avril 2023
Dr. Elisabeth Avril et Thomas Herquel par Camille Robert et Romain Bach (GREA)
Camille Robert : En France, les salles de consommation à moindres risques sont une politique plutôt récente. Pouvez-vous nous raconter l’ouverture de la salle de Paris?
Élisabeth Avril : Ça a été un long processus qui a duré presque 7 ans et qui a démarré d’une impulsion associative. C’est venu en 2009 de ASUD, l’association d’autosupport des usagères et usagers de drogues en France, où on se disait que ce serait intéressant de se lancer dans cette question, dont peu de monde osait parler. D’autant plus qu’on voyait beaucoup d’usagères et d’usagers autour de la Gare du Nord à qui on donnait du matériel d’injection et qui allaient s’injecter dans le quartier, dans des conditions déplorables, depuis des années.
Pour lancer le débat, on a décidé sur un coup de tête de monter une fausse salle de consommation dans les locaux d’ASUD. On a appelé des collègues suisses, les journalistes qu’on connaissait, et ça a fait un buzz médiatique. On a eu presque tous les gros médias français qui sont venus dans cette fausse salle et ils étaient fascinés. On a eu plein d’articles et on s’est dit qu’il fallait qu’on continue, qu’il y avait une ouverture. Donc on est allé déposer le premier projet de salle de consommation à moindre risque à la Direction générale de la santé. On s’est coordonné avec d’autres associations, avec la Fédération Addiction, on a pris notre bâton de pèlerin et on est allé voir des hommes et des femmes politiques. Ça nous a pris beaucoup de temps, beaucoup de soirées, on voyait le gouffre entre les politiques et ce qu’on faisait nous, mais on s’est bien marré.
Camille Robert : Ça a demandé de savoir mener une action « coup de poing », monter une fausse salle de consommation, parler aux médias, contacter les bon·ne·s politicien·ne·s. C’est du vrai travail politique!
Élisabeth Avril : Oui, et accepter de donner de son temps aussi, c’est vrai que j’ai passé un grand nombre de soirées dans cette affaire. Et puis il y a eu la Fédération Addiction, Médecins du Monde, l’INSERM qui sont entrés dans la danse et tout ça est monté crescendo. On est ensuite allé voir le Premier Ministre de l’époque, François Fillon, qui nous a reçus et qui nous a dit que cette histoire de salle de consommation n’était ni utile ni souhaitable. Donc ça a un peu freiné l’affaire, mais néanmoins la mayonnaise avait déjà pris. Quand le gouvernement Hollande est arrivé, on a repris les discussions. Il y a eu une nouvelle loi de santé publique, puis on a cherché un lieu pour ouvrir la salle. Le maire du 10e nous a beaucoup soutenus. Et maintenant, ça fait six ans que la salle existe. On espérait que d’autres dispositifs ouvrent en Île-de-France, parce que celui-ci est vraiment insuffisant pour absorber le nombre d’usagères et d’usagers, mais malheureusement ce n’est pas le cas.
Camille Robert : Et en Suisse, est-ce qu’on peut dire qu’en comparaison, la création de ce type d’espace, c’est beaucoup plus facile?
Thomas Herquel : Non je ne pense pas, ce sont des thématiques qui sont toujours hautement émotionnelles. Historiquement, l’enjeu est apparu pendant les « années SIDA », et le fait que c’est devenu une politique de santé a aidé à avoir une forme de consensus entre les politicien·ne·s de gauche et de droite. Il y avait les images du Letten 1 qui ont agi comme une sorte de repoussoir et on a voulu que ces gens soient en intérieur et en sécurité. Et puis en Suisse, avec le mécanisme des votations populaires, il y a un énorme travail d’argumentation auprès du voisinage et de la population à faire : on l’a vu à Lausanne notamment, où la population a dit non plusieurs fois au projet de salle.
Néanmoins, malgré ce contexte, on voit qu’à l’origine, Quai 9 a été pensé comme une structure provisoire. Les personnes qui ont ouvert la salle savaient que du jour au lendemain, la politique pouvait dire stop, au revoir et merci, et que tout le monde serait licencié. Et ça se ressent encore aujourd’hui : on a 20 ans de recul avec Quai 9, mais on voit que sa structure, son organisation, son bâtiment, tout a été fait pour être provisoire. Maintenant on a un gros travail à faire pour essayer de récupérer un immeuble qui ne se biodégrade pas tout seul et pour avoir des conditions salariales qui permettent aux collaboratrices et collaborateurs de faire carrière dans l’association.
