contribuera ou nuira au succès d’une thérapie.