Camille Robert : Il faut donc savoir convaincre des politicien·ne·s, mais aussi le voisinage ou encore la police. Comment fait-on pour convaincre tout ce monde de l’utilité des salles de consommation à moindre risque?
Thomas Herquel : Je pense qu’il faut attaquer par en haut et par en bas, essayer d’avoir de bonnes relations au niveau institutionnel, avec les chef·fe·s de police, et aussi avec les personnes de terrain. Il faut participer à leur formation, qu’ils puissent voir l’intérieur de la salle et comprendre ce qu’on y fait. Et c’est un travail presque quotidien. Par exemple, dans le quartier il y a deux inspecteurs avec qui on s’entend très bien, à qui on fait attention et qu’on voit régulièrement. Ça facilite les choses parce qu’après eux parlent avec leurs collègues. Donc il faut prendre soin des élu·e·s, des voisin·e·s et des policières et policiers.
Romain Bach : Est-ce qu’entre les différentes salles de consommation, il y a des rencontres, des échanges, une forme d’entraide?
Thomas Herquel : C’est vrai qu’on est un petit monde et qu’on se serre pas mal les coudes. On est toujours tellement content quand il y a d’autres salles qui s’ouvrent parce qu’il n’y en a quand même pas des masses. On va à Lausanne, à Paris, à Marseille, à Strasbourg et on reçoit aussi des collègues chez nous. Par exemple, en ce moment on essaie d’ouvrir des sleep in et pour le coup, on va regarder du côté de la France qui a 20 ans d’avance sur nous. Les échanges se font à tous les niveaux et c’est très important parce qu’on est peu nombreux à faire ça.
Élisabeth Avril : On a créé un petit réseau francophone autour des salles de consommation et c’est toujours intéressant d’échanger et de se sentir moins seul. Au démarrage, on s’est beaucoup appuyé sur Quai 9 et Jakob Huber, qui est venu avec toute son équipe à Paris. Ça nous donnait de l’espoir, de nous dire que c’était possible, et les échanges de pratiques étaient très utiles, parce que c’est aussi un travail particulier. Même si on travaille depuis 30 ans dans la réduction des risques, la salle, c’est quand même autre chose. Surtout en France, où c’est vraiment compliqué.
Nous, on a créé un « Platzspitz » récemment, Porte de la Villette, et on va à l’envers de l’histoire. La mairie de Pantin nous soutient, la police aussi. Je pense que les policières et policiers seraient les moins difficiles à convaincre, eux nous disent qu’il faudrait ouvrir des salles de consommation pour tous ces gens! Mais pour la justice et la politique, la base, c’est toujours la guerre à la drogue. On le voit aussi avec l’explosion des réseaux sociaux. Il suffit de quelques personnes pour semer la zizanie. Certains nous accusent sur leur chaîne YouTube d’être financés par les narcotrafiquants et empêchent tout dialogue. Quand la mairie de Pantin organise une réunion avec nous, ils doivent appeler la police pour empêcher des personnes complotistes et xénophobes de faire irruption.
Camille Robert : Est-ce qu’on connait ce type de problèmes à Genève?
Thomas Herquel : Nous, ça fait 20 ans qu’on fait partie du paysage, mais je ne pense pas qu’on soit spécialement protégé. Avec l’arrivée du crack à Genève, la scène fait de nouveau un peu peur. Et puis on doit déménager dans les prochaines années, à cause du chantier de la gare, et là on voit que dès qu’un emplacement est proposé, il y a une levée de boucliers des riverains, des écoles, de tout le monde. Il y a des articles de journaux qui disent qu’on va envahir un quartier et amener de la drogue.
Tant que c’est calme, ça va. Mais dès qu’il y a du nouveau et que tu veux faire bouger les choses, d’un coup tu retournes sur la place publique. C’est aussi quelque chose de cyclique : cette année, on est à nouveau en période d’élections à Genève, et il y a toujours un opposant qui a une idée flamboyante sur ce qu’il faut qu’on arrête de faire, ce qu’il faut qu’on change ou sur où on devrait aller.
Camille Robert : Tout à l’heure, vous disiez que même si on a l’habitude de travailler dans la réduction des risques, la salle de consommation est quand même différente. Comment fait-on pour motiver ses équipes? Pour travailler dans ce type de structure, faut-il nécessairement être engagé et militant?
Élisabeth Avril : La réduction des risques demande déjà un certain engagement. Quand on a commencé dans les années 1990 en France, on nous appelait militants, ce qui me faisait bizarre parce que je suis médecin : je me disais qu’il y avait des gens qui avaient besoin de soins, alors donnons-leur des soins.
Cette salle de consommation, ça devait être une expérience pendant six ans. Au bout des six ans et en l’absence de stratégie, l’État a prolongé l’expérience pour trois ans, ce qui veut dire que dans trois ans on peut nous dire que c’est fini, plus de salle. Vous êtes tous licenciés. Et puis il y a des opposantes qui nous filment quand on est dans la rue, quand on fait des maraudes, et qui postent leurs vidéos sur les réseaux sociaux et nous insultent. Il faut être irréprochable. Pas très agréable, donc, quand on travaille dans ces conditions-là. Et puis il faut s’investir autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, c’est-à-dire que si des riverains viennent nous voir, il faut répondre à leurs demandes. Si un usager s’injecte devant la salle, il faut s’en occuper. Pour certaines collègues, c’est un changement important, parce qu’avant elles et ils travaillaient dans des centres où on s’occupe de l’intérieur, on ne s’occupe pas de ce qu’il se passe sur le trottoir ou dans la rue d’à côté.
Il y a aussi un sacré travail de sape qui est fait par les médias, la littérature et le cinéma sur l’image des usagères et usagers de drogues comme des personnes dangereuses, méchantes et prêtes à tout pour leur dose. Et c’est quand même bien imprimé dans l’esprit des gens. Donc je pense que oui, pour aller dans une salle et y travailler à plein temps, il faut un engagement. Chez nous ça commence à se stabiliser, mais au début on avait beaucoup de turnover. On se disait qu’avec le temps, on rentrerait dans une sorte de routine, mais la politique qui est menée souffle un vent contraire. On a un Ministre de l’Intérieur qui repart à la guerre à la drogue et qui s’exprime largement là-dessus, qui s’exprime contre l’idée de la salle elle-même, en disant « la drogue, ça ne s’accompagne pas, ça se combat ».
Thomas Herquel : Je pense que c’est un travail qui est spécial, déjà par le fait d’être en contact avec les plus précaires. C’est effectivement assez usant s’il n’y a pas une forme d’engagement solide. Sans cela, les employé·e·s ne durent pas, parce que pour le même salaire à Genève, voire supérieur, tu peux travailler avec des gens qui vont moins mal. Et si on veut rester à jour avec les besoins des usagères et des usagers, il faut qu’on ait des gens sur le terrain, qui soient militantes et militants. Ça bouge tout le temps, il y a de nouvelles pratiques, de nouvelles personnes, de nouvelles choses. On a donc besoin de professionnel·le·s qui soient à la fois compétent·e·s, mais aussi intéressé·e·s et militant·e·s sur ces questions-là. Et qu’elles et ils puissent faire des plaidoyers ailleurs. Pour moi c’est très important que n’importe lequel de mes collègues de Première Ligne puisse aller défendre l’association dans sa globalité et ce qu’on fait, en Suisse ou à l’étranger, de se sentir partie prenante, parce que comme ça a été dit, ce n’est pas un travail qui s’arrête à la porte. Après, c’est chacun son cahier des charges. Moi je fais beaucoup ça et très peu d’accompagnement, et mes collègues font beaucoup d’accompagnement et un peu moins de plaidoyer. Mais je pense que tout le monde doit avoir cette capacité-là et que c’est aussi ce qui fait que le travail est intéressant. Alors oui, au niveau des places d’infirmières, infirmiers ou de travail social, on est un peu en dessous en termes de conditions salariales, mais je pense que quelque part, c’est compensé par cette envie de s’investir pour la dignité des plus précaires.
Camille Robert : Et comment se passe le recrutement de nouvelles personnes?
Élisabeth Avril : En France, il y a une crise du personnel soignant, on manque terriblement de médecins, d’infirmières et d’infirmiers. On a traversé le désert, mais comme on n’a pas la possibilité d’ouvrir sans personnel infirmier, on a obtenu un financement pour avoir recours à des intérimaires. Pour que les gens restent, on insiste beaucoup sur la formation en interne, aussi pour les travailleuses et travailleurs sociaux. On propose régulièrement des formations sur des sujets assez divers, mais qui tournent autour de la réduction des risques, du soin et de la santé mentale. Je pense que c’est intéressant et rassurant pour les professionnel·le·s qui ne connaissent pas forcément la réduction des risques et qui arrivent dans le milieu.
On travaille aussi beaucoup sur l’idée d’engager des usagères et des usagers. Certains viennent nous voir avec l’envie de travailler, donc on les embauche non pas comme des paires, mais comme des salarié·e·s. L’association Gaïa compte presque 80 collaboratrices et collaborateurs et 14% de personnes environ sont issues de l’expérience. Le travail à la salle devient beaucoup plus intéressant pour tout le monde, y compris pour les personnes diplômées. Pour ça, on a dû changer la loi, parce qu’un « ex-usager » ne pouvait pas entrer dans la salle. Moi j’embauche les gens pour leurs compétences, je ne mène pas d’enquête pour être sûre qu’ils ne sont pas « ex-usagers ». D’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire, ex-usager? En bousculant les élu·e·s dans leur retranchement, on a pu faire changer ça.
Camille Robert : On l’a vu jusqu’ici, les salles s’inscrivent dans des contextes politiques qui changent, les substances changent aussi avec la montée du crack… Comment voyez-vous l’avenir des salles de consommation?
Thomas Herquel : La première question, ce sera d’être adaptable. Comme je disais, Quai 9 devra déménager, et on réfléchit à une salle qui soit modulable, qui puisse changer selon les aléas, selon les consommatrices et les consommateurs. Parce que la seule chose dont je sois certain, c’est que ça va changer tout le temps. Dans quel sens? Je ne me hasarderais pas à faire des prédictions, mais ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas des pratiques qui vont rester stables.
L’autre chose, c’est qu’on ne fait pas que ça : la salle a du sens quand elle s’inscrit dans un dispositif qui est cohérent avec les questions d’emploi, de logement, d’accompagnement administratif et juridique, de santé et de cure si ça devait être le choix de la personne. Et pour moi l’avenir est là : la salle est un très bon outil, mais qui est performant s’il fait partie d’un ensemble d’actions en cohérence et au service des personnes consommatrices précaires.
Élisabeth Avril : Oui, je suis tout à fait d’accord. La salle de consommation, c’est comme quand on a ouvert le premier programme d’échange de seringues : c’était aussi un prétexte pour rencontrer les gens et mettre en place en lien avec eux, s’ils le souhaitent. On développe tout un tas de services ou d’orientations qui visent à améliorer leur santé et leur qualité de vie.
En Île-de-France, il y a 12 millions d’habitant·e·s et on a qu’une seule salle, Gare du Nord. On est déjà monté à 400 passages par jour, seulement des injections. Pendant le Covid, on avait des places d’inhalation et on a explosé en vol. Avec 450 passages par jour, il y avait de la violence, c’était très compliqué avec le voisinage et mon équipe. Maintenant, on est revenu à quelque chose de stable. Ce qu’on veut, c’est une stratégie à l’échelle de la région Île-de-France.
En 2019, avec l’association Aurore, on a demandé d’ouvrir une salle Porte de la Chapelle. Au moment où on allait ouvrir, les forces de l’ordre ont dispersé les 250 usagères et usagers dans tout Paris, et la préfecture a refait une sorte de Letten dans le 19e arrondissement. Ça a été une catastrophe, donc les forces de l’ordre les ont déplacés Porte de la Villette, et là s’est développé un camp où il y avait parfois 400 personnes dans des conditions délirantes. On intervenait avec une antenne mobile, toujours en nous interdisant d’ouvrir notre salle Porte de la Chapelle. On avait droit qu’à un espace de repos, puis ils ont démantelé le camp Porte de la Villette et les gens sont retournés au point de départ, Porte de la Chapelle. Et nous on reçoit 330 personnes par jour dans ce lieu ; elles sont consommatrices de crack, d’alcool, de médicaments et parfois d’injections d’opiacés. C’est infini, et ça n’a pas de sens. L’avenir en France? Notre salle est en expérimentation jusqu’en 2025, vu le contexte politique, je ne serais pas étonnée si en 2025 on nous disait ça y est, c’est fini, plus de salle de consommation.
Romain Bach : Paris accueillera les Jeux Olympiques en 2024, il y a un enjeu autour de son image et des scènes ouvertes de consommation. Êtes-vous impliqués dans les réflexions?
Élisabeth Avril : Non, on ne nous implique pas. Fin mars, Porte de la Chapelle va fermer pour le début des travaux pour les Jeux et tout le monde devra à nouveau être déplacé. Le problème c’est qu’il y a une guerre entre la mairie de Paris et le gouvernement, ils ne sont pas du même bord politique. Le gouvernement Macron veut prendre la mairie et tout est fait pour discréditer la maire (ndlr : Anne Hidalgo), donc elle ne veut plus entendre parler de ces histoires de drogues. On revient à la bonne politique française : faites ça, mais loin, je ne veux pas le voir. Il n’y a pas de stratégie. Mais vu l’ampleur du problème, ça ne peut pas fonctionner.
La Présidente de la région Île-de-France, Madame Pécresse, a visité ce camp où il y avait beaucoup d’usagères et d’usagers et elle a quand même dit qu’il fallait créer un village et les envoyer se sevrer dans ce village. Enfin, vous voyez le niveau abyssal de méconnaissance du sujet. Ils sont tous un peu populistes quand il s’agit de drogues, parce que ça rapporte des points. Ça met tout le monde d’accord sur le vilain usager de drogue. Et quand en plus il est noir et qu’il vient d’Afrique subsaharienne, c’est tout bénef.
Romain Bach : Il y a une forme d’instrumentalisation de la politique de répression dans un cadre électoral ten- du. Ça devient des enjeux politiques qui ont finalement peu de rapport avec le terrain. Quels sont les enjeux en Suisse? Comment la drogue occupe l’espace public?
Thomas Herquel : Au niveau politique, les contacts sont radicalement différents. Alors oui il y a certains irréductibles qui sont contre la réduction des risques, mais ils sont minoritaires, même s’ils peuvent faire beaucoup de bruit. La politique drogues est stable à Genève depuis plus de 20 ans maintenant et on a de bons contacts avec les hauts fonctionnaires et les politicien·ne·s. On sort de deux législatures avec le même magistrat (ndlr : Mauro Poggia) qui nous soutenait et qui était très cohérent, que ce soit dans la presse ou en séance. Et ça, c’était vraiment agréable. Il y a les élections et ça va changer cette année, donc on touche du bois pour que ça continue ainsi.
Mais effectivement, c’est un enjeu qui est très polarisant et qu’il faut travailler à expliquer et réexpliquer. Et c’est vrai que maintenant que la problématique sida est loin, que tout le monde croit que l’hépatite c’est fini, on est encore quelques-un·e·s à s’en préoccuper, mais si on est honnête, tout le monde s’en fout. C’est vrai qu’il y a moins de leviers qu’il y a quelques années. Donc nous avons saisi la question du crack au niveau genevois parce que tout à coup, il y a de nouveau une occupation de l’espace public par les consommatrices et consommateurs, et ça permet de déclencher des réactions aux niveaux politique et budgétaire. Et cela nous permet de faire encore un pas dans l’amélioration du dispositif.
Camille Robert : Un dernier message à faire passer à nos lectrices et nos lecteurs?
Élisabeth Avril : Je voudrais dire que ce dispositif permet vraiment d’atteindre les personnes les plus en difficultés et que c’est vraiment important qu’il existe. Ça permet d’aller beaucoup plus loin que ce qu’on faisait dans les CAARUD ou dans les antennes mobiles. La salle améliore vraiment la situation de personnes en grande, grande, difficulté.
Thomas Herquel : Aussi, et ça c’est mon biais de sociologue, mais rappeler qu’il ne faut pas laisser la question de la consommation de drogues invisibiliser le fait que le gros du problème, c’est la précarité sociale et financière. On parle d’usagères et d’usagers qui sont avant tout des personnes précaires. Au niveau du marché de la cocaïne à Genève, nous, on voit peut-être 2% des consommatrices et consommateurs. Le reste, ce n’est pas à Quai 9 qu’ils consomment et donc, ce qui est problématique en termes de santé publique, ce n’est pas la drogue, ce sont les pauvres qui se droguent. Et je pense qu’il faut faire attention à ne pas oublier ça dans les discours : ce qui gêne, c’est le pauvre, pas le consommateur.
Camille Robert et Romain Bach : Merci beaucoup.